La Belle endormie

de Marco Bellocchio

Italie/France, 2012, 1h50

Festival de Venise 2012.

Sortie en France le 10 avril 2013.

avec Alba Rochwacher, Isabelle Huppert, Toni Servillo.

Une décision de justice sur la fin de vie enflamme la vie politique d’un pays. Ce film de Marco Bellocchio, par les chemins détournés de la fiction, élargi notre propre réflexion.

Novembre 2008 : la justice italienne autorise le père d’Eluana Englaro, dans le coma depuis 17 ans, a interrompre l’alimentation artificielle qui la maintient en vie. Les catholiques ultra conservateurs vont aussitôt manifester contre cette décision, ce qui va permettre aux partisans d’une évolution plus libérale et plus actuelle de la société de prendre eux aussi part à  ce débat. Médias, petits groupes politiques extrémistes, élus et hommes d’Eglise, chacun prend la parole dans une belle cacophonie. Si l’idée de départ du nouveau film de Marco Bellocchio est précise et bien documentée, la force de son film va bien au-delà  de l’événement. Certes, le débat sur la fin de vie est bien au centre de La Belle endormie mais sa mise en fiction permet au spectateur de mieux cerner la part émotionnelle et irrationnelle de chaque individu.20189330.jpg

Le film s’ouvre avec Maria, jeune militante catholique manifestant par la prière publique contre cette décision de justice et Roberto, beau jeune homme qui manifeste dans le camp adverse, encombré d’un frère ingérable. On verra aussi Uliano, homme politique sincèrement perplexe quand à  la prise de position de son propre parti, une jeune femme toxicomane voulant mettre fin à  ses jours, et une mère dévouée jusqu’à  la folie auprès de sa fille transformée en Belle au bois dormant. A travers les motivations de chacun de ses personnages, La Belle endormie questionne les raisons profondes de notre empathie et de nos choix.

Le débat autour de la mort clinique et de la mort réelle, celui sur la fin de vie est, pour Marco Bellocchio, un débat sur le sens de la vie. Les personnages sont tour à  tour des endormis, refusant de voir l’évidence puis se transforment en héros des temps modernes, voulant sauver l’Autre. Mais comment et pourquoi sauver l’Autre ? Un sénateur, au moment de voter une loi, et même en se donnant le temps de la réflexion, ne peut éliminer ses propres souvenirs. Une mère peut étouffer son enfant par trop de dévotion ou par manque d’attention. Et un acte irraisonné, spontané, peut changer le cours d’une vie.20199381.jpg

En partant d’un débat de société et en poussant la fiction jusqu’au conte de fées – révélateur de nos pulsions les plus primaires – Marco Bellocchio montre l’importance du vécu et de l’inconscient dans nos prises de position politiques. La Belle endormie, en croisant des personnages très différents, montre la complexité du débat et donne aux spectateurs un recul nécessaire et bienvenu.

Magali Van Reeth

Signis

11.6

de Philippe Godeau

France/Belgique, 2012, 1h42

Sortie en France le 3 avril 2013.

avec François Cluzet, Bouli Lanners, Corinne Masiero.

Un voleur très ordinaire pour le casse du siècle et un film surprenant qui enlève tout le rocambolesque du genre pour se concentrer sur le mystère du personnage et ses motivations.

A Lyon, en novembre 2009, Tony Musulin, convoyeur de fonds depuis des années et salarié sans histoire, part un jour avec le chargement qu’il est censé protéger. Un vol sensationnel, sans un seul coup de feu, sans aucune violence. Une somme d’argent énorme, qu’il rendra presque intégralement quelques temps plus tard. Un mystère que la police n’a pas encore élucidé. L’homme est encore en prison pour quelques mois. Cette affaire fortement mystérieuse et romanesque, après avoir fascinée les médias pendant de longues semaines, se retrouve logiquement au cinéma. On pouvait craindre le pire, comme souvent quand il s’agit d’histoires vraies, basées « sur des faits réels » mais 11.6 est une belle réussite qui surprendra de nombreux cinéphiles. 116_12.jpg

