Au-delà  des collines

de Cristian Mungui

Roumanie, 2012, 2h30

Festival de Cannes 2012, sélection officielle, prix du scénario et prix d’interprétation féminine pour Cristina Flutur.

Sortie en France le 21 novembre 2012.

avec Cosmina Stratan, Cristina Flutur, Valeriu Andriauta.

Un film aussi rude que beau, qui questionne la place du religieux dans les sociétés contemporaines.

Le réalisateur roumain Cristian Mingui a reçu la palme d’or au Festival de Cannes en 2007 pour le film 4 mois, 3 semaines, 2 jours. A travers le parcours douloureux de deux jeunes femmes face à  une maternité non désirée, il dénonçait le manque de liberté et l’absence de repères dans une société étouffante. Dans Au-delà  des collines, deux jeunes femmes sont à  nouveau les protagonistes mais cette fois c’est dans la religion qu’elles se débattent.

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C’est d’abord un enchantement pour les yeux, un film très visuel, très graphique. L’opposition entre les grandes robes noires des membres de la communauté et la neige blanche de l’hiver ; l’opposition entre l’espace intérieur de la salle commune, de la chapelle et celui, si vaste des collines environnantes ; l’opposition entre le calme de la prière et de la méditation et le brouhaha de la ville. C’est un film très beau, dont les images impressionnent fortement, longtemps après la fin de la projection. Et cette esthétique, ce souci de la forme, est au service de l’histoire.

Alina et Voichita sont deux amies d’enfance, une enfance vécue dans un orphelinat. Alina vit et travaille en Allemagne depuis quelques années et revient en Roumanie pour ramener avec elle Voichita, qui vit dans une petite communauté religieuse. Dès les premières scènes, on comprend que l’attente n’est pas la même pour les deux amies. La suite est un long cheminement de l’une vers l’autre, une évaluation de ce qu’il y à  perdre et à  gagner, des décisions difficiles à  prendre, de la manipulation, de la séduction, du renoncement. Le film prend le temps d’entrer dans toutes les nuances et les subtilités qui entrent dans cette relation autrefois fusionnelle et qui changent aujourd’hui la donne. Il déroule avec douceur une violente incompréhension qui sera fatale pour tous.

Au-delà  des collines se déroule dans une petite communauté de l’église orthodoxe roumaine, communauté essentiellement féminine sauf son chef, un homme bien sûr. Dès le début du film, nous savons que le diocèse ne reconnaît pas cette communauté. Et qu’elle s’apparente plus à  une secte où les autres femmes, la plupart jeunes et déchirées par une vie antérieure, appellent les responsables de la communauté « papa » et « maman ». Mais c’est justement ce qui nous permet de comprendre pourquoi, dans un contexte économique extrêmement précaire, des femmes acceptent de renoncer à  une vie ordinaire en échange d’une réelle affection, d’une protection, d’un projet commun et d’un confort matériel supérieur à  ce qu’elles ont connu.

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Leur foi cependant est réelle et c’est sans doute ce qui étonne le plus Alina. Lorsqu’elle sent que Voichita se donne à  Dieu, comme d’autres se donnent dans l’amour humain, c’est elle qui se met à  douter. L’issue tragique que Cristian Mungui donne à  son film ne doit pas faire peur aux croyants. S’il dénonce, avec raison, les dérives sectaires de certains groupes religieux, il dénonce aussi les situations économiques et spirituelles qui les rendent possibles. Lorsqu’une société fait l’impasse sur le religieux, ou le marginalise dans des rites dépourvus de sens, que reste-il comme espérance et comme aspiration vers l’au-delà  ?

Magali Van Reeth

Signis

En complément, voici la note d’intention du réalisateur Cristian Mungui, qui accompagne le dossier de presse de présentation du film :

Au-delà  des collines est avant tout pour moi un film sur l’amour et le libre arbitre ; principalement sur la façon dont l’amour peut rapprocher les concepts de Bien et de Mal. La plupart des plus grandes erreurs de ce monde furent commises au nom de la foi et avec la conviction absolue qu’elles servaient une bonne cause.

Au-delà  des collines parle également d’une certaine façon de vivre la religion. à‡a m’a toujours intéressé d’observer l’attention que mettent les croyants à  respecter les règles et les interdits alors qu’ils appliquent si peu l’essence et la sagesse du christianisme à  leur vie de tous les jours.

