Zero Dark Thirty

de Kathrin Bigelow

Etats-Unis, 2012, 2h29

Sortie en France le 23 janvier 2013.

avec Jessica Chastain, Jason Clarke, Edgar Ramirez, Reda Kateb.

A travers le récit d’une longue et difficile enquête pour débusquer un dangereux terroriste, Kathryn Bigelow expose des faits réels, en laissant au spectateur le soin d’évaluer la morale de l’Histoire.

Sous un titre énigmatique, emprunté au vocabulaire de l’armée américaine, ce film suit les 10 années de la vie d’un agent de la CIA, une jeune femme nommée Maya, 10 années entièrement consacrées à  traquer Ben Laden. Après les événements du 9 septembre 2011, qui ont ébranlé les Etats-Unis et sérieusement remis en question l’efficacité des services de renseignements, la CIA a déployé des moyens considérables pour éliminer la tête pensante du réseau terroriste international Al Quaida.20402278.jpg

Basé sur des faits réels, cette traque est judicieusement mise en fiction par la réalisatrice Kathryn Bigelow. Evitant le ton froid du documentaire ou le mélodrame du romanesque, Zero Dark Thirty rend à  la fois la complexité et la longueur de ce travail, où il faut chercher une aiguille dans une botte de foin. Déception, attentats, voyages en Afghanistan, contacts improbables et technologie haut de gamme, l’ambiance est au film d’espionnage, les paillettes et les scènes légères en moins. Tout ici, à  l’image de Maya qui ne semble plus avoir de vie personnelle, n’a qu’un but : débusquer Ben Laden. 20352785.jpg

La partie la plus prenante est bien sûr l’attaque de la forteresse où Ben Laden se terre, avec ses proches, dans la plus grande discrétion possible. Tout à  coup, tout devient limpide, évident, raisonné. Les soldats savent exactement où se positionner et comment avancer, étape par étape, pour aller chercher les trois hommes qu’ils doivent éliminer. Filmée dans la pénombre grâce à  une caméra très performante, on assiste, fasciné, à  un ballet très bien orchestré. Au plus profond de la nuit, où même le bruit des explosifs semblent étouffé, d’étranges créatures aux yeux lumineux, avancent pas à  pas, avec la rigueur du travail bien fait, vers une incroyable mission. Est-ce macabre ? Juste ? Avec intelligence, Kathryn Bigelow trouve le bon équilibre de mise en scène pour laisser le spectateur décider par lui-même, entre l’horreur des crimes commis par Al Quaïda et cette exécution professionnelle raisonnée jusque dans les moindres gestes de ceux qui la mettent en œuvre. Une nuit exceptionnelle et un grand moment de cinéma.20352784.jpg

Si les scènes de torture qui ouvrent le film sont d’une grande violence et peuvent heurter certains spectateurs, elles étaient nécessaires pour la réalisatrice. Cette violence d’état, au service d’une cause sans doute juste (la traque d’un chef terroriste) est-elle moralement acceptable ? Kathryn Bigelow laisse le spectateur trouver lui-même les réponses. C’est peut être la force du film, c’est peut être ce qui peut dérouter le plus de spectateurs. En essayant de prendre le moins possible partie pour une thèse ou l’autre (est-ce de la pure vengeance ? une nécessité ?), la réalisatrice s’applique à  rendre au mieux cette très longue enquête, dans la durée, la confusion et le doute. Si elle ne manipule pas le spectateur par la violence ou l’émotion, la façon dont elle rend hommage à  tous les participants de cette traque, sans donner l’impression de les approuver, nous incite à  aller plus loin dans la réflexion.

Magali Van Reeth

Signis

Blancanieves

de Pablo Berger

Espagne, 2012, 1h44

Sortie en France le 23 janvier 2013.

avec Macarena Garcia, Maribel Verdu, Daniel Gimenez-Cacho.

Une relecture savoureuse et piquante du conte traditionnel de Blanche Neige dans l’Espagne des années 1920.