Le ton adopté par le réalisateur Philippe Godeau va à  l’encontre des clichés habituels en cas de cambriolage rocambolesque. Loin du grand spectacle, 11.6 s’interroge sur les motivations du personnage. Que penser d’un homme qui va tous les jours travailler en vélo et qui un jour achète une Ferrari ? Que penser d’un homme, toujours à  l’heure au travail, apprécié par ses chefs, qui un jour part avec l’argent qu’il est chargé de convoyer d’une banque à  l’autre ? Pas un petit montant, 11.6 millions d’euros. Un homme mutique, qui ne donne aucune explication lors de son procès mais des fausses pistes pleine d’humour. Et laisse une ardoise de 2 millions lorsqu’il se rend.116_17.jpg

Philippe Godeau : « Il ne s’agissait pas d’une reconstitution. Il fallait prendre nos distances et réinventer le réel. Par exemple, nous avons appris que Toni Musulin s’était violemment disputé avec son co-équipier peu de temps avant le casse Nous avons supposé que cette brouille avait été provoquée par Musulin pour protéger son ami. Comme la séparation avec sa compagne. Nous n’en avons pas de certitude. C’est une hypothèse de fiction. Mais parfois, plus on s’éloigne, plus c’est fidèle. C’est un processus étrange : on est nourri, imbibé du réel puis l’histoire se développe, avec sa part de fiction et vient un moment où on ne fait plus la différence. À force de fixer son regard sur un objet, il arrive qu’une logique mystérieuse s’ouvre à  vous. Celle des paradoxes et contradictions d’une existence. »20484312.jpg

Le réalisateur donne donc des pistes pour comprendre les motivations de Toni Musulin, notamment en développant le contexte social. Celui d’une époque, celle de la crise financière où les banques sont devenues « méchantes », les patrons forcément cupides et l’héroïsme surtout virtuel. Voler une banque maintenant qu’on connaît leurs responsabilités dans la détérioration de notre quotidien, est-ce encore un mal ? Le personnage de Toni Musulin est un salarié ordinaire, pas forcément humilié par ses chefs mais pas vraiment reconnu autant qu’il le voudrait. Un homme de la « France d’en bas » qui méprise ses semblables mais protège le souffre douleur de sa boîte. Un homme avide de reconnaissance mais pas assez cultivé pour la chercher ailleurs que dans les grosses voitures rouges. Un homme aux mâchoires serrées, à  qui on n’a pas appris la tendresse et qui donc la refuse.

Bien sûr, la réussite du film, c’est aussi François Cluzet, dont la force de jeu est impressionnante. Que ce soit dans Les Intouchables d’Eric Toledano et Olivier Nakache ou dans A l’origine de Xavier Giannoli, ses interprétations sont justes et brillantes. Dans la comédie comme dans le drame, il excelle à  faire passer des émotions complexes et fines sans passer par les mots. Philippe Godeau avait déjà  tourné avec lui dans Un Dernier pour la route (2009), histoire d’un alcoolique en cure de désintoxication. En compagnie de Corinne Masiero et de Bouli Lanners, François Cluzet arrive à  donner à  ce Toni Musulin là  ce qu’il faut de charme et de mystère pour le rendre intéressant sans toutefois en faire un personnage aimable. Dans cette ambigà¼ité repose la force du film.116_09.jpg

Polar à  la marge de ce genre cinématographique, il est tourné à  Lyon, et à  la marge de cette agglomération, dans ses quartiers en construction. Une ville en chantier, en devenir, débordant sur le fleuve et la confluence où se mêlent les élans d’autrefois et les désirs d’avenir. A l’image de ce film sans dénouement classique mais fascinant par la façon dont il assume ses partis-pris.