En travaillant sur le film, j’ai lu avec attention la liste des péchés référencés par l’Église orthodoxe. Il y en a beaucoup (464!) et quand on les lit, il n’y a plus de question à  se poser. Pourtant, il y a un péché qui n’est pas dans la liste et qui est de loin le sujet dont je voulais le plus parler dans le film : le péché d’indifférence. Ou peut-être n’est-ce pas un péché s’il n’est pas dans la liste. Mais alors qu’est-ce que c’est? Est-ce dangereux ou pas? Le film parle aussi des différentes façons dont le Mal peut manipuler les gens et des formes subtiles sous lesquelles il peut se manifester. Je me demande si l’indifférence n’est pas l’une d’elle…

Avant tout, Au-delà  des collines veut parler des options et des choix de vie qui résultent de l’éducation ou du manque d’éducation et à  quel point de nombreuses choses dans la vie dérivent d’éléments sur lesquels nous n’avons pas prise, dont nous ne sommes pas responsables. Comme par exemple notre lieu de naissance, nos parents et notre communauté.

Le film parle aussi d’une région du monde où – comme bien d’autres – une longue exposition à  une série infinie de malheurs et d’atrocités de toutes sortes transforme les gens, les rend inertes et incapables de réagir à  des signaux évidents. Ce n’est pas nécessairement leur faute – c’est simplement l’instinct de survie. Mais c’est vécu comme un fardeau pour les gens qui y survivent !

La Chasse

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Dans le cadre du Festival EcouT&Voir le film La Chasse de Thomas Vinterberg sera proposé au cinéma Le Mourguet de Sainte Foy les Lyon

[->http://www.cinemourguet.com/]

LA CHASSE – CINE DEBAT : Samedi 24 novembre à  20h

En présence de Magali Van Reeth. Journaliste de Cinéma et Membre du Jury Œcuménique –

En savoir plus : voir rubrique cinéma de notre site ou :

[->http://www.cinemourguet.com/index.php?option=com_content&view=article&id=569:debat-la-chasse&catid=41]

Prix unique des places : 6 € , à  l’entrée du cinéma

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La Chasse

de Thomas Vinterberg

Danemark, 2012, 1h51

Sélection officielle Festival de Cannes 2012, prix du Jury œcuménique, prix d’interprétation masculine.

Sortie en France le 14 novembre 2012.

avec Madds Mikkelsen, Thomas Bo Larsen, Annika Wedderkopp, Susse Wold.

Sous l’apparente simplicité d’un fait divers, une réflexion profonde sur les violences qui traversent et structurent les sociétés humaines. Un film prenant et complexe.

Si Thomas Vinterberg raconte volontiers que c’est la place de l’homme et de sa virilité dans la société danoise actuelle, qui est à  l’origine du film, La Chasse propose une réflexion, consciente ou non, qui illustre parfaitement le concept de la violence et du sacré de René Girard. Pour ce philosophe, toute communauté a besoin d’un bouc émissaire qui, en étant injustement et violemment accusé et chassé, permet au groupe de se souder et d’éliminer toute tension interne.

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Dans un déroulement implacable, et sans ambigà¼ité quant aux responsabilités de chacun, le réalisateur montre comment une petite communauté rurale du Danemark, bien soudée et chaleureuse, peut rejeter l’un des siens dès lors qu’il est soupçonné d’avoir commis un acte irréparable. C’est-à -dire où le pardon n’est pas possible par ceux qui se sentent offensés. Mis en cause par une institution, Lucas est rejeté par ses amis, meurtris dans ce qu’ils ont de plus sensibles. Autour de ce nouvel appât, la communauté des chasseurs fait bloc pour le rejeter, le paroxysme arrivant le soir de Noël où Lucas est poussé hors de l’église, où tout le village est rassemblé pour communier ensemble

Evitant les scènes convenues au commissariat ou au tribunal, Vinterberg se concentre sur la force avec laquelle le doute se propage, tel un dangereux virus, sur la violence du ressenti et de la suspicion. Dans l’affolement des individus protégeant leur famille, on retrouve une rage animale. L’une des rares personnes à  soutenir Lucas est étrangère au village, et même étrangère tout court puisqu’elle vient d’un pays du sud. L’exclusion se met en branle, comme une partie de chasse s’organise autour de l’animal à  abattre.

