Miss Bala

de Gerardo Naranjo

Mexique, 2011, 1h53

Festival de Cannes 2011, sélection Un Certain Regard.

Sortie en France le 2 mai 2012.

avec Stephanie Sigman, Noe Hernandez.

A travers le parcours tragique d’une jeune femme aux mains des trafiquants de drogue, le constat déprimant mais lucide de la mainmise des criminels sur l’état mexicain. Du cinéma puissant et rigoureux.

Pour le spectateur, Miss Bala peut être une expérience déprimante par la situation qu’il met en scène. Ce malaise n’est, bien sûr, rien à  côté de ce que vivent de trop nombreux Mexicains chaque jour. Le film nous donne pourtant deux bonnes raisons d’espérer. D’abord, il est heureux que le film existe et que certains artistes au Mexique aient eu le courage de dénoncer cet état de fait. Ensuite, la qualité artistique du film est telle qu’on reste soufflé par la maîtrise de la caméra, de la mise en scène et du jeu des acteurs.Miss_Bala_3-750x498.jpg

Parmi les producteurs de Miss Bala, on trouve les acteurs Gael Garcia Bernal et Diego Luna. Avec le réalisateur Gerardo Naranjo, ils dénoncent la situation catastrophique qui s’est peu à  peu installée au Mexique depuis une dizaine d’années. Le marché de la drogue est devenu si productif que les chefs de clan peuvent se permettre de tenir tout le pays et les forces de police par des pots de vin faramineux et un état de terreur quasi permanent sur la population. Parce que le gouvernement en place n’est plus capable de mener une politique sociale cohérente, ni d’assurer la justice, les assassinats de ceux qui tentent de résister, qu’ils soient élus locaux, militaires ou citoyens ordinaires, femmes ou enfants, sont quotidiens.Miss_Bala_1-750x498.jpg

Miss Bala, c’est Laura, une vingtaine d’années, une famille modeste, à  l’abri des tourments politiques. Avec sa copine, elles décident de participer au concours de miss. En se rendant sur place, elle assiste à  une fusillade et se retrouve, terrorisée, aux mains des trafiquants de drogue. Tremblante de peur, incapable de réagir, elle devient peu à  peu une marionnette aux mains de ceux qui n’ont aucune compassion pour elle.

Si la violence physique (fusillades, viol, tortures, assassinats) est plutôt brève et montrée sans insistance, le film suit la longue descente aux enfers de Laura. Comment une jeune femme « bien » peut se retrouver à  faire des choses épouvantables. La souffrance de Laura est palpable, son regard effrayé, sa respiration saccadée et le tremblement de ses jambes traversent le film comme une longue plainte. Avec elle, on ressent parfaitement ce que c’est de ne pas savoir comment agir, d’avoir à  choisir entre la peur et le dégoût, le ventre noué et la gorge serrée parce qu’il n’y a plus personne à  qui se confier. L’actrice Stephanie Sigman, dont la silhouette souple évoque ces rameaux frêles qu’on ne rompt pas facilement, donne au film une grâce particulière et on reste longtemps hanté par le terrible renoncement que son personnage doit accepter.Miss_Bala_2-750x498.jpg

Ce qui est féroce et déprimant, ce n’est pas le film mais bien la réalité qu’il montre : un pays corrompu qui sacrifie ses enfants au nom de la cupidité, brouillant l’idée même du bien et du mal pour toute une génération.

Magali Van Reeth

Signis

Viva Riva !

de Djo Tunda Wa Munga

RDC/Belgique/France, 2010, 1h38

Sélection officielle aux festivals de Berlin et Toronto 2011.

Sortie en France le 18 avril 2012.

interdit aux moins de 12 ans.

avec Patsha Bay, Manie Malone, Hoji Fortuna.

Un polar congolais qui permet d’entrer de plein fouet dans la fournaise de Kinshasa, en compagnie de personnages redoutables. Un vrai talent de cinéaste, une dose d’humour et un réquisitoire implacable contre la corruption.

