Aya de Yopougon

De Marguerite Abouet et Clément Oubrerie

France, 2011, 1h24

César du meilleur film d’animation 2012 et sélection officielle au Festival d’Annecy 2013.

Sortie en France le 17 juillet 2013.

A partir de 12 ans.

Film d’animation avec les voix de Aïssa Maiga, Tatiana Rojo, Tella Kopmahou, Jackie Ido et Erik Ebouaney.

A Yopougon, dans la banlieue d’Abidjan, un groupe d’adolescents rêve d’amour et de réussite mais la vie n’est pas toujours aussi rose qu’ils le voudraient : un film joyeux et attachant.

On les appelle Adjoua, Bintou, Aya, Moussa, Mamadou, Hervé ou Grégoire, ils ont entre 15 et 20 ans et habitent le quartier de Yopougon à  Abidjan, en Côte d’Ivoire. Ils ont l’insouciance et les désirs de la jeunesse et c’est Aya qui raconte leur histoire. Contrairement à  ses amies, Aya est une jeune fille sage, elle sait ce qu’elle doit faire si elle veut un jour être médecin. Si elle désapprouve certains comportements de ses voisins ou parents, cela n’empêche ni l’affection ni l’amitié. A travers son regard, c’est tout un quartier qu’on investit, une langue riche et poétique, une façon d’accepter son sort avec un humour ravageur.Aya_41_12_078_1_.jpg

Aya de Yopougon est un film d’animation adapté de la bande dessinée éponyme, écrite par Marguerite Abouet et dessinée par Clément Oubrerie – les deux réalisateurs – publiée en 6 tomes, entre 2005 et 2010. D’origine ivoirienne, Marguerite Abouet parle de l’origine de cette histoire : « En réalité, c’est plutôt Akissi, la petite « sœur » d’Aya, qui me ressemble et qui a donné lieu à  un autre album de bande dessinée, illustré par Mathieu Sapin. Pour autant, l’histoire d’Akissi se déroule aussi à  Yopougon, ce quartier où j’ai grandi et qui fait partie de moi : c’est le noyau autour duquel je me suis construite et qui a nécessairement nourri mon imaginaire. Un enfant qui naît à  Yopougon peut vivre dans n’importe quel quartier du monde car on y trouve toutes les cultures et toutes les couches sociales. Du coup, on est obligé de vivre avec les autres, de les supporter et de les aimer, puisque tout se sait et que n’importe quel problème peut être résolu par ses voisins ! Ce sont donc mes souvenirs d’enfance que raconte « Akissi ». Par la suite, il a fallu faire grandir l’héroïne et j’ai imaginé Aya – je dis bien « imaginé » puisque je n’ai pas vécu mon adolescence en Côte d’Ivoire. À travers elle, je voulais raconter cette Afrique qui m’a été arrachée malgré moi et la partager avec le plus grand nombre. »

Pour parler d’une époque passée mais encore bien présente chez de nombreux spectateurs, comme ici les années 1970, le dessin animé permet d’enlever le côté léché ou artificiel d’une reconstitution trop précise. Abidjan, dans les dessins de Clément Oubrerie, s’anime à  l’écran. A la fois reconnaissable par ceux qui y ont vécus mais suffisamment intemporel et imaginaire pour que tous les spectateurs s’y retrouvent. Aya_46_02_214_1_.jpg

Aya de Yopougon est un film joyeux où le chaos du quotidien est accepté sans drame ni leçon de morale. La bonne entente d’un quartier, d’une famille, se fait lorsque des individus bien différents arrivent à  vivre ensemble. L’important, c’est de ne pas l’oublier ! Attention, ce n’est pas parce que ce film est un dessin animé qu’il est à  destination du très jeune public. Comme pour la bande dessinée, les sujets évoqués et l’humour caustique sont plutôt destinés aux adultes et adolescents à  partir de 12 ans.

Magali Van Reeth

Signis

Le Congrès

d’Ari Folman

Etats-Unis/France, 2012, 2h00

Festival de Cannes 2013, Quinzaine des Réalisateurs.

