la Vie d’Adèle, palme d’or Cannes 2013

D’Abdellatif Kechiche

France, 2013, 2h58

Palme d’or, Festival de Cannes 2013

Sortie en France le 9 octobre 2013.

avec Adèle Exarchopoulos et Léa Seydoux.

A travers l’histoire d’un amour, l’histoire de la rupture qu’il porte en germe, filmé avec un lyrisme et une âpreté qui pourra dérouter certains spectateurs.

C’est une histoire d’amour entre deux filles, des premiers regards à  la rupture. Mais le film est beaucoup plus complexe que son résumé. C’est un film qui prend le temps (2h58) d’installer ses personnages et d’habiter les lieux où ils évoluent. Ce qu’on trouve déjà  dans les autres films d’Abdellatif Kechiche : L’Esquive, La Graine et le mulet, La Vénus noire. La narration alterne les ellipses et de longues scènes où, à  travers des détails, des gestes et des conversations apparemment anodines, le contexte social se définit et des ruptures se creusent. Sans explication, sans jugement, le réalisateur prend acte de tout ce qui construit un personnage et donc un individu.

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Le film commence dans une salle de classe d’un lycée où des élèves lisent La Vie de Marianne de Marivaux et où certains d’entre eux partagent les tourments amoureux et les désirs de liberté de cette héroïne du 18ème siècle. Dont Adèle, 15 ans, issue d’une famille modeste et qui découvre tout un autre monde, grâce à  l’école. Par hasard, elle rencontre Emma, une jeune femme aux cheveux bleu, libre, artiste et sûre d’elle. Elles vont vivre une relation très passionnelle qui se délitera notamment sur des questions d’origine. Où se situe la différence sociale ? Kechiche explore cette question dans tous ces films et dans La Vie d’Adèle, elle est présente dans de nombreuses scènes et elle est l’un des moteurs de la rupture.

Les scènes de sexe, qui peuvent paraître trop longues et trop crues à  beaucoup de spectateurs, génèrent autant de malaise que l’insidieux décalage social qui traverse tout le film, notamment cette soirée avec les copains artistes d’Emma. Adèle, qui a longuement cuisiné, et avec plaisir, pour recevoir les invités, perçoit inconsciemment qu’elle n’est pas à  sa place, qu’être instit dans ce milieu-là , c’est pas une gloire et que de ne pas connaître les tableaux du peintre Shiele, c’est vraiment nul Chez ses parents, Adèle dévore les spaghettis à  pleines dents, sans se soucier de la sauce tomate qui colore le pourtour de sa bouche. Chez sa mère, Emma mange les huîtres que son beau-père a achetées chez un écailler réputé et on ne voit pas de télévision allumée.

La Vie d’Adèle ne peut pas non plus se résumer à  un film politique. C’est un film lyrique autour d’une passion amoureuse, lumineux, avec des élans touchants. La narration du récit se fait en dehors de repères chronologiques habituels. C’est aux détails qu’on se rend compte que le temps a passé : Adèle fait de la philo, elle est donc en terminale ; elle va à  la plage, c’est donc l’été ; elle enseigne en CP, une année a donc passée. Une manière de filmer qui laisse au spectateur tout l’espace nécessaire pour participer au récit.21045684_20131001154043507.jpg

L’homosexualité n’est pas une revendication, elle est l’une composante de l’histoire d’amour et si Adèle vit intensément cette passion amoureuse et charnelle, elle n’ose pas se dire homosexuelle, ni face à  ses copines de lycée (on peut comprendre vu leur agressivité de harpies jalouses), ni plus tard face à  ses collègues de travail. Alors qu’elle est sûre d’elle dans sa vocation d’enseignante, Adèle avance avec maladresse dans sa vie affective. Lorsqu’elle subit avec violence les désillusions de l’amour, y compris ses propres trahisons qu’elle ne comprend pas, elle fait face dans son métier, face aux enfants, dans son désir de transmission (que les copains bobos d’Emma trouvent ringard) et qui reste intact malgré son chagrin. Une facette du film – pleine d’espérance et d’engagement politique – qu’il serait dommage de négliger.