Ces dernières années, très peu de films ont été tournés dans le continent africain, hormis le Maghreb, et ils sont encore plus rares à  sortir dans les salles européennes. Aussi, l’arrivée de Viva Riva! dans les salles françaises est une excellente nouvelle ! vivariva2.jpg

Djo Tunda Wa Munga est un réalisateur congolais formé en Belgique qui s’est beaucoup démené pour tourner dans son pays, avec des acteurs essentiellement locaux, et en langue lingala. Viva Riva ! est un film noir, noir par les acteurs, noir par l’ambiance, noir par le constat qu’il dresse de la société congolaise.

Riva est un jeune homme qui vient de passer quelques années en Angola et qui revient en RDC après avoir dérobé un chargement d’essence à  son patron. Grâce à  la pénurie de carburant qui paralyse Kinshasa, il espère faire fortune en revendant les barils, et commence à  faire la fête avec les copains d’autrefois. L’ouverture du film est saisissante, une caméra fluide balaye la mégapole, glissant à  peine sur les clichés habituels – trains bondés, tas d’ordures, misère à  tous les carrefours et grosses voitures européennes – pour donner une véritable épaisseur à  la ville et ses habitants, dont les odeurs, les bruits et l’âcreté deviennent palpables et transportent immédiatement le spectateur dans un autre univers.

Si l’intrigue est assez simple, avec des rebondissements classiques (rivalité autour d’une femme), les personnages sont savoureux et l’humour désamorce toute leçon de morale. César, le patron angolais, impeccablement vêtu de blanc, fait preuve d’un mépris pour les Congolais digne des pires heures de la colonisation. Le pouvoir militaire est incarné par une « commandante », terrifiée à  l’idée de tuer quelqu’un. Le copain d’enfance lâche sa famille pour la promesse d’une virée nocturne, le prêtre de la mission est un redoutable financier et la belle que les hommes convoitent est la fille d’un prof d’histoire.vivariva3.jpg

Parfois le réalisateur étire le film par quelques scènes de sexe et de bagarres un peu appuyées mais le portrait qu’il dresse de la corruption de son pays est sans appel. Le dollar est roi et pourri toutes relations, y compris au sein de la famille traditionnelle et il est souvent difficile de trouver des personnes de confiance. La fin du film voit tous les personnages – ou presque – rouler dans la poussière et le magot revient à  la seule personne encore innocente dans ce grand chaos qu’est le quotidien des habitants de Kinshasa.

Attention, ce film est interdit aux moins de 12 ans.

Magali Van Reeth

Signis

I Wish nos voeux secrets

de Kore Eda Hirokazu

Japon, 2011, 2h08

Sortie en France le 11 avril 2012.
Prix Signis au festival de San Sebastian 2011.

avec Koki Maeda, Ohshiro Maeda.

A travers le drame de deux frères au milieu de la séparation de leurs parents, une leçon lumineuse et douce, sur la quête d’un miracle qui pourrait changer nos destinées.

Au Japon, les drames sont souvent des catastrophes et dans les yeux d’un enfant d’aujourd’hui, la pire d’entre elles n’est pas un volcan en irruption, un tsunami ou une explosion atomique mais la séparation de ses parents. Deux jeunes frères se voient ainsi confiés l’un à  la garde de la mère, l’autre restant avec son père. Ils ont à  peine une dizaine d’années, sont très différents l’un de l’autre et souffrent des conséquences de cette séparation. Mais de façon différente. Koichi, l’aîné, est un garçon un peu triste, raisonnable et réservé. Ryunosuke est joyeux, malin et fantasque. A tous les deux, ils vont essayer de forcer le destin, dans une joyeuse escapade.iwish2.jpg

Il est dommage que le titre français est laissé de côté le « miracle » du titre japonais original Il y a bien longtemps que la France laïque adore les miracles et celui du dernier film de Kore Eda Hirokazu n’a rien de subversif. Deux jeunes frères séparés par le divorce de leurs parents tentent l’impossible pour réunir à  nouveau la famille. A ce souhait très contemporain que partagent tant d’enfants, il faut un miracle très actuel. Les médias abusant du vocable religieux lorsqu’ils parlent de la technologie moderne, le miracle imaginé par les enfants aura lieu lorsque deux trains à  grandes vitesse se croiseront. C’est l’énergie ainsi déployée qui permet à  l’impossible d’advenir, au miracle souhaité de s’accomplir.