Magali Van Reeth

Signis

La Religieuse

de Guillaume Nicloux

France/Allemagne/Belgique, 2012, 1h54

Sélection officielle Berlinale 2013

Sortie en France le 20 mars 2013.

avec Pauline Etienne, Louise Bourgoin, Isabelle Huppert.

Nouvelle adaptation du célèbre roman de Diderot, cette religieuse-là  insiste sur le désir de liberté et de choix consenti, dans une époque bien rude pour les femmes.

Ce roman de Denis Diderot a longtemps été considéré comme très anticlérical. Ecrit à  partir de 1780 et publié de façon posthume en 1796, il dénonce avec justesse une société très contraignante pour les femmes, les enfants illégitimes et les égarements de certains ordres religieux. Contraintes malheureusement encore actuelles au 21ème siècle, dans certains endroits du monde. Les réflexions pertinentes de l’encyclopédiste français, prêtre de formation, philosophe, écrivain et polémiste qui voulait d’abord partager le savoir et la connaissance entre le plus grand nombre d’individus, sont toujours d’actualité.La_Religieuse_4.jpg

On peut s’étonner que ce soit le réalisateur Guillaume Nicloux qui nous propose aujourd’hui cette relecture de La Religieuse. Cinéaste inclassable, s’amusant autant avec un polar gentiment grivois (Le Poulpe, 1998) qu’avec le fantastique (Le Concile de pierre, 2006), il aime s’écarter des sentiers battus et mélanger les genres. Et surprendre encore une fois les spectateurs.

Le cinéaste suit de près la trame narrative du roman de Diderot. Suzanne est une très jeune fille que ses parents obligent à  aller au couvent car ils se sont ruinés pour marier ses sœurs aînées. Ce qui n’était que temporaire devient définitif lorsque Suzanne apprend qu’elle est un enfant illégitime et qu’elle doit expier les fautes de sa mère. Après avoir accepté cette situation, elle se révolte pour sortir d’une vie monacale qu’elle n’a pas librement choisie. C’est un combat éprouvant, aussi bien physiquement que moralement, contre une institution puissante. Mais aussi contre des traditions solidement installées, contre une société qui ne reconnaît pas le libre choix des femmes et des individus.La_Religieuse_1__c_SylvieLancernon.jpg

La religieuse de Guillaume Nicloux a les traits de l’actrice Pauline Etienne, jeune actrice belge qu’on avait découverte dans le beau film de Léa Fehner, Qu’un seul tienne et les autres suivront (2009). Sur son visage au teint transparent se lisent toutes les tensions intérieures de Suzanne, partagée entre sa foi sincère, son désir de liberté, sa peur de refuser un destin inéluctable et les violences que ce choix engendre. Elle n’a pas la vocation à  devenir religieuse et dans ce 18ème siècle où Les Lumières commencent tout juste à  secouer les consciences, elle n’a aucune place hors du couvent.

On peut être agacé par la facilité avec laquelle Guillaume Nicloux joue de l’esthétisme des habits religieux et des couvents. A trop se concentrer sur la dramaturgie des lieux et le graphisme des vêtements, il peine à  en faire partager la spiritualité. Heureusement, Pauline Etienne incarne de bout en bout la grâce, non pas la grâce ordinaire qui se confond trop avec la beauté, mais la grâce divine qui fait rayonner cette beauté. On apprécie aussi Louise Bourgoin en mère supérieure aussi mielleuse que méchante mais moins Isabelle Huppert qui tourne en dérision la tragique complexité de l’Amour et des confusions qui en découlent.

Mais, soignant la lumière et la photo, il souligne la foi de Suzanne, cette foi qui lui permet d’endurer les tourments quotidiens, les humiliations et les privations. Jusqu’au bout, elle espère et elle prie pour garder la force de s’opposer à  l’inébranlable société religieuse et civile qui veut la garder emprisonnée dans une vie qu’elle n’a pas choisie. Dans ce film, auquel il donne une fin moins pessimiste que Diderot, le réalisateur met en avant ce combat, toujours captivant et d’actualité lorsqu’il faut décider, par soi-même, de son destin.