Blanche Neige, c’est l’histoire d’une jeune orpheline maltraitée par sa belle-mère et recueillie par des nains. C’est un conte sur la jalousie, où une femme mûre s’agace de la beauté d’une très jeune fille. C’est la méchanceté des familles recomposées. Une histoire qui montre que la beauté n’est pas toujours associée à  la bonté et que les « petits monstres » que sont les nains peuvent être plus généreux que les « grands ».

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Le réalisateur espagnol Pablo Berger s’empare de ce conte avec une ardeur conquérante et le traite dans l’Espagne des années 1920. Les femmes cachent leur flamme derrière des voiles de dentelle noire et rêvent d’épouser les gloires de l’époque, un torero aussi riche et beau que célèbre : même avant l’invention des réseaux sociaux, la foule savait reconnaître et célébrer ses idoles. Les costumes sont rutilants, les épées acérées et il n’y a aucune confusion entre les bons et les méchants !

Tourné en noir et blanc pour mieux coller à  l’époque et donner la juste distance qui sied aux contes, le réalisateur redonne au texte des frères Grimm le côté grinçant que les ré-écritures du 20ème siècle lui avaient enlevé. Blancanieves rappelle, avec un humour joyeux et mordant, combien la vie est injuste et que même les femmes peuvent être cruelles. Ce que le cinéphile avait tendance à  oublier après tant de films contemporains où les hommes ont été bien chahutés dans leur virilité et leurs lâchetés. L’ambiance des arènes et de la corrida rehausse le côté cruel de l’histoire.

Ici, les femmes sont au nombre de 4. La mère (Inma Cuesta) meurt en couches : normal, la vie et la mort sont intimement liées. La grand-mère maternelle aimante (Angela Molina) recueille le bébé dont le père ne peut pas s’occuper et meurt le jour même de la communion de Blanche Neige : sortie symbolique du temps de la petite enfance. La marâtre (Maribel Verdu), terme ancien et péjoratif pour désigner la belle-mère, celle qui va tenter d’éliminer Blanche Neige par tous les moyens car elle refuse ce miroir de la jeunesse, cette autre génération de femmes qui la relèguera au rang des vieilleries. Et Blanche Neige bien sûr (prénommée Carmen dans le film et interprétée par Macarena Garcia) autour de qui tous les différents visages de la femme se déploient.20352079.jpg

Les nains sont là , groupe homogène où on a du mal à  les distinguer et à  les compter. Ils sont le lien avec le monde de l’enfance que Blanche Neige a tant de mal à  quitter. Ce sont eux qui vont plus bousculer le conte et lui apporter un final savoureux Un film qui redonne son sens aux contes de fées et un vrai plaisir de cinéma.

Magali Van Reeth

Signis

Positif – 60 ans de cinéma

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Pendant tout un week end l’Institut Lumière propose de découvir des films, rencontrer des redacteurs de Positif et son fondateur, Bernard Chardère, et échanger sur la cinéphilie.

vendredi 25 janvier à  20 heures
Avant Première de Lincoln de Steven Spelberg (2013), présenté par Christian Viviani.

Samedi 26 janvier à  15 h 30 table ronde e: une revue de cinéma en 2012 (entrée libre) animée par Michel Ciment, Christian Viviani, Fabian Baumann
17 h 30 Alice dans les villes de Wim Wenders (1974), présenté par Fabien Baumann
20 h 30 Sunset Boulevard de Billy Wilder 1950), présenté par Michel Ciment

Dimanche 27 janvier à  10 h 30 Naked de Mike Leigh,(1993) présenté par Fabien Baumann
15 h : Les Yeux sans visage de Georges Franju, (1960) présenté par Michel Ciment
17 h 30 : La Fièvre dans le sang d’Elia Kazan (1961), présenté par Michel Ciment

Achat conseillé des billets en avance sur :
[->www.institut-lumiere.org]

Comme un lion

de Samuel Collardey

France, 2011, 1h42

Sortie en France le 9 janvier 2013.

avec Mytri Attal et Marc Barbé.

Un film attachant autour d’un adolescent prêt à  déplacer des montagnes pour arriver à  réaliser son rêve de football professionnel. Dans un monde cruel où personne ne l’attend.