Ancré dans un quotidien très japonais où on goûte des gâteaux de riz, où on se déchausse au seuil de l’appartement et où les enfants portent des uniformes pour aller à  l’école, I Wish nos vœux secrets résonne en chacun de nous, enfants ou adultes, dans notre quête effrénée du bonheur. Dans le voyage farfelu entrepris par Ryunosuke, Koichi et leurs copains, qui ne fonctionne qu’avec la grâce du cinéma, et où chacun attend quelque chose de différent, le miracle devient ce cheminement. Pour le réalisateur : « ils ont pris conscience qu’ils font partie de ce monde, eux aussi. C’est à  peu près à  ce moment-là  qu’ils apprennent aussi qu’il ne suffit pas d’aimer quelqu’un pour que cette personne vous aime en retour. Et si vous pouvez penser que cela fait partie de la vie, eh bien vous pouvez grandir en tant que personne. Les émotions qui côtoient le désespoir peuvent aider tout un chacun à  grandir. Personnellement, je pense que c’est cela, le miracle de la vie. » iwish4.jpg

Kore-Eda Hirokazu filme les enfants avec une délicatesse respectueuse, laissant apparaître les imperfections propres à  leur âge, leur insouciance naturelle et la gravité de leur implication. Le choix des acteurs est remarquable et tous forment une vraie bande autour des deux frères, complices, inquiets et joyeux à  la fois. Placé sous le signe de la catastrophe, le film est lumineux de bout en bout, avec une scène de pur bonheur au milieu d’un jardin de cosmos, où la fragilité des fleurs éphémères et colorées fait un écho poignant à  ces enfances si vite passées, si facilement brisées.

De par sa durée et son traitement, où les ellipses sont nombreuses et où beaucoup de questions restent en suspens, I Wish nos vœux secrets qui a pour personnages principaux un groupe d’enfants, n’est cependant pas un film destinés aux enfants. Au festival du film de San Sébastien (Espagne), ce film de Kore Eda Hirokazu a reçu le prix Signis et le prix du jury.

Low Life

de Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval

France, 2011, 2h04

Sélection officielle aux festivals de Locarno et Toronto 2011.

Sortie en France le 4 avril 2012.

Entre utopie poétique et désenchantement politique, le portrait d’une jeunesse urbaine qui cherche à  construire d’autres façons de vivre ensemble, sur les vestiges d’une société ancienne.

De part sa forme et son sujet, ce film austère et poétique peut déranger certains spectateurs. C’est bien l’intention des réalisateurs, Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval. Regrettant les prises de positions politiques de leur pays face à  la question de l’immigration et de la libre circulation des individus, ils proposent une réponse radicale. Qui est aussi un manifeste pour redonner toute sa force à  l’art et à  la culture, sans lesquels l’Homme ne peut envisager un avenir.LOWLIFE3.jpg

Filmé dans une ville qui ne montre que ses escaliers, ses berges et ses tunnels, des lieux en marge et à  l’ombre du clinquant de l’urbanité habituelle, un groupe de jeunes gens tente d’inventer une nouvelle façon de vivre. Il y a Carmen et son appareil photo, Charles et son cynisme, Hussain le sans-papier afghan, Julio et son trop lourd sommeil. Mêlant la magie noire et les interpellations de la police, les histoires d’amour et la mélancolie de la modernité, Low Life tente de cerner les utopies d’une jeunesse désenchantée.

