A Ciel ouvert

de Mariana Otero

France/Belgique, 2013, 1h50

Sortie en France le 8 janvier 2014.

documentaire

Avec une belle finesse d’écriture et une réelle attention à  l’autre, ce documentaire nous emmène au cœur du morcellement de personnalité dont souffrent des enfants handicapés mentaux.

Pour la réalisatrice Mariana Otero, le documentaire est un genre cinématographique où l’art et l’éthique ont une importance fondamentale. Les sujets qu’elle choisit de traiter sont ceux qui posent le problème de la construction d’un individu au sein d’un groupe. Où la place de la caméra doit être choisie avec soin pour montrer ceux qu’on filme sans les perturber, pour expliquer des situations sans les déformer, par la présence même de la caméra.

A la frontière franco-belge, un institut médico-légal, le Courtil, accueille des enfants handicapés mentaux. Non pas en les considérant comme des êtres à  qui il manque quelque chose mais comme des énigmes à  déchiffrer. Mariana Otero s’est glissée dans ce lieu unique, à  la rencontre de ces enfants, de leurs comportements inhabituels, et de la façon tout aussi inhabituelles dont les intervenants les prennent en charge. Mariana Otero : « L’idée inaugurale de cette institution est que les enfants en souffrance psychique ne sont pas des handicapés à  qui il manquerait quelque chose pour être comme les autres. Au contraire, au Courtil, chaque enfant est avant tout considéré par les intervenants comme une énigme, un sujet qui possède une structure mentale singulière, c’est-à -dire une manière originale de se percevoir, de penser le monde et le rapport à  l’autre. Les intervenants, en abandonnant tout a priori et tout savoir préétabli, essaient de comprendre la singularité de chaque enfant afin de l’aider à  inventer sa propre solution, celle qui pourra lui permettre de trouver sa place dans le monde et d’y vivre apaisé. »ACO_5_COPYRIGHT_ROMAIN_BAUDEAN.jpg

A son tour, la réalisatrice a donc abandonné toute idée pré-conçue et, cherchant avec la caméra à  comprendre ces enfants, elle s’est laissée surprendre et a su nous faire partager ses découvertes. Dans un lieu où les éducateurs frappent toujours à  la porte des chambres avant d’entrer et où ils vouvoient les nouveaux arrivants, pas question de s’imposer. Après une période d’immersion où le groupe – enfants et adultes – a pu se familiariser avec elle et l’oublier au quotidien, Mariana Otero a choisi de suivre les jeunes les plus à  l’aise avec la caméra ou ceux qui l’ignoraient entièrement.

A travers Alysson, Evanne et Jean-Hugues, c’est toute la construction de notre personnalité qui est questionné. Pourquoi, au seuil de l’enfance, certains individus n’arrivent pas à  se « rassembler » et n’existent que comme une image en deux dimensions (comme les conversations autour de la toilette le montrent) ou se considèrent que comme la cible de toutes les attaques extérieures. Psychose ou névrose, à  travers la vie quotidienne des enfants et les discussions des intervenants, on entre peu à  peu dans le monde complexe de l’âme humaine et de la psychanalyse. A Ciel ouvert nous mène aussi bien dans les hautes sphères sémantiques avec les mots « jouissance » ou « semblant », que dans le concret très réaliste où on apprend comment empêcher un enfant de mettre trop de chocolat en poudre dans son bolACO_2_COPYRIGHT_ROMAIN_BAUDEAN.jpg

La différence entre la fiction et le documentaire, c’est l’impact de la caméra sur les protagonistes. Un acteur professionnel en a l’habitude et sait la charmer ou s’en protéger. Dans un documentaire, la caméra n’est jamais neutre. L’équipe du Courtil, voyant les réactions de certains jeunes, en fait un atelier en soi, qui répare, comme les autres. Pour certains enfants, elle a alors été un outil comme les autres. Les questions qu’Ewanne finit par poser sont bouleversantes. Pour une fois, on est content que la caméra est changé quelque chose.ACO_4_COPYRIGHT_ROMAIN_BAUDEAN.jpg