Palme d’or au Festival de Cannes 2013, La Vie d’Adèle, chapitres 1 et 2 est interdit aux moins de 12 ans.

Magali Van Reeth

Signis

Toiles des gones

A l’approche des vacances scolaires, les cinémas de l’agglomération lyonnaise proposent un programme particulièrement alléchant pour les plus jeunes spectateurs.

La 8ème édition de l’opération Toiles des gones se déroule du 19 octobre au 3 novembre et présente une vingtaine de films pour tous les âges, dont deux avant-premières, Loulou et l’incroyable secret de Grégoire Solotareff et Eric Omond et Ma maman est en Amérique et elle a rencontré Buffalo Bill de Boréal et Chatel. Chaque film est programmé dans plusieurs salles et plusieurs villes.

Cet événement est organisé en partenariat avec le Grac (groupement régional d’actions cinématographiques), la Région Rhône-Alpes et le Direction régionale des affaires culturelles.

Vous pouvez trouver tout le programme en allant sur le site Toiles des Gones. Bonnes séances !

Mon âme par toi guérie

de François Dupeyron

France, 2013, 2h04

Festival de San Sebastian 2013, sélection officielle

Sortie en France le 25 septembre 2013.

avec Grégory Gadebois, Jean-Pierre Daroussin, Marie Payen, Céline Salette.

Et toi, qu’as-tu fait de ton talent ? Un homme d’aujourd’hui, confronté au manque d’amour et au chagrin, se pose cette question.

Le dernier film de François Dupeyron est à  l’image de son titre, à  la fois énigmatique et très clair. Il est question de corps en souffrance – jambes lourdes, migraines, saignements – qui quémandent une guérison. Très vite, on se rend compte que ce sont surtout les âmes qui souffrent. Le réalisateur n’a pas peur d’utiliser ce mot que ses confrères semblent éviter. Les personnages ont une âme, elle souffre souvent et appelle à  l’aide. Ici, pas de concept intellectuel mais des croyances simples, Dieu ou pas Dieu. Mais à  la légère, comme les blagues de comptoir où on ne sait pas vraiment s’il faut rire du « Quoi ? » de Joseph à  Marie. Face aux mystères, on ne sait pas. L’amour non plus, on ne l’explique pas, ni lorsqu’il s’en va, ni lorsqu’il arrive.

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L’acteur Grégory Gadebois donne au personnage principal, Freddy, tout son poids, au propre comme au figuré. Un corps massif, une force tranquille, une inquiétude bien tenue en laisse, une pudeur que le chagrin de ceux qu’il aime arrive à  peine à  bousculer. Freddy est un gentil, « un ange » disent certains, qui ne sort de ses gonds que lorsqu’il ne maîtrise plus sa douleur. A la mort de sa mère, Freddy a reçu un don, celui des mains qui guérissent. Don dont il ne sait que faire parce que sa propre souffrance lui suffit. Comment faire face au chagrin des autres quand on sait à  peine exprimer le sien ?

Comme Freddy, le film est très pudique. La grande violence, comme les scènes sexuelles ou les effondrements, restent hors champ. François Dupeyron suggère, n’impose rien, laisse les événements s’installer, comme dans la très belle première scène entre Freddy et son père (Jean-Pierre Daroussin, toujours juste). En quelques phrases anodines échangées entre eux, tout le contexte se met en place, émotions et larmes retenues, distance qu’on regrette, environnement social. On entre avec eux dans le récit.