Sortie en France le 3 juillet 2013.

avec Robin Wright, Harvey Keitel

Mélange de film d’animation, de science-fiction et de drame contemporain, le nouveau film d’Ari Folman pousse très loin la réflexion sur les mondes virtuels.

Comment vivrons-nous dans 50 ans ? Les écrivains et les cinéastes posent souvent cette question et scrutent les changements de nos sociétés actuelles pour y répondre. Autrefois, on imaginait des moyens de locomotion extraordinaires et des univers métallisés et robotisés à  outrance. Aujourd’hui, on regarde du côté de la jeunesse éternelle et des petites pilules pour nous rendre heureux. Fuite ou progrès ? Le Congrès ne tranche pas vraiment mais sa vision de l’avenir est aussi fascinante que terrifiante.le-congres.jpg

Tout commence de nos jours, avec la mutation du cinéma traditionnel. Robin Wright, qui joue son propre rôle, est une actrice célèbre mais qui ne travaille plus beaucoup. Elle vit dans un ancien hangar plein de charme, au bord d’un aéroport, avec ses deux enfants, dont le plus jeune, Aaron, est gravement malade. Pour se mettre à  l’abri financièrement, mais aussi pour ressentir ce que son fils ressent, elle accepte de se faire « scanner » par un grand studio de production, la Miramount. Renonçant à  travailler, elle cède son image, son visage, ses gestes et la trace physique de ses émotions à  un producteur qui dès lors, en fera ce qu’il voudra. 20 ans plus tard, le monde a encore changé et, toujours en compagnie de Robin Wright, on s’enfonce un peu plus dans l’animation et dans le virtuel.

Ari Folman construit son film en trois parties. Dans la première, de vrais acteurs mettent en scène une situation tout à  fait compréhensible, entre une nouvelle technique qui pointe le jour et dont on a déjà  vu les résultats sur nos écrans, et une situation douloureuse pour une mère, écartelée entre son désir de travailler et son envie de protéger son fils handicapé. La beauté de l’actrice et la joie de ses enfants sont d’une luminosité fragile et délicate, presque palpable. 20 ans plus tard, on entre dans le monde de l’animation, un univers instable, changeant, surchargé de couleurs vives et de formes arrondies. La violence, la douleur, la jalousie sont mises à  distance : on vit d’autres vies que les siennes, pour oublier qui on est vraiment. Lorsque Robin Wright veut retourner dans le monde d’où elle vient pour retrouver son fils, on entre dans la troisième partie du film, la plus sombre, où les choix sont définitifs.le-congres2.jpg

Le Congrès utilise le genre de la science-fiction pour poser de véritables questions sur l’avenir du cinéma – comment le produire et à  quelle fin – et sur les mutations de nos sociétés. Les médicaments sont des substances chimiques de plus en plus perfectionnées pour garantir notre bien-être physique et surtout psychique. Pour ne pas voir notre visage se flétrir dans le miroir, de quoi sommes-nous capables ? Pour un peu de rêve, de fascination pour des images qui nous mettent en scène, jusqu’où irons-nous ? Que ferons-nous pour ne plus souffrir dans notre corps ? Qu’accepterons-nous pour divertir notre âme blessée ?

Ari Folman, mêlant le cinéma classique et le dessin animé, le vrai et l’imaginaire, soulève ces questions tout au long du film. Avec quelques maladresses (le côté esthétique de l’animation est un peu décevant) mais un beau dynamisme, notamment dans le scénario, complexe sans perdre le spectateur en route, il donne quelques pistes de réponses. L’absence du père, le vide des loisirs pour le divertissement sans fin, la pauvreté de l’imagination lorsqu’elle n’est que dans la reproduction ponctuent de bout en bout Le Congrès. Ceux qui n’ont rien d’autre à  faire que d’attendre la mort, sont ceux qui n’ont personne à  aimer.