Le titre du film, A Ciel ouvert reprend l’expression des intervenants à  propos des enfants du centre : « ils ont l’inconscient à  ciel ouvert ». Respectant cette « faille », Mariana Otero entre avec délicatesse dans leur univers. Son regard aide à  pénétrer dans l’obscurité de ces enfants pour qui rien n’est évident et qui doivent lutter avec eux-mêmes pour ne pas rester éparpillés. On quitte le film avec Jean-Hugues, un jeune homme de 15 ans extrêmement poli et amateur de bandes dessinées (avec une forte préférence pour Les Tuniques bleues) lorsqu’il déclare devant une assemblée d’adultes : « mon cerveau est une idée ». Du grain à  moudre pour tous les spectateurs !

Magali Van Reeth

Signis

Tel père, tel fils

de Kore Eda Hirokazu

Japon, 2013, 2h00

Festival de Cannes 2013, compétition officielle, mention spéciale du prix œcuménique.

Sortie en France le 25 décembre 2013.

avec Masaharu Fukuyama, Machiko Ono, Yoko Maki, Lily Franky.

Confronté au drame d’un échange d’enfant, un homme accaparé par son travail et ses idées préconçues, va apprendre comment devenir physiquement père.

Dans une grande ville du Japon, Keita a 6 ans. C’est un petit garçon calme et délicat, qui fait son possible pour plaire à  ses parents, une maman disponible et souriante, un père un trop absorbé par son travail mais exigeant sur les performances scolaires et artistiques de son fils. La vie de Keita va être bouleversée à  partir du moment où ses parents sont convoqués à  la maternité où il a vu le jour. Au moment de sa naissance, il a été échangé avec un autre nourrisson. Cette découverte va plonger deux familles dans des moments douloureux et des sentiments complexes.287594_11c7c7de8cf1c6106618a52ccb3edc15.jpg

Kore Eda Hirokazu a, dans sa belle filmographie, fait plusieurs films sur l’enfance et la famille. Enfants livrés à  eux-mêmes avec Nobody Knows (2004), réunion de famille douce amère dans Still Walking (2008), deux frères déchirés par la séparation de leurs parents dans I Wish, nos vœux secrets (2011). Mais cette fois, si les enfants sont à  nouveaux au centre de l’intrigue du film, c’est l’un des pères qui en est le personnage principal. Interprété par le chanteur et acteur très célèbre au Japon, Masaharu Fukuyama, Ryota est celui que cette histoire d’échange de bébés va le plus transformer. D’abord persuadé que les liens du sang sont plus forts que tout, il pousse à  l’échange le plus rapide, provoquant la surprise effarée de l’autre père qui ne considère pas qu’on puisse troquer des enfants comme des poulets ou des salades287594_3da4df5eb53195e556dd83ee12fe18f2.jpg

On peut regretter que les deux familles soient traitées de façon un peu trop caricaturale. Chez les riches, la décoration de la maison et les vêtements des parents et de l’enfant sont dans des teintes feutrées, des coloris convenables sur lesquelles le regard glisse. On comprend que la mère a démissionné de son travail pour devenir femme au foyer à  part entière, rôle qu’elle endosse avec une soumission parfois déroutante pour les spectateurs occidentaux. Dans la famille plus modeste, au contraire, les vêtements sont de couleurs vives et même criardes pour les chemises du père, la mère n’hésite pas à  rembarrer son mari et à  se moquer de lui. Et les trois enfants génèrent forcément du mouvement et de la joie. Chez eux, on répare ce qui est cassé et on montre son affection à  bras le corps alors que dans l’autre famille, on consomme et on ne se touche presque pas.