L’histoire se déroule sur la Côte d’Azur, une Côte d’Azur sans touriste, hors saison, où des gens ordinaires vivent dans des caravanes et, lorsqu’ils vont à  la plage, c’est pour pêcher du poisson, courir dans le sable, pas pour se baigner. La très belle photo d’Yves Angelo, le directeur de la photographie, utilise au maximum la lumière naturelle pour jouer avec les éblouissements, ceux qui nous aveuglent et ceux qui nous révèlent. C’est aussi cette lumière qui redonne de la dignité aux petites gens, qui empêche le sordide de les miner et tient le vulgaire à  distance. Ils baignent dans un scintillement lumineux où la grâce n’est jamais loin. Comme souvent dans ses autres films, les personnages de François Dupeyron sont des hommes et des femmes ordinaires qui agissent à  contre courant de l’égoïsme et de la brutalité du monde dans lequel ils vivent. La fiction, la mise en scène et le regard particulier du réalisateur en font des héros.

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Le film ne résout pas toutes les questions qu’il soulève et l’ambiguïté du titre perdure jusqu’au bout. Le don d’apaiser les souffrances des autres est un talent qui ne s’explique pas. Au spectateur de décider qui a été guéri. Freddy, en acceptant de sortir de son enfermement et de s’occuper des autres, retrouve goût à  la vie. Mon âme par toi guérie tricote la souffrance des corps et le salut des âmes. La vraie question que doit résoudre Freddy – et que nous pose François Dupeyron – est celle des Evangiles : Et toi qu’as-tu fais de tes frères ?

Magali Van Reeth

Signis

Sur le chemin de l’école

de Pascal Plisson

France, 2012, 1h15

Sortie en France le 25 septembre 2013.

documentaire

Un joli documentaire sur des enfants attachants qui sont juste heureux de pouvoir aller à  l’école, même si le trajet est long et difficile

Zahira, Carlos, Samuel et Jackson sont des héros. Ils ne le savent pas tant leur quotidien leur paraît ordinaire. Ils ont entre 11 et 13 ans, ils habitent à  différents endroits du monde et ils ont tous les quatre un long chemin pour aller à  l’école.

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Dans ce documentaire, Pascal Plisson rappelle que l’accès à  la scolarité n’est pas une évidence pour tous. Que si, dans les sociétés occidentales, le chemin de l’école est souvent bref, motorisé et sans obstacle, ce n’est pas le cas ailleurs. Rien de misérabiliste dans ce film, au contraire. Les enfants sont heureux de faire ce parcours, heureux d’arriver à  l’heure à  l’école. On s’attache à  eux. Carlos parcourt tous les matins 18 kilomètres à  cheval dans les montagnes d’Argentine. Jackson et sa petite sœur Salomée, au Kenya, font leur parcours quotidien en courant, tout en essayant d’éviter les troupeaux d’éléphants : on comprend pourquoi ce pays a donné tant de champions à  l’athlétisme mondial ! Zahira a le trajet le plus long – 22 kilomètres à  pieds – mais elle ne fait l’aller-retour qu’une fois par semaine puisqu’elle est interne. En Inde, le parcours de Samuel est beaucoup plus court mais comme il est handicapé, ses deux petits frères doivent traîner et pousser sa chaise roulante sur un chemin de sable pendant plus d’une heure.

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Sous une forme classique, Sur le chemin de l’école rend surtout hommage à  ses personnages. La complicité joyeuse de Samuel avec ses frères, le sérieux de Carlos pour faire descendre le cheval sur un chemin pentu et caillouteux, les yeux brillants de Zahira qui veut être médecin et le souffle court de Jackson quand il a évité les éléphants sont autant de belles rencontres avec ces enfants qu’on ne croisera jamais sur le chemin de l’école A voir en famille, à  partir de 7 ans, surtout avec ceux qui râlent pour aller à  pieds à  l’école les jours de pluie.

Magali Van Reeth

SIGNIS

Jimmy P., psychothérapie d’un Indien des plaines

D’Arnaud Desplechin

France/Etats-Unis, 2013, 1h53

Festival de Cannes 2013, sélection officielle

Sortie en France le 11 septembre 2013.

avec Benicio del Toro, Mathieu Amalric, Gina McKee

Autour d’une rencontre entre un ancien combattant amérindien et un anthropologue européen, un très beau film sur les blessures de l’âme et la complexité d’une prise de conscience.