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Les scènes de chasse, qui ouvrent et ferment le récit, sont plus qu’une métaphore mais la réelle mise en scène des violentes tensions qui traversent ce groupe. La justice d’un état ne peut rien contre le doute et la suspicion. Elle peut innocenter mais pas rendre possible le pardon de ceux qui, se croyant victimes, sont devenus bourreaux.

La Chasse, à  travers la fiction et une belle mise en scène, orchestre des personnages dans des situations complexes et inextricables. L’apparente harmonie du groupe est déchirée par les désordres intimes de chaque individu, qui ne peuvent être révélés que par le biais d’une tragédie. Une fois désigné, rien ne peut innocenter le bouc émissaire qui doit être sacrifié.

S’appuyant sur le travail de l’acteur Madds Mikkelsen, prix d’interprétation au Festival de Cannes, Thomas Vinterberg montre que, même dans les sociétés qui se disent civilisées, et notamment en Europe du nord où se déroule toute l’action du film, la violence reste constitutive de tout groupe humain.

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Au Festival de Cannes 2012, le jury œcuménique a attribué son prix au film La Chasse, avec le commentaire suivant : « Une partie de chasse où le gibier est un homme bon, en proie à  la méfiance et à  la manipulation d’une communauté déchirée, à  la recherche du pardon et de l’harmonie perdue. La mise en scène de Thomas Vinterberg, fondée sur la fiction, met en ligne de mire l’évolution du statut du père et de l’enfant. Les choses ne sont pas toujours ce qu’elles paraissent ! »

Magali Van Reeth

Signis

le Jour des corneilles

de Jean-Christophe Dessaint

France, 2011, 1h36

Sortie en France le 24 octobre 2012.

film d’animation, à  partir de 8 ans.

Un très beau film d’animation où la dimension contemplative amène les spectateurs – quelque soit leur âge – à  réduire la distance entre le monde des vivants et celui des morts.

Les studios Gebeka ont l’habitude de produire des films d’animation de qualité, pour le jeune public. Ce nouveau long-métrage, Le Jour des corneilles est une très belle réussite, tant sur le plan du dessin que celui de l’histoire. Pour son premier long métrage, le réalisateur Jean-Christophe Dessaint s’est inspiré du roman éponyme de Jean-François Beauchemin, adapté par Amandine Taffin. Gardant la trame narrative, il a créé un univers visuellement très original et très beau, pour aborder des thèmes difficiles que rencontrent tous les enfants.

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Dans cette histoire qui se déroule en partie en forêt, Jean-Christophe Dessaint a su réinventer une nature mystérieuse, par moment généreuse et apaisante, à  d’autres aussi angoissante que dangereuse. Comme le personnage du père en fait, un ogre peu loquace, rude et exigeant mais pédagogue et protecteur. Son fils est un être joyeux, filiforme et mobile, dont le royaume s’étend aux confins de cette forêt qu’il a interdiction de quitter. Pour lui seul, la forêt est peuplée d’êtres silencieux mais bienveillants.

Comme dans la tradition des contes de fées, Le Jour des corneilles aborde les thèmes du deuil, de la figure changeante du père, de la solitude. L’enfant est au cœur d’un monde dont il connait parfaitement les codes mais qu’il ne comprend pas. A l’inverse d’autres films plus consensuels, ici les morts ne ressuscitent pas. La forme graphique, extrêmement belle et soignée, permet de mettre à  distance les appréhensions naturelles de l’enfance. Les vivants apprennent à  surmonter leurs peurs et leur chagrin pour construire un monde plus apaisé, montrant ainsi le chemin aux jeunes spectateurs.

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Loin d’être triste, l’histoire du fils Courge, qui va sortir de son territoire pour sauver son père, et découvrir un autre monde, recèle des moments de tendresse, d’humour et bien sûr d’aventure… On est sous le charme de cette nature où le dessin traditionnel est source d’émerveillement. Les champs de blé traversés par les coquelicots ont une telle présence qu’on en respire l’odeur et la matière ! Et la pluie sur les grands arbres sombres de la forêt est un moment tout simplement magique. Magique aussi la rencontre avec ces êtres, mi-animal mi-humain, souvenirs poignants et forts de ceux qui nous ont quitté mais qu’on n’a pas oublié. Ou porte ouverte sur un au-delà  ? Jean-Christophe Dessaint laisse chaque spectateur la liberté de sa propre interprétation.