Malgré cela, Tel père, tel fils est un film touchant. Il traite avec justesse un sujet grave : comment devient-on père ? Refusant les rebondissements mélodramatiques, le réalisateur Kore Eda Hirokazu laisse à  ses personnages, et aux spectateurs, le temps de cheminer, de digérer l’incroyable. Si chaque famille est prête à  prendre les deux enfants, aucune ne peut se retrouver sans « son » fils. La souffrance infligée aux enfants ne peut laisser indifférents les parents. Lentement, et avec une mise en scène aussi brillante que discrète, chacun murit au gré des erreurs, les grands comme les petits. Même au Japon où la culture sociale et familiale est différente, la paternité n’est ni une évidence ni une question purement biologique. 287594_6783eeff5ea6025ecb2d3419b9924f79.jpg

Au dernier Festival de Cannes, où ce film était en compétition officielle, il a reçu le prix du jury et une mention spéciale du prix œcuménique.

Magali Van Reeth

SIGNIS

Café cinéma

Café-ciné à  Saint-Bonaventure (Lyon)
jeudi 19 juin

Autour du film Bird People (France, 2014, 2h08), film de Pascale Ferran. En salle depuis le 4 juin 2014.

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Ces cafés-cinés sont animés par des bénévoles de l’association Signis (association catholique mondiale pour la communication) : www.signis.net. Chacun voit le film de son côté (il n’y a aucune projection dans l’église), et nous nous retrouvons autour d’une tasse de café offerte par Saint-Bonaventure pour parler du film. Il s’agit à  la fois d’explorer quelques caractéristiques de l’écriture cinématographique et de partager impressions et questions de fond soulevées par le film.
Le rendez-vous est précisément à  12h30 et l’échange général s’arrête à  13h30 pour permettre aux personnes de rejoindre leur lieu de travail, même si certaines discussions informelles durent parfois au-delà 

Lyon 2e, sanctuaire Saint-Bonaventure, place des Cordeliers, une fois par mois, de 12h30 à  13h30.

Voir aussi le site du [sanctuaire Saint-Bonaventure->
http://www.saintbonaventure-lyon.catholique.fr/
[->http://www.saintbonaventure-lyon.catholique.fr/]].

Suzanne

de Katell Quillévéré

France, 2012, 1h37

Festival de Cannes 2013. Film d’ouverture de la Semaine de la critique.

Sortie en France le 18 décembre 2013.

avec Sara Forestier, François Damiens, Adèle Haenel

De l’enfance à  l’âge adulte, le parcours contemporain d’une femme, entre résilience et amour fou. Un film elliptique parfaitement maitrisé, pour un grand moment de cinéma.

Une enfance banale à  l’ombre de la mort d’une mère, avec un père aimant et un peu maladroit, une sœur délicieuse et puis les choix qu’on fait, par envie, à  17 ans, sans se rendre vraiment compte de ce qu’ils impliquent, par amour passionnel un peu plus tard et toute une vie qui bascule du mauvais côté. Pour son second film (Un Poison violent, 2010), Katell Quillévéré confirme son talent de réalisatrice.

L’histoire de Suzanne se déroule pendant près de 25 ans. Elle est racontée avec beaucoup d’ellipses, ces silences entre deux scènes successives où le temps et les événements passent sans être montrés à  l’écran. Ici, ces ellipses sont radicales, représentent parfois plusieurs années et nous obligent à  entrer pleinement dans le film. Katell Quillévéré : « Oui, la construction d’un récit fondé sur l’ellipse était un des paris de ce film. Avec Mariette Désert, ma co-scénariste, puis Thomas Marchand, mon monteur, nous avons voulu créer un hors-champ très puissant qui rende le spectateur actif et lui permette de nourrir les trous de l’histoire avec sa propre expérience. »

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Si les trois personnages principaux – Suzanne, sa sœur et leur père – vieillissent légèrement (et sans maquillage outrancier), c’est surtout l’enfant qui marque le temps qui passe, le temps irrémédiablement perdu et il est joué, lui, par plusieurs acteurs. La réalisatrice a choisi de donner à  Suzanne sa propre année de naissance, tenant à  filmer aussi sa génération, celle qui a 33 ans cette année. Elle dispose dans le décor, çà  et là , des objets caractéristiques de son enfance, de son adolescence, sans pour autant tomber dans une reconstitution trop rigoureuse. La musique donne aussi l’atmosphère de ces années passées, elle est la mémoire du film, les musiques des années 80 répondant aux musiques actuelles.