De film en film, Arnaud Desplechin arrive encore à  nous surprendre et à  nous émerveiller. Par l’originalité des thèmes choisis et la subtilité avec laquelle il les traite. Par une mise en scène fluide même dans les situations les plus complexes et, ici plus que dans ses autres films, par une attention particulière apportée aux paysages, servie par l’excellent travail du directeur de la photographie, Stéphane Fontaine. Arnaud Desplechin a eu raison d’aller se confronter aux grands espaces d’Amérique du nord.JIM_DAY_28__0648_-__c_Nicole_Rivelli_-_Why_Not_Productions.jpg

L’action du film se déroule aux États-Unis, juste après la fin de la Deuxième guerre mondiale. L’acteur américain Benicio Del Toro interprète un Indien, Jimmy Picard, ancien combattant démobilisé avec des maux de tête et des pertes de la vision, suite à  une blessure en Europe. Les médecins sont démunis pour trouver la cause réelle de ses souffrances. Un psychiatre fait appel à  l’expertise de Georges Devereux, anthropologue européen spécialiste des Indiens et interprété par Mathieu Amalric.

Au cœur du film, il y a la rencontre entre ces deux hommes. Jimmy est enfermé dans son mal-être physique. S’il sait lire et écrire, il sait aussi que seul le passage par l’armée lui a permis de dépasser le racisme ordinaire qui sévit encore vivement aux Etats-Unis. Face à  lui, un homme blanc mais non-Américain, qui connaît très bien les coutumes et la langue des Indiens. Qui lui pose des questions que personne ne lui avait jamais posées et lui parle avec respect. Sans cesse sous nos yeux, les conversations entre les deux hommes oscillent entre l’analyse strictement médicale et la naissance d’une relation profonde, mélange d’amitié, d’admiration et de curiosité. Entre l’exubérance de Georges Devereux qui parle avec naturel des sujets les plus délicats ou les plus intimes et l’enfermement de Jimmy, on se demande parfois quel est le plus fou des deux. Georges connaît sa folie et sait vivre avec, Jimmy apprend peu à  peu que les maux du corps traduisent les blessures de l’âme.

Avec une intelligente utilisation des retours en arrière et des rêves, incrustés dans la chronologie de la narration, Jimmy P., psychothérapie d’un Indien des plaines est un film fluide et lumineux. Les conversations entre les deux protagonistes principaux alternent avec des moments plus légers et d’autres personnages font des entrées discrètes mais nécessaires pour donner du corps à  tout l’ensemble. Il y a aussi des échappées extérieures, dans des paysages où le spectaculaire renforce la gravité des questionnements soulevés par cette thérapie. L’atmosphère de l’époque est bien rendue sans qu’on soit gêné par la trop prenante reconstitution des décors. Tous les personnages qu’on rencontre ont, pendant la guerre, vécu des moments très difficiles. Et l’élégance avec laquelle ils savent tenir à  distance leur souffrance, on la retrouve jusque dans leurs vêtements.JIM_DAY_9_2958_-__c_Nicole_Rivelli_-_Why_Not_Productions.jpg

Les thèmes soulevées pendant les conversations entre Jimmy et Georges sont nombreux et interpellent directement le spectateur : les cauchemars récurrents, le poids des traditions, les réminiscences d’une culture ancestrale, les blessures de l’enfance et les lâchetés de l’âge adulte. On analyse le corps avec des données scientifiques, on révèle la conscience en nommant l’inconscient. Jimmy P., psychothérapie d’un Indien des plaines n’est pas l’histoire d’une guérison mais plutôt d’un cheminement permettant à  un homme d’entrevoir un autre univers. En prenant conscience de la culture indienne dont il est issu, et en se souvenant des événements qui l’ont façonné, Jimmy apprend à  se connaître et à  s’accepter.

Dans les films de Desplechin, où les dialogues sont si importants, le corps dit ce que les mots ne savent pas exprimer : névrose, cancer, chute, malaise. D’où l’importance physique des acteurs. Ici, le grand corps massif de Benicio Del Toro pour exprimer la chair tourmentée d’une âme lacérée face au petit gabarit de Mathieu Amalric, elfe incontrôlable et volubile. Un grand moment de cinéma !