Dans un monde surinformé, surmédiatisé, il est des rêves qui ont la vie dure. Comme le mirage de l’occident pour les habitants des pays les plus pauvres, comme la magie du foot pour la plupart des gamins du monde.

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Mitri a 15 ans, il vit au Sénégal avec sa grand-mère, il tape dans un ballon avec ses copains dès qu’il en a l’occasion et lorsqu’il entend parler d’un agent recruteur venu de France, il sait que c’est pour lui. Comme un lion raconte les pièges, les entourloupes et les difficultés d’un jeune garçon qui veut vraiment jouer au foot. Parce qu’il aime ça mais aussi parce qu’il sait que, depuis qu’il est arrivé en France, c’est la seule façon de sortir d’une vie de misère.

C’est Marc Barbé qui joue Serge, l’entraineur un peu cabossé par la vie et, en tant que spectateur, on est ravi de retrouver cet acteur qu’on voit trop rarement. Il est juste, tout à  fait à  l’aise dans son survêtement synthétique et son cœur cadenassé et forme un couple maître/élève très crédible avec le jeune Mytri Attal. Le réalisateur Samuel Collardey est allé chercher ce jeune homme au Sénégal et il s’est inspiré de vrais parcours d’immigrés pour la trame du film. Puis il est revenu tourner chez lui, dans le Haut-Doubs et on peut à  nouveau savourer l’accent particulier de cette région, à  la fois rocailleux et chantant, au centre de formation du mythique FC Sochaux et dans la très belle scène de mariage.

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Mélangeant la réalité la plus ordinaire, comme les échecs si communs dans le monde du sport professionnel, les problèmes sentimentaux de chacun, avec les rêves de Mitri qui lui donnent la force d’oser s’imposer et de tenir dans des situations désespérantes, le récit trouve une belle intensité, oscillant avec justesse entre conte de fée et documentaire.

Comme un lion est l’histoire d’un rêve qui se réalise, grâce à  la ténacité de Mitri mais aussi grâce à  la générosité de ceux qu’on croise par hasard et qui savent tendre une main. Finalement, les miracles, ça arrive parfois quand tout le monde y met du sien, et c’est sans doute pour ça que les enfants ont encore des étoiles dans les yeux. Un film tout public, qu’on peut proposer aux plus jeunes, notamment les garçons, à  partir de 10 ans.

Magali Van Reeth

Signis

Welcome

Comme chaque année à  la fin du mois de janvier, la paroisse Saint-Maurice/Saint-Alban de Lyon organise la projection d’un film suivi d’un débat, à  l’Institut Lumière, pour permettre une discussion autour d’un fait de société.

Pour l’année 2012/2013, le thème du cycle de réflexion Libre Parole, choisi par la paroisse est : Du dire au faire. Pour l’illustrer, c’est le film de Philippe Lioret, Welcome qui sera projeté, en partenariat avec l’Institut Lumière, le lundi 28 janvier 2013, à  20 heures.

Welcome est l’histoire d’une rencontre entre un maitre-nageur déprimé par le vide de sa propre existence, et un jeune homme enthousiate bien décidé à  forcer son destin. Pour ce film, Philippe Lioret a reçu le prix oecuménique au Festival de Berlin 2009, où le film était présenté dans la section Panorama.

La projection est suivie d’un débat auquel participeront différentes associations s’occupant de l’accueil des étrangers dans l’agglomération lyonnaise.

Institut Lumière, 25 rue du Premier film, 69008.

Attention, ce film est projetté en dehors de la programmation habituelle de l’Institut. Pour tous renseignements :

Paroisse Saint-Maurice : paroisse@saintmauricelyon.net

et tel : 04 78 00 72 61

L’Homme qui rit

de Jean-Pierre Améris

France, 2012, 1h33

Sortie en France le 26 décembre 2012.

avec Marc-André Grondin, Christa Theret, Gérard Depardieu, Emmanuelle Seigner.

C’est un conte peuplé de personnages attachants ou très méchants, cruel comme la vie et poétique comme les rêves, qui montre ce que les yeux nous cachent et que le cœur pressant. Une belle adaptation tout public du roman de Victor Hugo.