Pour compenser la sécheresse de ce film tout en ellipses, où un montage âpre renforce encore ce sentiment d’opacité, les personnages laissent souvent éclater leur émotion. Quand Suzanne est amoureuse, quand son père est blessé, quand sa sœur éclate de rire, ce n’est pas à  moitié. Les ressorts dramatiques sont nombreux et touchent le spectateur là  où c’est sensible : une mère absente, un enfant abandonné, une famille estropiée après un départ inexpliqué, une femme qui tombe, se relève et la scène finale de rédemption, aussi lumineuse qu’émouvante. On ne juge pas, on ne condamne pas, on souffre, on aime. L’amour est la constance qui parcourt le film et permet à  chacun de se reconstruire.

Deux ou trois plans inhabituels traversent le film, des plans larges, vus d’en haut, où la vie traverse le destin des personnages. Lorsque les nouveaux amoureux se séparent après leur premier rendez-vous, la caméra s’installe à  la fenêtre d’un immeuble et montre, de façon quasi documentaire, une rue où, sous l’œil indifférent des passants et de l’épicier, Suzanne et Julien n’arrivent pas à  se quitter. Sous une petite pluie, c’est une chorégraphie. Plus loin, la caméra s’attarde au dessus des voitures, et de leurs occupants, sagement rangées devant le ventre ouvert du ferry. Pour Katell Quillévéré, ces plans sont un hommage à  la photographie américaine des années 1960, lorsque la couleur devenait artistique, sans pour autant quitter le champ du documentaire. Dans ce film où le montage creuse les béances du scénario, cette irruption de la vraie vie devient presque physique, et donc très émouvante, pour le spectateur.21002105_20130429150941349.jpg

Suzanne est un film rigoureusement construit qui ravira les cinéphiles qui aiment se laisser embarquer dans une histoire où rien n’est évident, où on ne sait jamais à  l’avance ce qui va se passer dans la scène suivante. La réalisatrice nous emmène dans des lieux inhabituels : un champ de courses, une cafétéria d’autoroute, la cabine d’un gros camion et des pique-nique au cimetière. Elle se joue de certains clichés si utiles au cinéma (la sœur cadette est plus grande que l’aînée). Elle n’a pas peur de faire disparaitre le personnage principal car elle sait rendre sa présence à  l’écran dans le manque éprouvé par ceux qui restent.

Suzanne est le portrait d’une femme déroutante, que l’amour des siens sauve du désastre intérieur? C’est un beau film d’une jeune femme talentueuse.

Magali Van Reeth

Signis

Incertain Regard….

Le sanctuaire Saint Bonaventure et le Grand Temple de Lyon vous invitent…

Dans la foulée de la semaine de prière pour l’unité des chrétiens, catholiques et protestants proposent la projection de films primés par des jurys œcuméniques.

Ensemble, il s’agit de…

 – Poser un regard sur le monde à  travers la caméra des cinéastes

 – Apprendre à  regarder ensemble ce qui est différent dans le respect

 – Réfléchir et débattre des enjeux de société soulevés par ces films

 – Partager chemin faisant comment la foi chrétienne entre en dialogue avec ces thèmes

4 FILMS 4 DEBATS 4 MARDI A 20heures

mardi 14 janvier 2014 : LA FIANCEE SYRIENNE d’Eran Riklis (Israël, 2004, 1h36), prix œcuménique au Festival de Montréal 2004.

Dans la communauté druze du Golan, où les habitants n’ont aucune existence légale, un mariage se prépare, entre la joie des retrouvailles familiales et la crainte d’une séparation définitive.

mardi 28 janvier 2014 : LOLA de Brillante Mendoza (Philippines/France, 2010, 1h50), prix œcuménique au Festival de Fribourg 2010.