Magali Van Reeth

Signis

Journées cinématographiques de La Salette

Projections, débats, ateliers, rencontres et convivialité dans un lieu exceptionnel : pour la 4ème année consécutive, le sanctuaire Notre Dame de La Salette, en Isère, vous invite au cinéma.

Le thème de ces rencontres : Hors la Loi, que le père Michel Farin développe :

Hors-la-loi, outlaw. Le cinéma a contribué à  vulgariser ce mot à  travers le monde entier, par l’intermédiaire du Western. Chacun de nous a, dans un coin de sa mémoire d’enfant, l’image de ces hommes au visage masqué d’un foulard, chevauchant la grande terre de ce qui n’étaient pas encore les Etats Unis. Ils faisaient régner la violence en s’opposant partout au shérif, fragile représentant de la loi qui avait à  s’établir pour que naisse une société humaine aux confins de ce nouveau monde.

Ainsi en puisant dans la mémoire de son histoire fondatrice, tout en développant de façon industrielle la production de cet art nouveau, le peuple des Etats Unis a réussi à  faire du cinéma américain un art universel. En Particulier à  travers l’exploitation de deux genres devenus célèbres : le western et le policier(le polar, le thriller).

Et nous tous qui, par le monde, nous sommes projetés dans ces histoires magistralement racontées par le John Ford, Howard Hawks, Raoul Walsh, Anthony Mann, Alfred Hitchcock… Nous qui nous sommes identifiés aux personnages merveilleusement interprétés par John Wayne, Gregory Peck, Henry Fonda, Gary Cooper… nous n’avons pas toujours eu conscience qu’il nous était proposé de revivre le drame de la constitution d’une nouvelle société. Et aucune de ses œuvres ne nous auraient touchés si elles n’avaient rejoint, au plus profond de nous-mêmes, la question de la loi posée au commencement de toute histoire humaine, à  la Naissance d’un homme comme celle d’une nation.

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Avec cette figure du hors-la-loi, nous sommes renvoyé à  la question qui travaille de toute l’histoire humaine et qui s’est révélée au cœur de l’histoire d’Israël : qui peut dire la loi ? Par qui l’ordre peut-il être rétabli, au delà  de la transgression, sans que le hors-la-loi soit perdu ?, car sans cela qui sera sauvé ?

L’histoire biblique nous ouvre à  la profondeur de ce mystère, en nous révélant que la naissance d’un peuple comme celle de chacun de ses fils, repose sur la loi d’une Alliance qui ne peut-être dite qu’au nom d’un père qui soit créateur le et le sauveur. Celui qui avant tout donne la vie sans condition et maintient unilatéralement son Alliance avec celui qui l’a rompue, avec le hors-la-loi. A ce dernier d’en accepter d’en être bouleversé.

Il est impossible à  un père de tenir, par lui même, cette place à  l’égard de son fils. De même, il est impossible à  un shérif, comme tout représentant de la loi, de la tenir par lui même, à  l’égard du hors la loi, sans être touché par la violence. Mais rien n’est impossible à  Dieu. Il est alors demandé au fils comme au père, au hors la loi comme au shérif, de découvrir que la loi ne nous met pas seulement devant l’alternative de faire ou de ne pas faire ce qui es commandé. Elle nous met d’abord devant l’alternative de faire confiance, ou non, à  la voix qui nous dit la loi.

Sans cette confiance, que l’on soit fils ou père, gangster ou policier, nous sommes livré à  un ordre moral qui nous reste extérieur, soumis à  une légalité muette. La loi n’est plus qu’une idole à  détruire ou à  adorer. Elle ne peut alors que renforcer la violence et conduire à  la Mort. Le film, comme toute fiction, n’est une œuvre véritable que s’il nous ouvre à  ce mystère même, et souvent surtout, s’il ne s’y réfère explicitement.