Magali Van Reeth

Signis

L’Artiste et son modèle

de Fernando Trueba

Espagne, 2012, 1h45.

Festival de San Sebastian 2012, prix du meilleur réalisateur.

Sortie en France le 13 mars 2013.

avec Jean Rochefort, Aida Folch, Claudia Cardinale.

Insensible à  la guerre qui bouleverse son environnement, un artiste vieillissant cherche l’inspiration. Le désir de créer, et de vivre, lui est rendu par un nouveau modèle.

Dans un petit village des Pyrénées, à  l’été 1943, un artiste reconnu et déjà  âgé, traverse avec peine l’ennui quotidien. Sculpteur, il a perdu l’inspiration, l’envie de créer et sans doute l’envie de vivre. Ses promenades dans la campagne, devant la fulgurante beauté de la nature, le renvoie à  son impuissance artistique. Sa femme lui propose un nouveau modèle, une jeune femme « dans son style ».

Le réalisateur espagnol Fernando Trueba porte en lui cette histoire depuis longtemps. S’il a choisi de filmer en noir et blanc, c’est pour rester dans l’ambiance des ateliers d’artistes du début du 20ème siècle. C’est aussi pour mieux rendre le volume des sculptures monumentales, pour travailler la lumière naturelle dans les branches des arbres en lui donnant une densité unique. L’Artiste et son modèle est dédié à  son frère, sculpteur décédé en 1996, un homme secret qui ne travaillait « pas avec les mots ». C’est l’acteur français Jean Rochefort qui interprète Marc Cros, et Claudia Cardinale, sa femme. lartiste05.jpg

Le choix de tourner en France et avec des acteurs français était aussi une évidence pour Fernando Trueba. Hommage de son attachement à  ce pays voisin mais aussi évidence historique : la France, dans le sillage de Picasso, fut un grand centre artistique mondial. Le modèle est une belle et jeune actrice espagnole, Aida Folch, dont les formes voluptueuses, filmées avec grâce et sans aucune vulgarité sont, on le comprend, une véritable source d’inspiration.

Si le film est par moment maladroit, encombré de béquilles romanesques qui n’apportent rien au cœur de l’histoire – comme l’incident du jeune résistant – Jean Rochefort et Fernando Trueba arrivent à  rendre le mystère et les difficultés de la création artistique. Avec comme seule musique les bruits de la vie et une lumière splendide, que ce soit dans l’atelier ou en extérieur, ils emportent le spectateur dans le cheminement sensuel et intellectuel du travail artistique. Réflexions sur la difficulté de créer, de trouver l’inspiration, hommage au talent d’autres artistes, le regard de l’acteur et ses gestes nous emportent au cœur de l’art de créer et de transcender le réel. lartiste06.jpg

Au milieu de la guerre, Marc Cros, homme et artiste, a perdu confiance dans le genre humain. L’arrivée de Mercè lui redonne du désir, aiguise son regard, donne de l’élan à  son crayon, du sens à  ses gestes. Avec ce nouveau modèle, le sculpteur peut enfin façonner l’œuvre d’une vie. La statue qui nait alors grâce à  ses outils et à  son inspiration prend les contours de La Méditerranée de Maillol. Un style différent du reste de l’atelier de Marc Cros mais une œuvre qui ressemble tant à  l’actrice qu’on peut comprendre cet anachronisme. Il n’est pas étonnant que Jean Rochefort ait envie de terminer par ce rôle sa longue carrière de comédien. Au-delà  des mots, il lui permet d’utiliser toutes les facettes de son talent pour exprimer, avec son corps et son cœur, la complexité intense de l’expression artistique. Pour Fernando Trueba, la fin du film, et la mort choisie par l’artiste, n’est pas tragique mais « un hymne d’amour à  la vie ». L’Artiste et son modèle est l’épilogue d’une vie, un moment de grâce qui redonne du souffle à  un artiste et à  un homme.