A Manille, les difficultés et la violence du quotidien, obligent deux grands-mères à  une quête épuisante pour sauver leurs familles.

mardi 4 février 2014 : LE PASSE d’Asghar Faradhi (France 2013, 2h10), prix œcuménique au Festival de Cannes 2013.

Prise dans une situation affective très complexe, une femme est confrontée au désir de vérité de ses proches.

mardi 11 février 2014 : BABEL d’Alejandro Gonzales Inarritu (États-Unis, 2006, 2h15), prix œcuménique au Festival de Cannes 2005.

Un couple de touristes américains, en voyage au Maroc, déclenche une série d’événements minimes qui vont bouleverser d’autres vies, dont ils ne soupçonnaient même pas l’existence.

Un seul cinéma : le Cinéma Bellecombe – 61, rue d’Inkermann 69006 Lyon

Métro arrêt Charpennes ; Bus C3 : arrêt Ste Geneviève ; Tram T1 : arrêt Collège Bellecombe ; Voiture : possibilité de stationner dans la cour

Participation aux frais : 8€

Téléphone : 04 78 52 40 31 – http://www.cinebellecombe.tk

Henri

De Yolande Moreau

France/Belgique, 2012, 1h47

Festival de Cannes 2013, Quinzaine des réalisateurs.

Sortie en France le 4 décembre 2013.

avec Candy Ming, Pippo Delbono.

Étrange rencontre entre une jeune handicapée, très déterminée et un homme bien fatigué, pour une promenade, entre chien et loup, sur les plages du Nord.

Lorsqu’elle entre dans le film, elle n’a pas de nom propre, c’est juste « un papillon blanc », du nom de l’institution d’où elle vient, qui accueille des adultes handicapés mentaux, comme elle. Elle a été embauchée pour donner un coup de main dans un restaurant. Elle aura à  cœur, pendant tout le reste du film, de devenir un vrai personnage, de prendre son envol de grande personne à  part entière, d’avoir un nom à  elle. Rosette. Comme sa lointaine cousine, la Rosetta des frères Dardenne, c’est une cabossée de la vie, dans un environnement qui l’est tout autant. Si elle ne porte pas de collants orange vif, comme elle, elle devra lutter pour imposer sa vision du monde.

C’est le deuxième long-métrage de l’actrice et réalisatrice belge Yolande Moreau, après Quand la mer monte (2004). Elle pose son histoire chez elle, dans les brumes mélancoliques du Nord, où on trompe l’ennui avec des copains et beaucoup de bières. Le mal de vivre est poisseux comme les tables des cafés et si les fêlures sont minuscules, elles sont si nombreuses que ça fait vite un gros terril. Des personnages rudes, un peu bêtes mais pas méchants. Ils sont ancrés dans une sinistre réalité économique et sociale. Peu de dialogues, des images composées avec soin et, ça et là , des moments de grâce : le souffle d’un courant d’air dans un rideau de voile blanc, l’envol des pigeons voyageurs, la mer du Nord. Ou, à  la sortie de l’église après un enterrement lorsque la seule musique qu’on entende est celle « d’un concert de lieux communs »21000768_20130423154250111.jpg

Dans cette atmosphère burlesque, astringente et poétique, la tension du drame n’est jamais loin et les situations frisent parfois l’outrance, sans jamais y tomber. Comme tout le monde, Rosette veut être aimée, elle a envie d »une vie ordinaire, même si pour ça, elle doit mentir et manipuler les moins tenaces qu’elle, dont Henri, qui ne demandait rien. Yolande Moreau : « Les personnes handicapées mentales m’ont toujours fascinée. Ils sont le reflet de notre propre désarroi. J’ai senti très vite le danger, les pièges à  éviter : je ne voulais pas dépeindre le monde des handicapés comme quelque chose de pseudo-poétique, de mignon. Je voulais un film âpre. Il me fallait les filmer à  la bonne distance, proche mais sans sensiblerie ni mièvrerie. » Si le personnage de Rosette est interprétée par la chanteuse et actrice Ming, les autres handicapés le sont vraiment. Ils appartiennent à  une troupe de théâtre et ont l’habitude de jouer. Lorsque la réalisatrice les a sollicité pour son film, ils ont été un peu déçu de voir qu’ils devaient jouer leur propre rôle.21003679_20130506163139423.jpg

Chez Yolande Moreau, la normalité est teintée d’un grain de folie et le handicap d’une saine énergie. Comme Henri, les hommes sont essorés par la misère économique et culturelle, par un trop plein de bière. Seule Rosette a encore l’envie et la force de changer le cours des choses. Un conte de fée un peu noir qui brouille les certitudes et pose de bonnes questions.