Michel Farin, SJ

Découvrez tout le programme dans le site de Notre Dame de La Salette, en cliquant ici.

Pour vous inscrire et demander des renseignements : contact@cine-salette.com

Ilo Ilo

d’Anthony Chen

Singapour, 2013, 1h39

Festival de Cannes 2013, Quinzaine des réalisateurs, Caméra d’or

Sortie en France le 4 septembre 2013.

avec Angeli Bayano, Koh Jia Ler, Yeo Yann Yann, Chen Tianwen.

Entre désir de modernité et traditions, portrait délicat d’une famille de Singapour où chacun tente de faire bonne figure pour ne pas inquiéter les autres.

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Singapour 1997. Teresa a laissé son enfant aux Philippines pour être domestique dans une famille plutôt aisée et qui la traite relativement bien. Les deux parents travaillent, un nouveau bébé doit bientôt arriver et Jiale, 10 ans, est un gamin mal élevé qui n’a aucune envie de partager sa chambre avec cette intruse. Ilo Ilo est le récit délicat d’une rencontre entre cet enfant borné et une femme qui sait qu’elle a tout à  perdre si elle est trop maladroite avec lui. Comme elle ferait avec un animal sauvage, Teresa va apprivoiser Jiale et faire entrer le spectateur dans l’intimité de leur vie. Et de la vie de la classe moyenne de Singapour, à  la veille d’une rude crise économique. Un pays où il faut parler anglais pour avoir l’air éduqué et où une compatriote lance à  Teresa : « Oublie ton chapelet, ici Dieu n’existe pas ! »

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C’est un récit d’enfance et d’immigration assez juste. Il rend hommage à  ces femmes discrètes qui viennent chercher de meilleurs salaires en pays inconnu. Les deux actrices principales sont très célèbres dans leurs pays respectifs : Yeo Yann Yann à  Singapour et Angeli Bayano aux Philippines. Ilo Ilo a obtenu le prix de la Caméra d’or au dernier Festival de Cannes. Ce prix récompense le meilleur premier film présenté dans 4 sections : la compétition officielle, la section Un Certain Regard, la Quinzaine des réalisateurs et la Semaine de la critique. Sans être un chef d’œuvre, le film montre qu’à  Singapour, on peut faire autre chose que des comédies populaires ou des films d’horreur.

Magali Van Reeth

Signis

Alabama Monroe

De Felix Van Groeningen

Belgique, 2012, 1h50

Prix Signis au Festroia 2013 (Portugal)

Sortie en France le 28 août 2013.

avec Veerle Baetens et Johan Heldenbergh

Il est parfois difficile d’évoquer la mort avec de jeunes enfants. Comme il est difficile de faire son deuil sans le secours des rituels, religieux ou profanes. Un film explosif qui pose des questions délicates.

Le film débute par une histoire d’amour classique entre deux personnages détonants et atypiques. Elise tient une boutique de tatouages et son corps est une réclame vivante pour cet art qu’elle pratique avec brio. Didier joue du banjo dans un groupe de bluegrass. C’est solitaire, un barbu hirsute qui habite une caravane dans un coin de campagne humide (on est en Belgique). La passion va les enflammer jusqu’à  l’arrivée d’une petite fille. Après le temps des ajustements, arrive la mort qu’on n’attendait pas si tôt.AlabamaMonroe-1.jpg

Au cœur du film, deux thèmes sont tissés avec brio autour de cette famille dévastée par le drame. D’une part la fascination sans borne de Didier pour l’Amérique. Une Amérique mythique, aux couleurs claquantes, celle de la musique qu’il pratique avec passion et qui allume des étoiles dans ses yeux. Une Amérique de grands espaces et de rêves infinis, avec des Indiens, authentiques et valeureux. Mais Didier n’y a jamais mis les pieds – pourtant chaussés de bottes de cowboy – et il va trébucher dans l’ère Busch junior où le fait religieux devient prétexte à  un conservatisme grinçant qui s’accommode mal avec son idéal de liberté.