Magali Van Reeth

Signis

Au Bout du conte

d’Agnès Jaoui

France, 2012, 1h52

Sortie en France le 6 mars 2013.

avec Agnès Jaoui, Agathe Bonnitzer, Jean-Pierre Bacri, Arthur Dupont, Benjamin Biolay.

Entre le merveilleux des contes de fées et le désenchantement du quotidien, un film joyeux et coloré sur les mille et une façons de s’aimer et de vivre longtemps après.

« Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants » : partant de ce célèbre envoi de conte de fées, Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri ont écrit le scénario d’une comédie enchantée. Brodant sans cesse autour des thèmes des contes traditionnels, le film décline aussi plusieurs façons de s’aimer, de désirer et de se séduire. Y compris quand ça va mal ou qu’il n’y a pas d’enfant. 4ème long-métrage d’Agnès Jaoui, Au Bout du conte met en scène des personnages tiraillés entre le rationnel et le merveilleux, le croire en Dieu et la superstition.20400068.jpg

Interprétant le rôle d’une bonne fée en charge d’un théâtre d’enfants, d’une marraine épongeant les pleurs d’une jeune fille trop naïve, Agnès Jaoui est une gentille mère de substitution. Maladroite, généreuse et colorée. Son compère Jean-Pierre Bacri décline le personnage dans lequel il excelle : le quinquagénaire bougon, râleur, divorcé et dépressif, soudain envahit par la peur de mourir subitement. Il est moniteur d’auto-école de profession. Comme si seul un vrai pessimiste pouvait enseigner l’art de la conduite, les rouages du dépassement et le respect du règlement.

Parmi les autres trouvailles étonnantes, une belle-mère épineuse dont le visage trop jeune se froisse parfois d’une vieillesse incongrue et menaçante. Benjamin Biolay en loup séducteur de Petit Chaperon Rouge, un prince charmant qui perd son soulier et une princesse en robe rouge, tout à  la fois Belle au Bois dormant et Blanche Neige. C’est pour célébrer leurs fiançailles que tous se réunissent.

Tout au long du film, on sent que les acteurs ont pris beaucoup de plaisir à  interpréter leur rôle, les scénaristes à  tricoter les thèmes anciens du conte avec les nouvelles relations conjugales et familiales. Les plans sont truffés de petits détails rappelant tel ou tel personnage traditionnel, les décors, les costumes et les situations replongeant sans cesse l’ordinaire des personnages modernes dans l’univers merveilleux du conte.20470656.jpg

« Je crois à  tout ce qui fait du bien » dit Agnès Jaoui. Avec Au Bout du conte, elle nous offre un beau cadeau, de ceux qui font du bien et mettent des étoiles dans les yeux des spectateurs.

Magali Van Reeth

Signis

Elefante blanco

de Pablo Trapero

Espagne/Argentine, 2012, 1h50

Festival de Cannes 2012, sélection Un Certain Regard.

Sortie en France le 20 février 2013.

avec Ricardo Darin, Jérémie Régnier, Martina Gusman.

Dans le chaos d’un bidonville, 2 prêtres partagent le quotidien d’une population d’exclus. Un ministère aussi physique que spirituel, et une incarnation très actuelle de l’engagement.