Magali Van Reeth

Signis

Avant l’hiver

de Philippe Claudel

France, 2012, 1h42

Sortie en France le 27 novembre 2013.

avec Kristin Scott Thomas, Daniel Auteuil, Leïla Bekhti Richard Berry.

Comme les jardins d’automne, un peu en sommeil, la vie parfois nous échappe dans sa routine et ses exigences matérielles. Mais pour quelques fleurs venues d’ailleurs, la vie confortable de Paul vacille.

Mariés depuis 30 ans, Lucie et Paul mènent une existence aisée dans leur luxueuse maison. La tendresse qui les unit est réelle, même si par moment, elle parait presque mécanique. Et une certaine mélancolie baigne leur quotidien, à  l’image du jardin que nous découvrons dans ses parures d’automne, juste « avant l’hiver ». Quelques bouquets de roses trop rouge vont chahuter la tranquille harmonie de ce couple, peu habitué aux grands éclats.

On retrouve dans ce troisième long métrage de Philippe Claudel – après Il y a longtemps que je t’aime (prix œcuménique à  Berlin en 2008) et Tous les soleils (2010) – le ton propre au réalisateur. Une atmosphère douce même dans le drame, la retenue des villes de l’Est de la France, des ellipses qui obligent le spectateur à  prendre parti. Une intrigue principale qui fait l’école buissonnière dans des scènes apparemment sans rapport avec elle et l’affirmation constante du souci de l’autre, surtout lorsqu’il est en état de faiblesse (handicap physique ou psychologique). Dans Avant l’hiver, l’intrigue principale cache presque l’intrigue souterraine qui peu à  peu, au rythme des bouquets de roses rouge, va envahir tout le film. Une jeune femme radieuse et mystérieuse va se laisser réellement transformer, bouleverser par la bonté et la naïveté d’un monde qu’elle ignore.

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On peut être dérouté par la simplicité du scénario qui, au fur et à  mesure que le film avance, devient complexe, et où les personnages secondaires (toujours justes) semblent vivre une autre histoire. Beaucoup de questions restent sans réponse ou sont à  peine effleurées. Il faut donc questionner les images du film, comme si effectivement, cette magnifique maison aux larges baies vitrées, où habitent Lucie et Paul, était plus un « cercueil de verre » qu’un lieu de transparence et d’ouverture vers les autres. Les petites phrases de Lucie sont-elles un aveu ou une pure provocation ? Si le film pouvait s’arrêter lors de la seconde scène au commissariat, pourquoi Philippe Claudel rajoute un joyeux repas de famille au beau temps revenu ? Pour nous dire que les riches gagnent toujours ?

On peut s’interroger aussi sur la mémoire, plusieurs fois déclinée dans Avant l’hiver. Mémoires communes de deux sœurs, mémoire secrète d’une vieille dame qui porte en elle le souvenir de l’Histoire, mémoire musicale comme le dernier rempart de pureté pour une vie brisée, mémoire nichée dans les replis du cerveau, soigné par Paul et mis en scène par l’artiste contemporain Wim Delvoye.3_Avant-L-Hiver_copyright-Fabrizio-Malteze.jpg

Avant l’hiver est le film le plus sombre et le plus âpre du réalisateur. Sans doute parce que la détresse de Paul, face à  sa vie si mince en dehors du travail, face à  son incapacité à  sauver un être en dehors de son travail, est profonde et nous touche tous. Est-il possible de changer de vie avant la prochaine saison ?