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Un très beau film, pour tout public à  partir de 8 ans.

Magali Van Reeth

Signis

Amour

de Michael Haneke

France, 2012, 2h06

Festival de Cannes 2012, palme d’or

Sortie en France le 24 octobre 2012.

avec Emmanuelle Riva et Jean-Louis Trintignant.

Palme d’or 2012 au Festival de Cannes, ce film est l’histoire d’un immense amour conjugal, qui défie le temps qui passe mais pas la mort annoncée.

Parisiens des beaux quartiers, Anne et Georges vieillissent dans le calme de leur appartement cossu, entouré de musique et d’attention l’un pour l’autre. Parfois ils reçoivent, sans chaleur excessive, la visite de leur fille Eva. A la suite d’un malaise d’Anne, leur quotidien se tourne brusquement vers la maladie, la déchéance physique et, suite logique à  cet âge, la fin de vie. Amour raconte ce parcours à  travers les gestes de tous les jours, l’affection constante, les découragements, les renoncements.

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Pour mettre en scène un sujet aussi austère, Michael Haneke enveloppe le film dans une douce lumière, des teintes apaisantes, un grain de photo délicat qui donne une belle transparence aux visages des deux acteurs principaux. Quel bonheur pour tous les cinéphiles de retrouver ainsi Emmanuelle Riva et Jean-Louis Trintignant, portant avec eux tout un pan de l’historie du cinéma. On ne peut qu’admirer la délicatesse du couple qu’ils forment avec talent, on les retrouve avec un plaisir, vite mêlé d’appréhension dans ce parcours vers le grand clap de fin.

Sous l’apparente forme classique de ce film, et malgré la douceur du titre Amour, Haneke n’a pas perdu cette façon grinçante de regarder l’humanité. Ce couple, enfermé dans un confort bourgeois et dans une relation exclusive où personne ne peut entrer, n’a pas su aborder la mort sans lâcheté, sans désespoir. Par petites touches, comme une pierre trouble la surface lisse de l’eau, le réalisateur jette de l’effroi dans les pièces rassurantes de l’appartement.

Si on peut comprendre que, tout au long de ce cheminement douloureux vers la mort, il ne soit fait aucune référence au religieux, il est étonnant que même l’au-delà  ou le rituel soit si vite évacué. Si les époux évoquent l’enterrement d’un ami, c’est très rapidement. La cérémonie, le choix d’un cimetière, l’incinération ou non, toutes ces questions matérielles ne sont pas discutées. Le futur n’existe plus et aucun des deux ne parle de la solitude à  venir, d’un possible souvenir affectif, d’une communion après la mort. Un courant d’air glacé a alors tout le loisir pour s’installer dans cette histoire d’amour.

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Malgré leur grande culture artistique et intellectuelle, malgré la force de leur relation, Anne et Georges se ferment au monde, refusant même la dimension sociale de la mort. De nombreuses questions restent en suspens, que les dernières scènes du film n’éclairent pas. Le réalisateur préfère toujours montrer nos failles que donner des réponses. Pour lui, « la vie est d’une richesse contradictoire. Il faut poser des questions aux spectateurs, il ne faut pas tout expliquer. Il faut accepter de nous laisser surprendre. »

Pour ce film, Michael Haneke a reçu la palme d’or au Festival de Cannes 2012.

Magali Van Reeth

Signis

La Pirogue

de Moussa Toure

Sénégal/France, 2012, 1h27

Festival de Cannes 2011, sélection officielle, en compétition.

Sortie en France le 17 octobre 2012.

avec Souleyman Seye Ndiyae, Laïty Fall, Malamine Drame, Balla Diara.

Voyage mouvementé à  travers l’océan où le danger révèle la lâcheté des hommes et où le réalisateur nous rappelle subtilement que nous sommes tous dans le même bateau.

Le réalisateur sénégalais était le seul représentant de l’Afrique subsaharienne à  être en compétition dans la sélection officielle du Festival de Cannes 2012. Cela lui a permis d’avoir une bonne couverture médiatique et de parler de la situation désastreuse du cinéma dans son pays, et de celle, tout aussi désastreuse, de ses compatriotes qui tentent de rejoindre l’Europe au péril de leur vie. La Pirogue est l’histoire d’un de ces voyages.