Ce roman est l’un des moins connus de son auteur. Il est vrai qu’il est complexe, Hugo voulant en faire un manifeste politique, historique, philosophique et poétique. L’action se déroule en Angleterre au 18ème siècle et le personnage principal est Gwynplaine, un jeune garçon intentionnellement défiguré, dont le visage est à  jamais traversé par une cicatrice en forme de sourire. Avec lui, Déa, une jeune fille aveugle et leur protecteur, Ursus, homme des bois, charlatan et conteur qui pousse sa roulotte pleine de rêves.

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Simplifiant le propos politique de l’Angleterre républicaine, c’est cette aventure fabuleuse qu’a retenu le réalisateur Jean-Pierre Améris. Utilisant des teintes bleutées, des costumes délirants et forçant le traits des fourbes et la fragilité des innoncents, il révèle le côté gothique de l’œuvre d’Hugo – celui des dessins à  l’encre – pour en faire un conte intemporel. Loin du réalisme des Misérables, L’Homme qui rit prend les chemins du récit fantastique. Les rebondissements sont dus à  la malignité des individus, à  la fatalité des événements. Les châteaux sont effrayants, les dignitaires grotesques et les spectacles de foire féériques.

Dans des décors fantastiques, où l’hiver mort la peau et le ventre des pauvres, où on paye pour voir des monstres, le récit s’attache à  montrer le vrai sens de la beauté. Le visage de Gwynplaine dégoûte et fascine les badauds de la foire. A la fois attirés et repoussés par cette laideur inouïe, ils en font un objet de moquerie. Mais pour Déa, que la cécité protège de l’apparence superficielle, il est un homme aimable, un compagnon fidèle et beau. Pour Ursus, qui s’est volontairement mis en marge de ce monde, ces enfants sont à  protéger comme un joyau.20096179.jpg

Gérard Depardieu est parfait dans ce rôle d’ours solitaire, ami des bêtes sauvages, vendeur de potion magique et bonimenteur hors pair. Si son affection pour les enfants est sincère, ses dons de conteur vont vite mettre à  profit l’histoire et le visage rocambolesque de Gwynplaine et la beauté de Déa pour en faire un spectacle. Spectacle populaire qui attire de nombreux badauds lorsqu’ils arrivent à  Londres. Malheureusement, et déjà  à  cette époque ancienne, les sirènes de la renommée sont un danger. Reconnu, Gwynplaine apprend sa véritable identité et, tenté par le monde des puissants sans en connaître les rouages, il détruit sa véritable richesse : l’affection et la liberté données par Ursus, l’amour de Déa.

20091289.jpgJean-Pierre Améris réussit à  extraire de ce roman touffu une trame narrative prenante, que sa mise en scène ancre dans le fantastique, ce territoire où la raison chancelle pour laisser place à  l’imaginaire et au ressenti. Et où le cinéma excelle à  nous amener. L’Homme qui rit peut se voir dès 10 ans.

Magali Van Reeth

Signis

L’Odyssée de Pi

d’Ang Lee

Etats-Unis, 2012, 2h05

Sortie en France le 19 décembre 2012.

avec Suraj Sharma, Irrfan Khan, Gita Patel.

Un film décevant qui traite sans talent les questions religieuses et l’art du récit, et utilise avec maladresse les nouvelles technologies.

Tiré du roman éponyme de Yann Martel (2001), le film retrace les aventures rocambolesques de Pi. En Inde, dans les années 1950, un jeune homme est élevé dans le zoo où travaillent ses parents. Son père est très rationaliste mais sa mère lui enseigne les rituels religieux du pays. Pi est attiré par la spiritualité et les religions. A la fin de son adolescence, à  la suite d’un naufrage, il se retrouve seul à  dériver en mer sur un canot en compagnie de quelques animaux. Invoquant Dieu, il est sauvé et cela prouve pour lui l’existence de Dieu.20313351.jpg