Ces dernières années, l’Argentine est devenue un pays très dynamique dans la production cinématographique mondiale. De grands films et de nombreux cinéastes ont imposé leur marque au niveau international, dont Juan Jose Campanella, Lucrecia Martel, Carlos Sorin. Et Pablo Trapero dont le 7ème long métrage, en sélection au Festival de Cannes dans la section Un Certain Regard, est largement distribué en Europe. Profondément marqué par la dictature militaire, ces réalisateurs ont su affronter leur histoire. Ils ont aussi à  cœur de traiter les sujets de société.20082878.jpg

Elefante blanco se déroule dans le bidonville de la Vierge en banlieue de Buenos Aires. Cet « élephant blanc » est un hôpital dont la construction provoque des magouilles et des frustrations en cascade. Le père Julià¡n travaille depuis des années à  en soutenir la construction. Il est proche du mouvement des Prêtres pour le tiers-monde et marqué par la théorie de la libération des années 1970. Il accueille un prêtre plus jeune, Nicolas, européen et missionnaire, et lui fait découvrir l’univers particuliers des bidonvilles et de la politique argentine.

A travers ces deux prêtres et Luciana, une jeune éducatrice, très proches des habitants du bidonville, c’est de l’engagement dont il est question. Qu’il soit politique, humanitaire ou professionnel, cet engagement les amène à  partager au plus près la souffrance et l’exclusion dont sont victimes la plupart de leurs voisins. Ils ressentent aussi de plein fouet la violence de la corruption, des clans armés et des revendeurs de drogue. Face à  l’éloignement ou l’indifférence du pouvoir politique et des institutions cléricales ou religieuses, ils travaillent néanmoins avec un bel enthousiasme à  changer le monde.20082875.jpg

Repoussant le misérabilisme ou l’approche strictement documentaire, Pablo Trapero construit des personnages à  la fois romanesques et crédibles, de véritables héros des temps actuels, avec leur part de faiblesse, de doutes et de détermination. Julian et Nicolas assument jusqu’au bout leur sacerdoce auprès des plus pauvres, deux belles figures de prêtres pour une même incarnation de l’engagement. Le père Julià¡n est interprété par le célèbre acteur argentin Ricardo Darin (Les Neufs reines, Carancho, Dans ses yeux) et le père Nicolas par Jérémie Régnier qui, juste après avoir joué le rôle du chanteur Claude François dans Cloclo, montre ainsi l’étendue de son talent.

Magali Van Reeth

Signis

Festi’vache

Territoire et transmission, les thèmes clés du festival

Le fil conducteur des films proposés marque le retour à  l’idée de territoire et de transmission. Le territoire est ici, défini par des frontières : un espace bien déterminé ; celui où s’ancrent, vivent, travaillent des hommes. Un espace qu’ils se partagent, natifs ou non de ce territoire. Il est aussi celui que d’autres hommes traversent lorsque leur travail et leur culture sont nomades. Quant à  l’identité comment l’envisager et la définir dans un monde en proie à  de profondes mutations ? Naît-elle du territoire où l’on vit ? Se construit-elle autour du travail, de réseaux locaux ou culturels ?

Et qu’en est-il aujourd’hui de la transmission ? Comment peut-elle encore se poursuivre ?

Entre histoire locale et mondialisation, la quête de visibilité et de reconnaissance dans un monde rural est vitale, toujours incomplète, sans cesse renouvelée.

Un programme variée avec des longs métrages, des documentaires, des débats mais aussi un concert, du théâtre, des repas conviviaux et des rencontres avec des réalisateurs.

Parmi les films présentés, Arts cultures et foi vous recommande particulièrement Des Temps et des vents (2006)de Reda Erdem et le documentaire Hiver nomade (2011) de Manuel von Stà¼rler.

Découvrez tout le programme dans le site [www.festivache.fr/2013/?page=info.php&type=contact&id=%2048 ->www.festivache.fr/2013/?page=info.php&type=contact&id=%2048
]
et dans le document ci-joint : festivache_2013.pdf

On Cartoon dans le Grand Lyon !

Comme chaque année, la fin de l’hiver ramène dans l’agglomération lyonnaise les professionnels de l’animation européenne.