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Dans la banlieue de Dakar, les artisans pêcheurs vivent de plus en plus difficilement face à  la concurrence industrielle. Les bateaux-usines ramassent tout le poisson au large et Baye Laye a du mal à  faire vivre sa famille. Pris au piège des dettes de son frère, il s’embarque à  contre cœur pour une traversée vers les Canaries. Il est le seul que l’Occident ne fasse pas rêver, il est le seul à  savoir conduire cette pirogue. Elle est jolie cette grande barque de bois peint de couleurs vives, capable d’affronter les vagues du large mais peut être pas un si long voyage. D’autant plus que les marchands de rêves l’ont beaucoup trop chargée : une trentaine de personnes, de l’eau et de la nourriture pour une semaine, un moteur de rechange, quelques effets personnels et un GPS.

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Plus qu’aux dangers du voyage et à  sa conclusion prévisible, que malheureusement les médias nous content si souvent, Moussa Toure s’intéresse à  l’huis-clos du groupe embarqué. Des personnalités différentes, de par leur âge, leur culture, leur langue et leur religion. Les dangers du voyage font vite monter la tension et à  la moindre étincelle, des clans se forment les uns contre les autres. Et lorsque le drame arrive, c’est une tragédie antique qui se joue dans la pirogue, où il faut choisir de perdre une vie pour en sauver d’autres

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Au Sénégal comme en Europe, dans une embarcation précaire comme dans une maison confortable, dès que le danger arrive, l’être humain pense à  sa survie, délaissant toute morale et repoussant lâchement l’idée de Dieu. La Pirogue est un condensé de cette humanité déboussolée par la peur. Comme l’Occident ferme ses frontières par peur aussi de manquer, de partager avec l’autre cet inconnu Moussa Toure ne juge personne, ne condamne pas mais laisse cependant un peu d’espérance aux hommes de bonne volonté.

Magali Van Reeth

Signis

Dans la maison

de François Ozon

France, 2012, 1h45

Sélection officielle Festival de San Sebastian 2012, Concha de oro (meilleur film)

Sortie en France le 10 octobre 2012.

avec Fabrice Luchini, Kristin Scott Thomas, Ernst Umhauer.

Brillant et complexe, le nouveau film de François Ozon nous emmène très loin dans les rouages de la fiction et du cinéma. Un vrai régal pour ceux qui aiment se laisser déstabiliser.

La plupart des films de François Ozon ont, comme figures centrales, des personnages ayant des difficultés à  séparer la réalité des fruits de leur imagination, leur ressenti intime de celui des autres. Sous le sable, Swimming Pool, Angel, Ricky ont amené le réalisateur à  explorer différentes facettes de ce thème. Avec ce nouveau film il réussit, avec talent, à  nous donner les clés de la fiction tout en ouvrant les portes qui permettent de la vivre avec une intense palpitation.

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Dans la maison commence à  la rentrée des classes, dans un lycée en apparence banal. Les profs reprennent du service et découvrent sans illusion les nouveaux élèves. Le prof de littérature, c’est Fabrice Luchini, alors on savoure par avance les tirades sur la belle langue et les grands auteurs. Mais dès les premières images, quelques signes viennent semer le doute chez le spectateur qui, presque malgré lui, pense déjà  à  la façon dont toute l’histoire va se dérouler

François Ozon installe le doute en nous et, dans les scènes les plus ordinaires, on se surprend à  frissonner. Sans doute à  cause de la narration récitée, qui surprend et berce à  la fois, et donne une autre interprétation des images projetées sur l’écran. Il en découle comme un agréable malaise. Sans doute parce qu’on a déjà  vu beaucoup de films et que le potentiel des drames qui s’ouvrent à  nous est immense. La tension monte, entre les salles claires du lycée et l’atmosphère chaleureuse de la maison : on ne sait jamais à  l’avance quelle porte va être ouverte et dans quel genre le film va s’installer ! Dans le roman qui se construit sous nos yeux, se mêlent l’imaginaire romanesque, les techniques littéraires et le réel, mais juste le réel auquel le réalisateur veut nous faire croire. C’est un délice pour le spectateur.