Magali Van Reeth

Signis

Festival Lumière 2013

Lancement de la nouvelle édition du Lumière 2013

La particularité de ce festival de cinéma est de montrer des films classiques, notamment ceux qui ont été nouvellement restaurés. Ils sont projetés à  l’Institut Lumière, centre de ce festival, mais aussi dans toutes les salles de cinéma du Grand Lyon.

lumiere2013.jpg

Un hommage particulier sera rendu à  Ingmar Bergman et Henri Verneuil : l’occasion unique de découvrir leurs films pendant toute la semaine. Des événements célébreront aussi les transformations des techniques de réalisation et de projection, notamment autour du 35mm. Enfin, un Marché du Film classique se tiendra pendant toute la durée du Festival Lumière 2013.

Le prix Lumière 2013 sera remis au cinéaste et cinéphile américain Quentin Tarantino. Ce prix récompense un réalisateur pour l’ensemble de son œuvre. L’an dernier, c’est Ken Loach qui avait été récompensé.

Le programme complet du festival sera bientôt disponible dans le site http://www.festival-lumiere.org/ où les places sont déjà  en vente pour la grande soirée d’ouverture, à  la Halle Tony Garnier, le lundi 14 octobre à  19h45.

logo_lumire_2013.gif

Ce festival est organisé par l’Institut Lumière, Le Grand Lyon, le Conseil général du Rhône et le Centre national du cinéma et une soixantaine de partenaires privés.

Millefeuille

de Nouri Bouzid

Tunisie/France/Emirats arabes unis, 2012, 1h45

Festival cinémas du sud de Lyon.

Sortie en France le 5 juin 2013.

avec Souhir Ben Amara, Nour Meziou, Lofti Abdelli, Bahram Aloui.

Pour réussir un millefeuille, il faut des ingrédients très différents, un dosage parfait, de la délicatesse et du savoir-faire : sa réussite est tout aussi complexe que le vivre ensemble dans un pays en pleine mutation.

Si le titre français à  la saveur délicieuse d’une pâtisserie aussi légère que gourmande, il ne faut pas si fier. En arabe, le titre est Manmoutech : « je ne mourrai pas » Film après film, le réalisateur et scénariste tunisien Nouri Bouzid parle de ces hommes et ces femmes du Maghreb, coincés entre modernité et islam. Les femmes surtout qui payent de leur liberté, physique et intellectuelle, le dévouement à  leurs proches.21003835_20130507104336862.jpg

Zaineb et Aicha sont deux jeunes femmes, très amies, très complices. Elles travaillent dans la même pâtisserie élégante du centre-ville. A première vue, Zaineb semble la plus indépendante. Elle s’habille à  l’Européenne, a un fiancé dans le « bizness », dont la famille habite en France, et des parents plutôt compréhensifs face à  ses projets. Pour Aicha, la vie est plus sombre. Elle élève seule deux jeunes sœurs et ne sort jamais sans un voile soigneusement fixé sur sa chevelure. Deux événements vont bouleverser leur quotidien : la sortie de prison d’Hamza, le frère de Zaineb, la bouche pleine de phrases violentes pour imposer un intégrisme social et religieux, autrefois amoureux d’Aicha. Et Brahim, le fiancé à  la belle voiture qui, comme en passant, déclare que sa mère aimerait que Zaineb se couvre la tête.

Nouri Bouzid parle de la chance d’avoir pu tourner le film entre la fin des troubles de la Révolution et la mise en place d’un nouveau gouvernement. Cela lui a donné une grande liberté Si le film dénonce clairement la montée d’un islam outrancier, notamment chez les jeunes, il dénonce tout aussi clairement le rôle négatif des mères dans la transmission de traditions archaïques. Lorsque le fiancé Brahim annonce qu’il aimerait qu’Aïcha se couvre la tête, c’est au nom de sa mère et c’est la propre mère d’Aïcha qui s’empare de ce désir pour lâcher prise à  ses peurs. C’est l’une des scènes les dures du film, celle qui montre le rôle terrible des mères qui imposent à  leurs enfants leurs propres humiliations, leur propre enfermement. Et la lâcheté des pères qui se taisent.21003828_20130507104333471.jpg

Millefeuille redonne leurs responsabilités aux jeunes générations qui ont à  gérer cette Révolution. Comme Hamza, le jeune islamiste « dupé », tous croient en un avenir meilleur mais tous n’ont pas la détermination d’Aicha, qui sait parfaitement pourquoi elle choisit librement de ne pas sortir sans un foulard sur la tête. L’accordéoniste, si maltraité, est-il une métaphore de la place de la culture dans cette nouvelle société ? Une piste à  ne pas négliger pour l’éducation des nouvelles générations ?