Du 6 au 8 mars 2013, les journées Cartoon Movie de Lyon rassemblent les artistes, producteurs et concepteurs de l’image animée, qu’ils travaillent dans l’univers des jeux ou dans celui des films d’animation. Pendant ces trois journées professionnelles, des projets sont présentés par leurs concepteurs pour trouver des financements mais aussi des films en cours de réalisation ou cherchant un distributeur.

En marge de cet événement professionnel, le Groupement régional de l’action cinématographique (GRAC), en collaboration avec le Grand Lyon et le soutien de la région Rhône-Alpes, propose une programmation spéciale de films d’animation dans 28 salles de cinémas de l’agglomération (dont Bron, Neuville, Saint-Etienne, Craponne, Vénissieux), des films récents ou en avant-premières, comme Le Jour des corneilles, Ernest et Célestine ou Le Magasin des suicides.

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Vous pouvez consultez le programme détaillé (salles, horaires, films) dans le site http://www.oncartoondanslegrandlyon.fr

Hiver nomade

de Manuel von Stà¼rler

Suisse, 2012, 1h25

Sortie en France le 6 février 2013.

documentaire.

Un surprenant voyage à  pieds, dans l’intimité de l’hiver suisse et d’un troupeau de moutons, qui éveille en nous un vrai désir de liberté.

La transhumance d’hiver est le voyage d’un troupeau de moutons des alpages vers la plaine, où il y a encore de l’herbe à  brouter. Une tradition qu’on pensait complètement disparue mais qui survit encore, notamment en Suisse. Pendant 4 mois, deux bergers cheminent lentement avec 800 bêtes, empruntant les derniers chemins forestiers. Ils zigzaguent entre les autoroutes, les voies ferrées et les lotissements modernes qui grignotent peu à  peu la campagne. Ils veillent avec attention sur leur troupeau et leur arrivée dans un village ne laisse personne indifférent.20357431.jpg

Et comment peut-on l’être quand la simple association de bergers et de voyages évoque Homère et la Bible ? Les deux bergers, Pascal et Carole, sont les héros que la mythologie a portés jusqu’à  nous. Le réalisateur Manuel von Strà¼ler a bien conscience de la capacité romanesque et de la charge émotionnelle qu’ils soulèvent en nous, lorsqu’il les filme cheminant sous la neige, guidant cet immense troupeau fluide, 3 ânes et quelques chiens. Aussi, pour tempérer ce côté bucolique, il prend soin d’introduire discrètement un rapport étroit à  une réalité plus actuelle. Les immenses tabliers de ponts autoroutiers servent d’abri un jour de pluie, les vêtements synthétiques aux couleurs vives sont autant utilisées que les draps de laine, et pour faire la tente du soir, les bâches plastiques côtoient les peaux de mouton. Pour le réveillon de Noël autour du feu, Carole va faire les courses au supermarché (où les promotions sont au gigot d’agneau de Nouvelle-Zélande) et le téléphone portable permet de rester en contact avec le patron. Ainsi, la nostalgie est tenue à  distance et Pascal et Carole nous sont plus proches.20419379.jpg

Au-delà  du côté anecdotique de cette transhumance, Hiver nomade pose la question du nomadisme dans le monde moderne. Que ce soit en Suisse, en Europe centrale, aux portes des déserts africains ou dans les toundras inhospitalières, les peuples nomades se sédentarisent, de gré ou de force. Même lorsque la liberté de déplacement de l’homme n’est pas entravée par la politique, il la troque volontiers contre son confort. En guidant de mains de maître 800 moutons, 3 ânes et 4 chiens le long d’un champ d’orge d’hiver sans qu’une seule pousse ne soit piétinée, Pascal et Carole nous montrent leur savoir faire tout autant qu’ils suscitent en nous une belle envie de liberté !20357433.jpg

Hiver nomade est un documentaire sans voix off ni intervention verbale du réalisateur. Il laisse au spectateur l’espace nécessaire pour pénétrer dans cette aventure avec une véritable mise en scène et un montage dynamique. 4 mois de voyage avec les mêmes compagnons de route et on ne voit jamais deux fois la même scène ou le même plan. Ce n’est qu’au bout du chemin que certains gestes font sens, que des paroles plus intimes peuvent être entendues. L’image est superbe et même les protagonistes semblent oublier la caméra. Un excellent documentaire qui donne à  voir autant qu’à  penser et réussi le tour de force de mettre en avant un mode de vie en voie de disparition, sans faire vibrer la fibre de la nostalgie.