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Au-delà  de cette prenante expérience de cinéma, où François Ozon décortique la fiction pour mieux nous la faire ressentir, il y a toute l’ambigà¼ité de l’admiration entre un prof et son élève, toute la perversité d’une relation où l’émulation mutuelle renverse les limites de chacun. Il y a la violence du désir. Désir de s’immiscer dans la vie des autres, d’y prendre la meilleure part, désir de devenir l’autre, à  sa place. Le tout joliment emballé dans un film très fluide et bien desservi par ses acteurs. Aux côtés de Luchini (qui n’en fait pas trop), Kristin Scott Thomas joue sa femme, parfaite pour revenir vers la réalité. Et dans le rôle du jeune élève, Claude, Ernst Umhauer est impressionnant. Entre jeunesse et maturité, il dégage une calme perversité, encore une ambigà¼ité de plus.

Dans_la_maison__1dm2804_-_copie.jpgDans la maison est un film très original. C’est la création de la fiction sous nos yeux ébahis, avec toutes les étapes obligées : le ravissement, la stupeur, l’émotion de se savoir touché, la tension qui monte et nous fait frissonner, les fausses pistes, nos souvenirs et nos espérances, la part de rêve et d’introspection, les rebondissements puis la chute et le dénouement. Un grand plaisir de cinéma et un film envoutant !

Au Festival de San Sebastian 2012, François Ozon a reçu la plus haute récompense, la Concha de Oro (meilleur film) pour Dans la maison.

Magali Van Reeth

Signis

Reality

de Matteo Garrone

Italie/France, 2012, 1h55

Sélection officielle Festival de Cannes 2012, Grand prix.

Sortie en France le 3 octobre 2012.

avec Aniello Arena, Loredana Similoni, Nando Paone.

Quand la foi cathodique règne sans partage sur les foules populaires, que reste t-il comme espérance ? Un film bon enfant, à  la morale grinçante.

Jeune réalisateur, Matteo Garrone avait fait sensation en 2008 avec Gomorra qui dénonçait les pratiques banalisées de la mafia en Italie. Avec Reality, il prend le ton de la comédie pour dénoncer un autre travers de ses contemporains, la fascination pour les paillettes éphémères de l’univers médiatique. Toujours très talentueux, il ouvre son film avec une scène époustouflante où le regard du spectateur fait un tour dans les cieux pour redescendre au cœur d’une fête de famille. Nous sommes au spectacle et nous le resterons jusqu’à  bout.

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Le spectacle se déroule en quatre lieux, très différents mais qui se répondent, se complètent et stimulent les personnages qui jouent dans ces lieux. Le mariage a lieu dans un hôtel monumental, les invités sont déguisés et mis en scène pour la photo souvenir qui, seule semble attester de la réussite de cette union. Parmi les invités, on fait connaissance de Luciano et de sa famille.

Luciano, patron d’une petite poissonnerie, est une caricature de l’Italien jovial, drôle et généreux. La place du village où est situé son commerce est comme une scène de théâtre, où chacun joue parfaitement son rôle. Les clients, comme les mendiants, les autres commerçants, comme les nombreux membres de la famille. Pour faire pendant à  ce personnage exubérant, Michele, le commis, plus discret, préfère parler à  la Vierge qu’aux passants. Et tout le monde est heureux jusqu’au jour où Luciano décide de participer à  un jeu de télé-réalité, Grande Fratello. La farce va forcément tourner au cauchemar.

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Quelques actes se joueront dans l’intimité de l’appartement familial, lui-même emboité dans un immeuble entourant une cour, chambre d’échos des péripéties du personnage principal. Un théâtre décrépi de l’Italie en crise économique, où plus personne ne sait vraiment son rôle et improvise au gré des circonstances, espérant toujours un miracle télévisuel. Le dernier acte se joue dans les studios du tournage de l’émission, où Luciano pénètre par effraction, après avoir faussé compagnie à  Michele qui l’avait amené à  Rome pour voir le pape. A la dévotion catholique, Luciano préfère le grand saint médiatique, quitte à  y perdre son âme. Le dernier plan s’inscrit dans l’élan de la scène d’ouverture : on part des lumières de la télévision pour s’enfoncer dans l’obscurité totale. Pour Matteo Garrone, il est clair que le salut ne vient pas du petit écran.

Magali Van Reeth

Signis

Le Magasin des suicides

de Patrice Leconte

France/Belgique/Canada, 2012, 1h25

Sortie en France le 26 septembre 2012.

film d’animation

Ouvrir la porte de cet étrange magasin, c’est respirer une bouffée de bonheur et goûter aux couleurs de la vie. Patrice Leconte s’empare avec brio du dessin animé.