Nouri Bouzi : « Je crois que la Tunisie a besoin d’un message de coexistence et non de concurrence. Il faut arrêter de violenter l’autre pour ses choix de société ou de vie. Il ne s’agit pas de pousser tout le monde à  être laïc. La religion occupe une place primordiale chez beaucoup de gens, mais c’est une affaire privée. Une conviction ne s’impose pas, elle se partage. »

Millefeuille a été présenté en avant-première au festival Cinémas du sud de Lyon, en mai 2013.

Magali Van Reeth

Signis

Le Passé, prix oecuménique Cannes 2013

d’Asghar Faradhi

France, 2013, 2h10

Festival de Cannes 2013, compétition officielle, prix oecuménique et prix d’interprétation féminine pour Bérénice Béjo.

Sortie en France le 17 mai 2013.

avec Bérénice Béjo, Tahar Rahim, Ali Mosaffa

Pour son premier film tourné en Europe, Asghar Faradhi ausculte brillamment les tensions domestiques, entre héritage du passé et projections dans l’avenir, notamment à  travers la souffrance des enfants dans les familles recomposées.

Après avoir remporté l’Ours d’or et le prix œcuménique à  la Berlinale 2011, avec Une Séparation, le réalisateur iranien a remporté la bourse du programme Media pour produire son prochain film en Europe. Tourné en France avec des acteurs français et iraniens (Bérénice Béjo, Tahar Rahim et Ali Mosaffa) , Le Passé est en sélection officielle au Festival de Cannes 2013.20540900.jpg

Comme dans ses précédents films, Asghar Faradhi porte une attention minutieuse à  l’enchevêtrement des événements, aux gestes infimes, aux paroles anodines qui se répercutent et provoquent une escalade de malentendus, de blessures, d’humiliation et d’incompréhension. Cette fois encore, le drame reste au niveau domestique et on ne quitte pas le cœur de la famille. Le personnage principal s’appelle Marie, elle a deux enfants, Lucie et Léa, un nouveau conjoint, Samir et son fils Fouad, et elle se rend à  l’aéroport accueillir son ex-mari, Ahmad, pour officialiser leur divorce. Très vite, son arrivée va révéler les tensions de cette famille très recomposée, les restes d’un amour passé et les espérances déçues.

Comme dans ses précédents films, le réalisateur maîtrise, avec une élégance fluide et discrète, ces scènes où les dialogues, au départ anodins, autour d’une recette de cuisine, de la bêtise d’un enfant ou d’un horaire à  respecter, s’enveniment peu à  peu. L’énervement et la maladresse font une irruption presque physique à  l’image. Difficile, au fur et à  mesure que le film se déroule, de ne pas penser que la dernière scène d’Une Séparation n’était que l’ouverture du Passé : la détresse des enfants face aux réactions des adultes, au choix de leurs parents et de leurs conjoints, est une source de souffrance.20540896_jpg-r_640_600-b_1_D6D6D6-f_jpg-q_x-xxyxx.jpg

Si dans les précédents films d’Asghar Faradhi on comprenait très bien que des acteurs iraniens tournant en Iran, respectent certains codes usuels, on est un peu surpris de les retrouver ici. Marie et Samir, ne se touchent jamais, ne s’embrassent pas. Dans un film occidental, cette absence de contact physique est le signe certain d’un manque de sentiments. Certes, le rapport sexuel n’est pas obligatoire mais un peu plus de tendresse et de contact auraient ôté le doute qui nous envahit face à  cette distance physique. Marie est-elle vraiment amoureuse de Samir ?

Asghar Faradhi veut peut être ce doute, de même qu’il refuse de répondre à  nos questions. C’est au spectateur d’entrer dans le film pour comprendre quels liens unissent tous ces personnages et où se situe la vérité. Ahmad est persuadé que seule la vérité peut alléger la faute et ramener l’apaisement dans cette famille en devenir mais il est bien le seul ! La dernière scène, où cette fois aucune parole ne vient accompagner l’intensité de ce qui se déroule sous nos yeux, loin de clore le film, l’ouvre encore plus.