L’autre thème est celui du rituel face à  la mort. Pour Didier, seules la science et la raison permettent de comprendre le monde dans lequel il vit et il n’y a rien après la mort. Il est farouchement opposé à  toute forme de religion et de superstition. Elise, bien que non pratiquante, est plus sensible aux rites traditionnels, aux signes, aux talismans et lorsque la mort s’annonce, elle est prête à  tout essayer et à  mélanger les rituels de toutes les croyances pour l’aider à  supporter son chagrin.

Cette question des rituels face à  la mort est épineuse dans une société occidentale où les individus sont fortement déchristianisés et, en général, pas assez solides pour affronter le bouleversement de la mort d’un proche. Sous l’apparente simplicité de la provocation, Alabama Monroe la traite avec finesse. Confrontés à  leur douleur, et à  leurs positions radicalement différentes, Didier et Elise ne peuvent plus trouver, même dans la musique, la complicité et la consolation qui leur permettraient de faire le deuil et de trouver la force de continuer à  vivre.AlabamaMonroe-3.jpg

Dans le style percutant qui lui est propre (on se souvient de La Merditude des choses, 2009), Felix Van Groeningen réussit un film puissant sur ce sujet complexe. Emerveillé par la joie et le dynamisme de la première partie, on s’enflamme avec l’histoire d’amour d’Elise et Didier et notre cœur bat au rythme entrainant de leurs chansons. Sonné par le dénouement, on apprécie de reprendre pieds dans la dernière scène. Avec ses amis musiciens, Didier trouve enfin le rituel pour se départir de son arrogance et accepter le mystère de la mort.

Sélectionné dans de nombreux festivals, sous le titre The Broken Circle Breakdown, ce film a obtenu le prix du public à  la Berlinale de 2013. Au Festroia, le festival du film de Setubal au Portugal, où il était en compétition officielle, il a remporté le prix Signis, le Dauphin d’or de la compétition et le prix Fipresci. Ce film est en sélection pour le prix LUX du parlement européen, qui sera décerné en décembre 2013.

Magali Van Reeth

Signis

Michael Kohlhaas

D’Arnaud Des Pallières

France/Allemagne, 2013, 2h02

Festival de Cannes 2013, sélection officielle

Sortie en France le 14 août 2013.

avec Mads Mikkelsen, Mélusine Mayence, Bruno Ganz, Denis Lavant.

Au 16ème siècle, un homme se révolte et d’autres le suivent, parce qu’ils n’ont plus rien à  perdre. Dans de magnifiques paysages, la complexité d’un combat et de sa justification.

Arnaud Des Pallières est un cinéaste discret et exigeant dont les films sont peu connus du grand public. Michael Kohlhaas, sélectionné en compétition officielle au dernier Festival de Cannes, est une belle façon d’aborder son cinéma. Combat d’un « assoiffé de justice » contre les abus du pouvoir en place, il est inspiré du roman éponyme écrit par Heinrich Von Kleist et il se déroule au 16ème siècle en Europe. La noblesse et le clergé règnent sur les paysans, une classe intermédiaire commence à  apparaître, et les idées de Calvin et Luther se répandent dans les endroits les plus escarpés.

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Michael Kholhaas est un marchand de chevaux, propriétaire de sa maison et des terres qui l’entourent. D’origine étrangère, il traite bien ses valets et ses bêtes et commerce avec les nobles. Le début du film nous apprend qu’il sait tenir son rang, qu’il sait lire et qu’il ne lit pas la bible en latin mais « dans sa langue ». Il a une relation très affectueuses avec sa fille et très tendre avec sa femme. On comprendra plus tard qu’elle s’appelle Judith et qu’elle est juive. Même si le contexte religieux est mis en place avec beaucoup de discrétion et qu’il n’est pas au centre des revendications de Michael Kholhaas, il est pourtant un des éléments clés du film. La révolte du personnage principal est celle d’un homme honnête qui ne ne veut que son droit, rien de plus. Mais pour l’obtenir, il est prêt à  tuer tous ceux qui lui ont fait du tort, et emporter dans sa guerre tous les miséreux et humiliés d’une époque qui en comptait beaucoup. Sa folie fanatique sera tempérée par un prédicateur, un pasteur à  la robe tâchée de boue, qui parle d’une autre justice, celle de Dieu. Il connaît la détresse des paysans mais il connaît aussi le cœur des hommes, les ravages de la violence et la puissance du pouvoir temporel.