Dans le cinéma français, Patrice Leconte s’est taillé une place de choix avec de nombreux films à  succès. Plus de 30 films en 40 ans. Comédies franchouillardes comme Les Bronzés (1, 2 et hélas 3), drames comme Monsieur Hire (1989), La Veuve Saint-Pierre (2000) mais aussi Dogora (2004), poème visuel et musical. Tout n’est pas bon chez ce réalisateur prolifique mais c’est l’un des rares cinéastes actuels à  se renouveler autant, à  tourner avec autant d’acteurs différents, dans des registres si éloignés. Et aujourd’hui, il signe son premier film d’animation.

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Adapté d’un roman éponyme de Jean Teulé, Le Magasin des suicides est un conte joyeux et entrainant pour dérider tous les grincheux. Dans une ville sinistre, grise et lugubre, où le taux de suicides est très élevé, Mishima et Lucrèce vendent des articles très mortels, comme d’autres vendent des parfums ou des sacs à  main. Leurs deux enfants, Maryline et Vincent, aussi tristes que possible, attendent sans enthousiasme l’arrivée d’un nouveau bébé. Qui bien sûr, va tout chambouler.

Patrice Leconte prend un vrai plaisir à  dérouler cette histoire, du gris le plus terne aux couleurs éclatantes, qui va à  l’encontre de la sinistrose ambiante. De même, en tant que réalisateur, il s’amuse à  réaliser, grâce au dessin, des plans qu’il n’a jamais pu faire avec de vrais acteurs dans des décors réalistes. Et puisque dans ce monde-là  tout est plus facile, il fait aussi une comédie musicale, avec une succession de mélodies entrainantes qui donnent, dès les premières images, un ton joyeux à  tout le film.

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Comédie pour tout public à  partir de 10 ans

Magali Van Reeth

Signis

Ombline

de Stéphane Cazes

France, 2012, 1h35

Sortie en France le 12 septembre 2012.

avec Mélanie Thierry, Nathalie Becue.

Un film émouvant sur ces femmes qui accouchent et élèvent leur enfant en prison, dans un univers extrêmement violent, dont il est difficile de s’extraire.

Pour son premier film, le jeune réalisateur français Stéphane Cazes n’a pas choisi la facilité. Parler des femmes qui accouchent en prison et y vivent avec leur enfant pendant quelques mois est un sujet dramatique en soi mais qui ne fait sans doute pas rêver le grand public.

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L’actrice Mélanie Thierry interprète Ombline. Cette jeune femme, dont le père est lui-même en prison et qui vient d’un milieu instable, cache derrière la transparence de son visage un tumulte intérieur proche du chaos. Dans son monde, les repères et les codes ne sont pas les mêmes que ceux « des gens riches » et on comprend vite pourquoi, une fois qu’on est entré en prison, le cercle devient vicieux. Il faut une énergie hors du commun pour s’extraire de cet environnement, de la violence quotidienne reçue et donnée.

En dépit des maladresses dans la réalisation, Stéphane Cazes dresse un portrait réussi de ces femmes d’un autre monde qui, entre naïveté, révolte, espérance et désespoir, s’accrochent à  leur enfant pour trouver une raison de vivre. L’univers de la prison est montré avec beaucoup de réalisme, peut être un peu trop au détriment de la fiction. Mais on comprend vite que chaque instant est un combat, autant pour les détenues que pour les surveillantes et les représentants de la justice. La seule générosité vient des intervenants bénévoles, ceux qui sont là  « juste parce qu’ils aiment rendre service », au grand étonnement d’Ombline. C’est à  travers la maternité qu’elle découvrira et comprendra le don de soi.

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La dureté du parcours de la jeune femme pour éviter de sombrer, et de faire sombrer son fils avec elle, est poignante. Aussi la fin, un peu trop naïve, si elle permet à  certains spectateurs de sortir plus apaisés de la projection, est peu crédible. Mais Ombline reste cependant un film courageux et inhabituel et, parce qu’il est par moment très proche du documentaire, nécessaire pour mieux comprendre le comportement de tous ceux qui sont incarcérés ou qui travaillent avec les détenus.

Magali Van Reeth

Signis