Au Festival de Cannes 2013, ce film a obtenu le prix du jury oecuménique : http://www.signis.net/article.php3?id_article=5745

Magali Van Reeth

Signis

Les Bobines du sacré

L’Institut supérieur d’étude des religions et la laïcité de l’Université Lyon II propose un cycle de projections et de conférences autour du cinéma et des religions.

Du 30 mai au 1er juin 2013, des tables rondes ayant pour thème « Filmer le religieux » ou « Quand religion et culture s’affrontent » alterneront avec des séances suivies d’un débat.

Les tables rondes/conférences ont lieu à  l’amphithéâtre Huvelin, quai Claude Bernard (Lyon 7ème) et l’accè est gratuit. La projection du film Persepolis de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud est prévue au cinéma Le Zola de Villeurbannel le jeudi 30 mai et le film Luther d’Eric Till est projetté au cinéma Opéra le vendredi 31 mai.

Le programme complet est disponible dans le site de l’ISERL : http://www.univ-lyon2.fr/actualite/actualites-scientifiques/les-bobines-du-sacre-527126.kjsp?RH=1256119757306

Mud, sur les rives du Mississipi

de Jeff Nichols

Etats-Unis, 2012, 2h10

Festival de Cannes 2012, compétition officielle.

Sortie en France le 1 mai 2013.

avec Matthew McConaughey, Tye Sheridan, Jacob Lofland, Sam Shepard.

Sur les berges du fleuve mythique, deux adolescents découvrent la complexité des adultes en goûtant à  d’étonnantes aventures et rencontres : mystères, passions et violences sont au rendez-vous.

Pays phare du « nouveau monde », les Etats-Unis ont développé leurs propres mythes, à  partir de la culture européenne, tout en s’en détachant peu à  peu. Parmi les thèmes récurrents, celui du passage de l’enfance à  l’âge adulte a une place prépondérante, sans doute parce qu’il est l’expression même de ce détachement par rapport à  l’ancienne Europe. Depuis Mark Twain, nombreux sont les romans et les films qui traitent de ce sujet.20090463.jpg

Ellis a 14 ans, il vit au bord du fleuve dans une maison en bois, presque similaire à  celles des voisins. Mais son foyer est doublement en danger. D’une part les autorités administratives ont déclaré illégales ces constructions au bord de l’eau, et d’autre part, ses parents se disputent tellement qu’il craint une séparation. Fuyant l’atmosphère lourde de la maison, mais aussi par désir de liberté, Ellis passe ses journées dehors avec son ami Neck et ensemble, ils découvrent le monde. Et Mud, un étranger tombé du ciel, fascinant personnage qui les traitent comme des égaux et leur parle du grand amour de sa vie.

Pour le réalisateur Jeff Nichols, Mud est un hommage à  l’ambiance particulière qu’on trouve encore aujourd’hui au bord du Mississipi. Depuis Mark Twain, la puissance romanesque de ce fleuve, particulièrement calme et sinueux, est profondément ancrée dans la culture américaine. C’est le refuge de la vie sauvage, de l’enfance innocente et de la liberté sans condition, pourvu qu’on sache déjouer tous les dangers de la nature. Les très belles images du film, l’émotion retenue qu’il contient et la fluidité de la mise en scène rendent bien la force sourde du fleuve et l’atmosphère unique de ses berges. Au bord du Mississipi, tout peut arriver, les événements inexplicables comme les mensonges, et la douceur de vivre se mêle inextricablement à  la violence des sentiments. 20514511.jpg

Ellis et Neckbone sont interprétés par Tye Sheridan et Jacob Lofland, deux jeunes acteurs qui leur donnent ce qu’il faut de naturel et de timidité pour camper ces adolescents avides de découvrir les secrets du monde et des adultes. Leur innocence, un temps exploité par Mud, va se heurter à  l’éveil de leur conscience. Mais pour Jeff Nichols, c’est l’amour qui est au centre du film. Cet amour qu’Ellis cherche à  décrypter à  travers les disputes de ses parents, son attirance pour une camarade de classe et les récits brillants et intenses de Mud (Matthew McConaughey, toujours excellent en voyou).