La forme même du film reflète à  la fois le chaos de cette société et la complexité de l’engagement de ceux qui la veulent. Dans une atmosphère évoquant la poésie de Gérard de Nerval, certains personnages semblent hantés par une indicible souffrance. Grâce à  un remarquable travail sur la lumière, le clair-obscur baigne la première partie du film et, à  la manière des maîtres flamands de la peinture classique, place une source de clarté dans les ténèbres de la ville. L’art pour éveiller notre conscience et nous inciter à  participer à  la destinée du monde dans lequel nous vivons.LOWLIFE4.jpg

Comme une plainte chuchotée dans la nuit, le film peut évoquer le désespoir. Mais pour Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval, le personnage de Charles s’inscrit dans la continuité d’un autre Charles, celui du film de Robert Bresson, Le Diable probablement (1977). Malgré l’atmosphère sourde et les événements tragiques qui se succèdent dans Low Life, Charles reste aux côtés de celle qui n’a plus voulu de son amour, pour la protéger et l’aider. Fidélité à  une alliance rompue ou désir de l’autre à  travers son engagement, c’est un avenir à  construire.

Magali Van Reeth

Signis

La Terre outragée

de Michale Boganim

Ukraine/Pologne/France, 2011, 1h48

Prix du public au Festival Premiers plans d’Angers

Sortie en France le 28 mars 2012.

avec Olga Kurylenko, Andrzej Chyra, Ilya Iosifov.

A mi-chemin entre la fiction et le documentaire, sautillant entre le bonheur passé et l’espérance brisée de l’avenir, une évocation poignante du drame de Tchernobyl.

Jusqu’en avril 1986, les habitants de la petite ville de Pripiat en Ukraine vivaient heureux et insouciants à  l’ombre d’une centrale nucléaire. C’était la grande époque de l’Union soviétique où, sur d’immenses panneaux publicitaires, s’étalait cette phrase de Lénine : « le communisme, c’est le pouvoir soviétique, plus l’électrification de tout le pays ». Paysans, ouvriers et soldats, repus de propagande, vivaient heureux et insouciants sur la terre de leurs ancêtres.terreoutragee1__Les_Films_du_Poisson_Photo_Baruch_Rafic__DSC_1014__mariage.jpg

Le drame de l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl est évoqué à  travers le personnage d’Anya. Plus qu’un film militant sur les dangers du nucléaire, La Terre outragée utilise les ressorts de la fiction pour dire la souffrance de ceux qui ont vécu cette catastrophe de l’intérieur. Incompréhension face à  l’ampleur du danger, incrédulité, perte d’un être aimé, de son logement, de ses repères et de sa santé, c’est à  travers la douleur intime que l’histoire est racontée.

Jeune femme de Pripiat, la ville la plus proche de la centrale, Anya prépare son mariage. Autour d’elle, les habitants semblent vivre un printemps simple et sans histoire particulière. On va à  la pêche, on lave son linge dans la rivière, on nettoie les ruches, on sort les vaches dans le pré. Vision quasi idyllique d’une époque révolue, si ce n’était cette masse de béton et de fer qui fait un peu tâche dans le paysage et induit, dès les premières images du film, une inquiétude sourde. Et le 26 avril, Anya se marie avec le jeune homme qu’elle aime. Elle porte une belle robe blanche, on fait la fête sous une bâche. Le jeune marié est appelé en urgence pour éteindre un incendie et Anya ne le reverra jamais. Après quelques jours d’incompréhension et de panique, tous les habitants sont évacués et la zone est fermée.terreoutragee2__Les_Films_du_Poisson_Photo_Maxim_Donduyk__041_DON_6534__valery_a_Prypiat.jpg

Au-delà  des risques sanitaires, ce qui frappe dans le film, c’est l’attachement au lieu qui pousse certains à  rester, d’autres à  y revenir, malgré les risques. Dès qu’une partie de la zone interdite est rouverte en 1996, Anya revient pour y être guide mais on sent surtout chez elle une impossibilité à  quitter définitivement ce lieu, comme s’il était une part d’elle-même qu’elle oublierait alors. Une attirance morbide pour le bonheur d’une vie passée qui rend impossible tout futur. L’ancien garde-forestier lui a carrément refusé de partir et consomme avec gourmandise sa nouvelle récolte de pommes. Enfin, à  cause d’un contexte économique dramatique, des familles entières de clandestins entrent illégalement dans la zone interdite (et contaminée) pour investir des fermes abandonnées et s’y installer. La radioactivité, qu’on ne voit pas, qu’on ne sent pas, niée par les gouvernements de l’époque, est aujourd’hui ignorée par des individus qui n’ont pas d’avenir ailleurs.