Cette histoire est portée à  l’écran par Ang Lee, un réalisateur taïwanais à  la surprenante filmographie. Garçon d’honneur (1993), Ice Storm (1997), Tigre et dragon (2000), Le Secret de Brokeback Mountain (2005) : il oscille entre œuvres confidentielles, un brin acerbe, et succès grand public. Avec L’Odyssée de Pi, tourné en 3D, il semble racler le consensuel avec désinvolture

Le scénario alterne d’une part les conversations insipides, filmées sans aucune imagination, entre l’auteur du roman et le protagoniste de cette aventure, sans que cela n’apporte rien à  l’histoire. Et d’autre part, les scènes d’aventure féerique où la technologie 3D bombarde le spectateur d’effets spéciaux, parfois étonnants, comme dans les scènes oniriques, parfois très racoleurs comme avec les animaux. L’image, où on ne peut faire le point que sur un plan précis, semble comme salie, toujours floue à  un endroit ou l’autre de l’écran. Le mélange de décors et d’acteurs réels avec ceux virtuels, n’est pas toujours très harmonieux.

L’Odyssée de Pi dure plus de deux heures et on a largement le temps de s’ennuyer, notamment pendant que le canot dérive. On s’intéresse alors aux invraisemblances, qui sont hélas nombreuses (pourquoi Pi ne porte pas son gilet de sauvetage, comment peut-il rester aussi longtemps debout sur une bâche glissante ?). Et on regrette que certaines options de scénarios n’aient été mieux exploitées (l’humour notamment).

Mais le plus gênant est sans doute la façon dont le film aborde le problème de Dieu. Ici, les grandes religions historiques sont toutes ramenées au même plan et Pi croit en chacune d’elles avec la même conviction. Il se déclare végétarien par respect pour l’hindouisme, musulman pour le contact avec le sol au moment de la prière, baptisé chez les chrétiens par amour du Christ et il enseigne la théologie juive. La religion semble pour lui surtout une question de rituels et de folklore, où on peut picorer le meilleur et le moins contraignant, sans être obligé de choisir un credo. Bien évidemment, pour lui l’existence de Dieu est prouvée par son sauvetage et son retour à  la terre ferme après avoir vécu autant de dangers. Mais pour le voir haranguer Dieu au milieu de la tempête, on se demande quand même s’il ne confond pas la religion avec une compagnie d’assurance spécialisée dans les voyages et le rapatriement

Tout à  fait dans l’air du temps, L’Odyssée de Pi mélange, sans aucun talent artistique, l’épopée d’un homme face à  un méchant destin (enfin un héros !), le questionnement du fait religieux réduit à  sa plus simple expression (Dieu n’est plus qu’un faiseur de miracles) et une utilisation bâclée d’une nouvelle technologie, appliquée à  un roman qui a été un succès commercial. On peut s’abstenir.

Magali Van Reeth

Signis

Incertain regard…. Allons ensemble au cinéma

Le sanctuaire Saint Bonaventure et le Grand Temple de Lyon vous invitent…

Dans la foulée de la semaine de prière pour l’unité des chrétiens, catholiques et protestants proposent la projection de films primés par des jurys œcuméniques.

Ensemble, il s’agit de…

* Poser un regard sur le monde à  travers la caméra des cinéastes

* Apprendre à  regarder ensemble ce qui est différent dans le respect

* Réfléchir et débattre des enjeux de société soulevés par ces films

* Partager chemin faisant comment la foi chrétienne entre en dialogue avec ces thèmes

4 films, 4 débats, 4 mardis à  20h :

le 15 janvier : Il y a longtemps que je t’aime de Philippe Claudel, Claudel, 2008, 1h55, prix œcuménique au Festival de Berlin 2008

A sa sortie de prison, une femme est accueillie par la famille de sa sœur. Au contact de la générosité, de l’attention et de la joie, elle peut enfin trouver le pardon et reprendre goût à  la vie. Pour son premier long-métrage, Philippe Claudel illustre avec justesse la notion d’harmonie collective, nécessaire à  chaque individu.

Le 29 janvier : Miel de Semih Kaplanoglu, 2010, 1h43, prix œcuménique au Festival de Berlin 2010

Dans les forêts d’Anatolie, un petit garçon part ramasser du miel avec son père. C’est une activité difficile, comme celle de lire à  voix haute devant toute la classe. Sous une forme poétique très aboutie, l’absence et le deuil sont racontés avec pudeur à  travers le regard d’un enfant. Un très beau film où l’esthétique révèle les mystères de la vie.