A la fois polar, portrait d’une petite communauté à  l’écart des grands courants de la société et film d’aventures où les protagonistes ont encore l’âge de croire au merveilleux, Mud, sur les rives du Mississipi est un beau film. Son atmosphère particulière imprègne longtemps les spectateurs et laisse ce qu’il faut de mystère pour qu’on s’y attache.

Magali Van Reeth

Signis

Festival Cinémas du sud

Pour la treizième année, l’association lyonnaise Regard Sud organise avec l’Institut Lumière un cycle de projections de films contemporains en provenance du sud de la Méditerranée.

Faisant la part belle aux femmes cinéastes et aux documentaires, ce Festival des cinémas du sud s’ouvrira jeudi 2 mai avec L’Amante du Rif, le nouveau film de Narjiss Nejjar (Maroc). Et c’est la Tunisie, avec Nouri Bouzid, qui viendra présenter son dernier film, Millefeuille, dimanche 5 mai pour clôturer ces rencontres.

Une occasion unique de découvrir des artistes syriens, égyptiens, libanais, algériens, palestiens qui témoignent des mutations récentes de leurs pays.

Toutes les projections ont lieu à  l’Institut Lumière.

Les séances seront présentées et animées par Abdellah Zerguine, directeur artistique de Regard Sud, et Michel Amager, journaliste et critique de cinéma à  RFI.

Le programme complet est disponible dans le site de l’Institut Lumière : http://www.institut-lumiere.org/festival-cinemas-du-sud.html

La Sirga

de William Vega

Colombie/Mexique/France, 2012, 1h34

Festival de Cannes 2012, sélection Quinzaine des réalisateurs.

Sortie en France le 24 avril 2013.

avec Joghis Seydun Arias, Julio Cesar Robles, Floralba Achicanoy, David Guacas, Heraldo Romero.

Avec un film grave et silencieux, remarquablement construit, le jeune réalisateur colombien William Vega dénonce la violence de son pays, tout en affirmant l’importance de l’art comme espérance pour les plus démunis.

Un film envoutant où tout, le lieu, les acteurs, le ton, la qualité de la photo nous font vivre une expérience particulière où ressort l’essence même de notre humanité. La première image nous montre un paysage lacustre, où l’humidité du ciel se reflète dans la surface grise de l’eau et dans la démarche épuisée d’une jeune fille silencieuse. Elle s’effondre dans un froissement d’herbes.La_Sirga-1.jpg

C’est la Colombie, un pays ravagé par les guerres civiles. Les parents d’Alicia sont morts dans le saccage de leur village et elle s’est enfuie à  pieds pour se réfugier chez Don Oscar, un oncle qu’elle connaît à  peine. Il habite une grande maison délabrée au bord de la lagune. C’est un pêcheur, un homme peu loquace que l’arrivé d’Alicia dérange.

La Sirga est le nom de cette bâtisse de bois dont le toit laisse passer le vent et la pluie, dont les plancher s’effondrent et que Don Oscar veut transformer en auberge pour accueillir les touristes. Elle est à  l’image de la Colombie, toujours en réparation, toujours au bord de la ruine, en proie aux violences quotidiennes. Les deux femmes chargées de l’entretenir et de l’embellir ont beau faire et réussir à  lui donner un air pimpant, on sait bien qu’aucun touriste ne viendra par ici.La_Sirga-2.jpg

Le réalisateur William Vega a voulu dénoncer la violence de son pays sans la montrer. La guerre reste un murmure, une inquiétude invisible, une menace constante. Elle est la tristesse d’Alicia et la peur qui la jette hors du lit chaque nuit. Cette guerre si présente est un poids silencieux et oppressant pour tous les habitants de la lagune. Un mystère qui met de la distance entre tous. Ici, on se vouvoie même en famille, on ne se touche pas et la joie est absente.