Magali Van Reeth

Signis

Arrêtez-moi

de Jean-Paul Lilienfeld

France/Belgique/Luxembourg, 2012, 1h37

Sortie en France le 6 février 2013.

avec Sophie Marceau, Miou Miou et Marc Barbé.

Une femme s’accuse du meurtre de son mari face à  un officier de police qui ne veut pas l’entendre. Une étrange confession qui nous amène au cœur de la complexité des violences conjugales.

C’est une longue nuit dans un commissariat de police mais est-ce pour autant un film policier ? Pour avoir vu beaucoup d’interrogatoires au cinéma, on comprend très vite que les codes du genre vont déraper. D’abord parce qu’il n’y que des femmes et ensuite parce que l’enquête est close. Le lieutenant Pontoise est de garde dans une petite ville portuaire et elle tient les ennuis à  distance en éteignant la lumière de son bureau. Arrive pourtant une autre femme, déterminée à  régler une vieille histoire. L’une s’accuse du meurtre de son mari, l’autre ne veut pas l’entendre et encore moins enregistrer cette plainte. Au cœur de leur affrontement, la violence conjugale et les sentiments, très complexes, qui en découlent.ARRETEZ-MOI_5_c_Ricardo_Vaz_Palma.jpg

Le réalisateur Jean-Paul Lilienfeld s’est inspiré du roman de Jean Teulé, Les Lois de la gravité. Il en fait un film très personnel qui donne un angle original à  ce sujet délicat. Comment parler des femmes battues en évitant le voyeurisme ? Un surcroît de violences inutiles ? Arrêtez-moi trouve un juste équilibre, alternant les scènes de souvenirs – heurtées, déchiquetées, tremblées, comme leurs victimes, avec les scènes du commissariat où la tension et l’image sont différentes. Au cœur du film, les vraies raisons qui poussent chacune des deux femmes dans leurs convictions.ARRETEZ-MOI_7_c_Ricardo_Vaz_Palma.jpg

De quoi s’accuse la femme coupable ? Veut-elle se débarrasser d’une étrange culpabilité ? « Je suis coupable parce que j’ai été victime » crie la femme à  plusieurs reprises. Au fil de la nuit, on se rend compte, avec le lieutenant Pontoise, que cette déclaration tardive s’adresse à  son fils, pour lui montrer qu’il est possible d’arrêter le cercle vicieux de la violence, d’agir en dénonçant officiellement ce qui est arrivé.ARRETEZ-MOI_2_c_Jean-Paul_Lilienfeld.jpg

Une troisième figure féminine arrive plus tard, sous la forme d’une vierge en plastique bleue. Entre fiole à  potion magique et station météo, elle donne l’occasion d’une scène qu’on ne pensait pas voir un jour dans le cinéma français : Sophie Marceau et Miou-Miou récitant ensemble un « Je vous salue Marie » Deux actrices magnifiques, incarnant deux femmes égarées cherchant un secours, un soutien, un miracle. Sophie Marceau est méconnaissable, endossant le personnage de cette femme simple, mal habillée, mal coiffée, battue, humiliée, cherchant les mots pour dire une souffrance qu’elle ne sait pas exprimer. Beaucoup d’autres actrices célèbres ont essayé de jouer des femmes aussi anonymes, cassées et mal fagotées, peu y ont réussi aussi bien qu’elle. Miou-Miou donne au lieutenant Pontoise ce grain de folie lasse qui fait le charme du personnage.

Magali Van Reeth

Signis