Le 5 février :Tout sur ma mère de Pedro Almadovar 1999, 1h41,prix œcuménique Festival de Cannes 1999

Dans cette histoire rocambolesque où la mort et la souffrance côtoient la naissance et l’amour, le réalisateur déroule un surprenant récit. Des personnages hors normes vivent à  la marge de la société bourgeoise espagnole, dont ils incarnent peut être les contradictions profondes. Le réalisateur Pedro Almodovar rend un vibrant hommage à  celles qui donnent la vie et se battent pour un monde plus tolérant.

Le 12 février : La Chasse de Thomas Vinterberg, 2012, 1h50, prix œcuménique au Festival de Cannes 2012

Dans un petit village du Danemark, le groupe très soudé des chasseurs se trouve déchiré par le doute et la suspicion. Le réalisateur Thomas Vinterberg décrit de façon implacable les rouages de la violence qui structurent une communauté et détruise un individu. Un film où il n’y a pas de méchants, que de bonnes intentions et de nombreuses pistes de réflexion.

Un seul cinéma :
le Cinéma Bellecombe – 61, rue d’Inkermann 69006 Lyon

(Métro arrêt Charpennes ; Bus C3 : arrêt Ste Geneviève ; Tram T1 : arrêt Collège Bellecombe ; Voiture : possibilité de stationner dans la cour)

Participation aux frais : 8€ Téléphone : 04 78 52 40 31 – [http://www.cinebellecombe.tk ]

Les Bêtes du sud sauvage

de Benh Zeitlin

Etats-Unis, 2012, 1h32

Festival de Cannes 2012, sélection Un Certain Regard ; Caméra d’or, prix Fipresci et mention du prix œcuménique

Sortie en France le 12 décembre 2012.

avec Ouvanzhane Wallis, Dwight Henry, Jonshel Alexander.

En Louisiane, région tristement célèbre pour la violence de ses ouragans, le quotidien enchanté d’une petite fille parle d’une autre façon de vivre en harmonie avec le monde.

Au dernier Festival de Cannes où la tendance générale était à  la frilosité, Les Bêtes du sud sauvage a eu un effet roboratif pour de nombreux festivaliers. Ce premier film d’un jeune réalisateur américain, déjà  présenté au festival de Sundance, ne pouvait concourir en compétition officielle. Sélectionné à  Un Certain Regard, il a remporté, parmi de nombreux autres prix, la Caméra d’or qui récompense le meilleur premier film, et une mention spéciale du Jury œcuménique.

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Le grand plaisir de ce film, c’est une image lumineuse et poétique, un ton original où la puissance de la liberté donne un souffle particulier à  tout l’ensemble. Les Bêtes du sud sauvage redonne à  la Nature une place essentielle dans nos vies de « civilisés », d’une manière à  la fois joyeuse et décalée. Hors de toute mièvrerie. Les bayous de la Louisiane, au sud des Etats-Unis sont une jungle où, entre le milieu aquatique et l’enchevêtrement d’une mangrove exubérante, des individus en marge de la société ont trouvé refuge.

Parmi eux, Hushpuppy est une petite fille noire de 6 ans. Elle vit seule dans une cabane mais proche de celle de son père et en lien avec une communauté de gens, des originaux, des forts en gueule. Exclus volontaires ou non d’une société capitaliste très agressive, ce groupe de personnes, blancs et noirs, est heureux de vivre librement, c’est-à -dire à  l’abri des tracasseries administratives, de la bienséance, du confort, de l’hygiène, de la raison et de la morale bourgeoise. Ici, on craint le Ciel et les cyclones, Dieu et les hommes de l’autre monde. Ici, le dénuement est une célébration de la liberté, une communion avec la Nature.