Pourtant, même noyée sous les pluies incessantes et baignée d’une lueur grise, cette lagune est un lieu étonnant. Non pas désespérant mais chargé d’une énergie qu’on sent prête à  jaillir, quasi spirituelle. Mystérieuse, envoutante. Elle est d’ailleurs le domaine de Gabriel, cet ange gardien sauveur d’Alicia, le seul être capable de rire et de faire des projets d’avenir. Quand il n’est pas entrain de sillonner le lac sur sa barque, pour des courses dont on ne saura rien, il sculpte une petite figurine en bois, qu’il appelle Eva et offre à  Alicia. C’est lui aussi qui sort Alicia de la maison pour une promenade de l’autre côté de la lagune, à  Santa Lucia, un endroit si beau qu’on a « l’impression d’y voir Dieu ». Dans le chaos d’un pays déchiré par les armes, les menaces et la pauvreté, la beauté reste une évasion, une consolation et une espérance.sirga11.jpg

Pour ce premier long-métrage, William Vega a participé au programme d’aide à  la réalisation, Cinéma en construction. Deux fois par an, au Festival de San Sebastian en Espagne et aux Rencontres des cinémas d’Amérique latine de Toulouse en France, des professionnels du cinéma se réunissent pour aider des films, venant du continent sud-américain, en phase de post-production et de distribution. La Sirga a remporté le prix Cinéma en construction à  Toulouse en 2011. Il a ensuite été sélectionné dans plusieurs festivals, dont Cannes à  la Quinzaine des réalisateurs.

Magali Van Reeth

Signis

La Playa

de Juan Andrés Arango

Colombie/France/Brésil, 2012, 1h30.

Festival de Cannes 2012, sélection Un Certain Regard

Sortie en France le 17 avril 2013.

avec Luis Carlos Guevara, James Solis, Andrés Murillo.

Enfant des rues en Colombie, Tomà¡s essaye malgré tout de s’en sortir. Un film sensible pour dire une terrible réalité et un monde en mutation.

On peut tout de suite lever l’ambiguïté du titre espagnol : de cette plage là , on ne verra jamais la mer. La Playa DC est un quartier pauvre de Bogota, en Colombie et les touristes n’y viennent pas. Tomà¡s est un bel adolescent, un peu raide dans son corps, en perdition dans ses journées. Peu à  peu, comme dans les contes de fées européens d’un autre âge, on comprend que son beau-père l’a mis à  la porte de la maison familiale.20086351.jpg

Son errance dans le quartier pour trouver un logement, un repas, un moyen de s’en sortir, est ponctuée de rencontres et c’est tout un autre univers qui vient à  nous. Avec un infini respect pour les protagonistes mais sans masquer la souffrance quotidienne de Tomà¡s et de ses frères, La Playa raconte un quotidien terrible. Pauvreté, drogue, abandon, une jeunesse innocente est sacrifiée dans l’indifférence la plus totale. Tous ceux qu’on croise ont aussi leur survie à  assurer dans cette grande misère collective.

Mais à  travers l’histoire de Tomà¡s et de ses frères, c’est le portrait d’une ville en mutation. Depuis quelques années, la population afro-colombienne, chassée de leur campagne par la guerre civile, afflue massivement vers les grandes villes. Ces descendants d’esclaves se heurtent à  la crise économique et à  l’hostilité des populations blanches. Sans renier sa couleur noire, ni sa famille proche, Tomà¡s va trouver un « presque travail » et un semblant d’avenir. 20502391.jpg

Premier long métrage de Juan Andrés Arango, La Playa est un très beau film, aux images soignées. La gamme chromatique, mêlant les tons bleu et noir, donne une atmosphère à  la fois douce et amère à  cette histoire. Les trois acteurs qui interprètent les trois frères, à  la fois très différents mais unis par la même détresse, sont justes et très à  l’aise dans leur rôle. Notamment Luis Carlos Guevara qui sait donner au personnage de Tomà¡s une grande détermination sous une apparente timidité. Enfin, en tant que spectateur, on est sensible au léger rayon d’espoir qui apparaît à  la fin du film.

Magali Van Reeth

Signis