Michael Kohlhaas est un film « protestant » C’est l’histoire d’un homme qui proteste et qui sera amené à  repenser la forme de sa révolte. C’est un film à  la beauté âpre et rugueuse où la plupart des scènes sont tournées dans des paysages magnifiques mais rudes, des montagnes de rochers, des forêts inextricables, des landes désertiques soufflées par les vents du Nord. La lumière et la photo de Jeanne Lapoirie leur donnent une intensité spirituelle qui appelle au dépouillement et à  la contemplation, qui renforce la complexité de la quête de l’homme pour trouver sens à  sa vie, pour trouver Dieu dans la détresse quotidienne. Dans les palettes de l’aube ou du crépuscule, dans les couleurs chatoyantes de l’automne, la mise en scène sait éviter le lyrisme inutile, les dialogues redondants et les explications pesantes. Du cinéma intelligent qui connaît l’importance du détail et la place fondamentale des comédiens.

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Arnaud Des Pallières a soigné le choix de ses acteurs. C’est Mads Mikkelsen, l’acteur danois de La Chasse, qui donne à  Michael Kholhaas la force sereine d’un homme blessé, devenu fanatique par principe moral. Autour de lui, pour retrouver le parfum d’une Europe en chantier, Sergi Lopez, Bruno Ganz, Denis Lavant, Jacques Nolot, David Kross ou Swann Arlaud. Des hommes au visage et physique impressionnant, mélange de langues, d’accent et de personnalités fortes qui se répondent en harmonie. Des acteurs incarnant leurs rôles avec intensité, même lorsqu’ils ne sont que 5 minutes à  l’écran. Dommage que les trois actrices principales – Mélusine Mayence, Delphine Chuillot et Roxane Duran – aient elles le même physique frêle et des traits quasi interchangeables.

Film en costume, film de guerre et d’acteurs, et œuvre lumineuse, Michael Kohlhaas pose avant tout la question de la justice. Le droit est-il là  pour protéger un individu ou pour contrôler les règles qui permettent au plus grand nombre d’individus de vivre ensemble sans s’entretuer ? Au 16ème siècle comme aujourd’hui, la réponse est délicate. Arnaud Des Pallières nous donne des éléments de réflexion et, surtout, un beau moment de cinéma.

Magali Van Reeth

Signis

Ciné club à  Saint François de Sales

Ciné club à  la paroisse Presqu’Ile sud

Chaque film est introduit et suivie d’une discussion à  la fin de la projection.

Les séances ont lieu à  20h30 et sont ouvertes à  tous. Entrée 10 rue François Dauphin, sur le côté de l’église Saint François de Sales.

les films pour la saison 2013/2014 :

27 novembre : 2046 de Wong Kar-Wai (2004) avec Tony Leung Chiu Wai, Gong Li

22 janvier : L’Homme de la plaine (The Man from Laramie) d’Anthony Mann (1955) avec James Stewart, Arthur Kennedy

26 février : Journal intime (Caro Diario) de Nanni Moretti (1994) avec Nanni Moretti, Giulio Base

16 avril : L’Evangile selon Saint Matthieu (Il Vangelo secondo Matteo)de Pier Paolo Pasolini (1964) avec Enrique Irazoqui, Margherita Caruso

28 mai : Il est plus facile pour un chameau… de Valeria Bruni Tedeschi (2003) avec Valeria Bruni Tedeschi, Chiara Mastroianni

25 juin : La Party (The Party) de Blake Edwards (1968) avec Peter Sellers, Claudine Longet

Contact : Didier Lamy 69lamy@gmail.com

Voir aussi le site de la paroisse presqu’ile sud en cliquant ici