Le film doit beaucoup à  ses deux interprètes principaux. Ouvanzhane Wallis qui est Hushpuppy, cheveux en couronne, peau chocolat et regard malicieux. Elle est attendrissante, naturelle et déterminée. Son père est interprété par Dwight Henry, comédien amateur et boulanger dans la vraie vie. A travers leur relation, c’est la notion même de pédagogie qui est bousculée. Hushpuppy connaît aussi bien la cruauté de la vie que son enchantement. Elle connait l’origine du monde et la force de la tempête. Elle se sait minuscule mais unique, faisant partie d’un ensemble où ses parents l’ont déposée.

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Sous une très belle forme poétique, Les Bêtes du sud sauvage célèbre à  la fois l’innocence de l’enfance et de la Nature, sans oublier la part de violence à  laquelle elle est liée. Dans le bayou, la végétation luxuriante abrite des animaux, qui connaissent la loi du plus fort. Dans le bassin, la montée des eaux met en danger toute cette communauté hétéroclite. Les rêves et le quotidien d’Hushpuppy parlent tout simplement de la possibilité d’une autre harmonie dans notre quotidien.

Magali Van Reeth

Signis

Tabou

de Miguel Gomez

Portugal/Brésil/Allemagne/France, 2012, 1h58

Festival de Berlin 2012, prix Fipresci.

Sortie en France le 5 décembre 2012.

avec Laura Sreval, Teresa Madruga, Isabel Cardoso, Ana Moreira, Carloto Cota.

Avec une très belle image, ce film mélange le romanesque et les frissons d’une histoire d’amour qui n’avait pas de tabou, et relie plusieurs époques et personnages à  travers les souvenirs et les pertes.

Depuis plusieurs années au Portugal, sous la houlette de Manoel de Oliviera – le réalisateur qui a l’âge du cinéma – une génération de cinéastes exigeants et novateurs a vu le jour. Leurs œuvres questionnent le sens du cinéma et sa modernité. Si parfois le résultat est difficile d’accès pour le grand public, ce n’est pas le cas avec Tabou.

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Histoires d’amour malheureuses et romanesques, enracinées dans le continent africain, elles immergent le spectateur dans une atmosphère très originale. Miguel Gomez, le réalisateur : « Tabou est un film sur le passage du temps, sur les choses qui disparaissent et qui peuvent seulement exister au travers des souvenirs, de la féerie, de l’imagerie – ou du cinéma qui convoque et rassemble tout cela en même temps« . Le film est découpé en trois chapitres, trois temps différents. L’époque de l’exploration où un jeune veuf mélancolique noie son chagrin dans la gueule d’un crocodile. L’époque actuelle, où trois voisines se trouvent liées, bien malgré elles. Il y a Aurora, riche octogénaire fantasque, Santa, sa bonne capverdienne et Teresa la voisine célibataire, catho engagée dans toutes les causes humanitaires. Enfin, il y a le troisième temps, lorsqu’Aurora se sentant mourir demande à  voir un homme, Ventura, qui va raconter la jeunesse tumultueuse d’Aurora.

Filmé en noir et blanc et dans un format carré (et non rectangulaire comme la plupart des films), sans distinction de grain pour les époques, Tabou est un film visuellement très beau, tout en évitant les écueils de la référence nostalgique. Utilisant pleinement la fiction, sans souci de respect historique, il évoque d’abord des sensations, des instants perdus, des souvenirs que le cinéma nous rend intensément réels.

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Tabou est un film différent, autant par la forme que par le ton, empreint d’une mélancolie ironique. Miguel Gomez rend hommage aux sources du cinéma, à  la beauté diaphane des films muets, dont il s’amuse brillamment à  actualiser les contraintes. Il plante aussi au cœur des personnages le regret d’une époque coloniale, sans prendre politiquement parti. Aurora, Ventura et leurs amis, jeunes et insouciants, vivent leurs envies sans culpabilité, comme les colons avant que l’Histoire ne mette fin à  leur monde. Le « tabou » du titre est peut être justement d’avoir eu l’inconscience de la transgression, du territoire et du désir.

Au festival de Berlin 2012, Tabou a obtenu le prix Fipresci (prix de la critique internationale) et le prix Alfred Bauer (prix de l’innovation).

Magali Van Reeth

Signis