Magali Van Reeth

Signis

Le Lem fête ses 70 ans !

1943 – 2013 : le cinéma Le Lem de Tassin la Demi-Lune célèbre son 70ème anniversaire.

Ancienne salle paroissiale, créé en 1943, le cinéma s’appelait alors Le Foyer. Une association loi 1901 gère la salle ensuite et, en 1969, l’année où l’homme marche sur la lune, le cinéma prend le nom de Le Lem… Aujourd’hui encore, il partage la cour de l’école primaire Saint-Claude.

Pour fêter cet anniversaire, du 26 novembre au 2 décembre, une semaine de films classiques dont : Casablanca, Les 400 Coups, Le Livre de la jungle, Cinéma Paradiso, Retour vers le futur. Et d’autres événements, à  découvrir dans le site du cinéma, en cliquant ici .

Le Lem, 62 avenue du 8 Mai 1945, Tassin la Demi-Lune

Le Dernier des injustes

de Claude Lanzmann

Autriche/France, 2013, 3h38

Festival de Cannes 2013, hors compétition

Sortie en France le 13 novembre 2013

documentaire

Au cours d’une longue conversation lointaine, le quotidien du ghetto de Theresienstadt et les crimes des Nazis sont évoqués par l’un des derniers témoins directs.

C’est en préparant son œuvre majeure, Shoah, document historique unique sur l’holocauste, que Claude Lanzmann a filmé pendant une semaine Benjamin Murmelstein, le dernier président du Conseil juif du ghetto de Theresienstadt. C’était à  Rome en 1975 et, fumant gitane sur gitane dans la belle lumière d’automne, le réalisateur a vite compris que la parole de cet homme-là  ne pouvait se fondre dans le reste du film. On sent bien que le réalisateur se laisse séduire par cet homme qui a réussi à  s’extraire des griffes d’Eichmann et qui trouve que le procès de ce criminel a été bâclé.

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Murmelstein est intelligent, cultivé, lucide et rusé. Il a eu longuement le temps de revenir sur cette expérience douloureuse. D’abord au cours d’un procès et d’un emprisonnement au sortir de la guerre puis en écrivant, en 1961, un livre pour parler du ghetto de Theresienstadt, installé au nord de Prague et voulu par Eichmann comme un « ghetto modèle », celui qu’on montre à  la Croix Rouge pour rassurer les observateurs. Arrivé à  ce poste parce que ses prédécesseurs avaient été froidement éliminés, Murmelstein a du sans cesse lutter pour sa survie et celle des milliers d’autres dont il avait la charge. Parce qu’il n’est pas mort, et qu’il a parfaitement conscience de ce que cela représente pour l’opinion publique, il se nomme lui-même « le dernier des injustes »

Claude Lanzmann avait déposé à  l’Holocaust Memorial Museum de Washington (Etats-Unis) tout le matériel filmé en 1975. Lorsque récemment, il a vu ses propres images exploitées par d’autres et d’une façon qu’il désapprouvait, le réalisateur a décidé de monter enfin ces longues conversations avec Benjamin Murmelstein. Et d’y ajouter des images prises sur les liens évoqués, que ce soit des photos d’archives, des dessins de ceux qui y survivaient ou des scènes tournées pour ce documentaire.

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Né en 1925, Claude Lanzmann travaille depuis 40 ans à  faire de l’Histoire avec du cinéma et il a fortement contribué à  faire connaître la volonté d’extermination des juifs par les Nazis au début du 20ème siècle. Le Dernier des injustes garde le style austère des précédents documentaires et montre que le réalisateur n’a rien perdu de son désir de filmer la mémoire de ceux qui sont partis tragiquement. Mêlant les images de 1975 à  d’autres plus récentes sur les lieux évoqués par Benjamin Murmelstein, il redonne toute son actualité à  une histoire que les états européens partagent toujours. Si ce film est indéniablement un document historique et nécessaire, il est cependant d’une forme assez austère et d’une longueur (3h38) qui pourra décourager les simples curieux.

Magali Van Reeth

Signis