Le film est tourné au plus près de la zone interdite, dans cette ville de Pripiat, amas de ruines en béton où la végétation sauvage envahit l’espace que les habitants ont dû fuir. Un lieu propice aux fantômes, à  la désolation, qui évoque le gâchis et la démolition. Démolition des murs qui se fissurent faute d’entretien mais surtout démolitions des êtres irradiés et des survivants qui ne sont plus que les ombres de leur jeunesse saccagée. A l’image d’Anya, dont le corps s’étiole peu à  peu mais qui revient toujours vers ces lieux maudits, incapable de partir.terreoutragee3__Les_Films_du_Poisson_Photo_Maxim_Donduyk__27_DON_4062__roue.jpg

Michale Boganim est une jeune réalisatrice israélienne, née en Ukraine et ayant longtemps vécu en France. Cette notion d’attachement à  un lieu, et donc la conscience d’une perte irrémédiable, lui est familière. La Terre outragée est un film doublement nécessaire. Il évoque la catastrophe de Tchernobyl et les dangers de l’industrie nucléaire mais aussi ceux de la nostalgie : « On a été heureux là -bas », faut-il pour autant se tuer à  y revenir ?

Magali Van Reeth

Signis

Les Adieux à  la reine

de Benoît Jacquot

France, 2011, 1h40

Ouverture de la Berlinale 2012

Sortie en France le 21 mars 2012.

avec Diane Kruger, Virginie Ledoyen, Léa Seydoux.

Versailles, juillet 1789. A la cour du roi Louis XVI, il faudra quelques jours avant que les événements de la Bastille viennent chahuter les habitudes, les princesses et les servantes. Et amorcer une révolution.

reine5.jpgLes films de Benoît Jacquot peuvent dérouter certains spectateurs. Il peut être difficile de trouver un lien commun à  des films aussi différents que La Fille seule (1995), Le Septième ciel (1997), La Fausse suivante (2000), Adolphe (2002), Villa Amalia (2009) ou Au Fond des bois (2010). Grand lecteur, le cinéaste aime porter des romans à  l’écran et dans les romans, il est plus sensible à  une ambiance, à  des nuances, qu’à  la vigueur d’une trame narrative. Pas de militantisme ni de message, si ce n’est le plaisir de faire du cinéma et de le faire en cinéaste amoureux du mouvement, de la lumière, de la mise en scène et du jeu des acteurs.

Des actrices surtout puisque c’est généralement elles qui ont les premiers rôles dans ses films. Ici, elles sont nombreuses, magnifiées dans leur charme, leur sensualité et leur pétillance. De Léa Seydoux, la plus novice, à  Martine Chevallier la plus experte. Diane Kruger est une Marie-Antoinette qui à  l’âge et l’accent qui conviennent, passant de la frivolité à  la raison dans la même scène et donnant toute sa fragilité au personnage. Julie-Marie Parmentier est un feu follet qui anime tout sur son passage, Noémie Lvovsky à  son aise en gardienne du temple et Virginie Ledoyen est une apparition solaire qui ternit les reflets de la galerie des glaces à  son passage. Mais justement, dans Les Adieux à  la reine, le rôle principal est attribué à  ce lieu unique qui sous-tend tout le film, le château de Versailles. L’un des monuments les plus visités du monde, demeure historique des rois de France, il est à  la fois le symbole du pouvoir royal et honnis, et la preuve éclatante de l’excellence des artisans, créateurs et bâtisseurs d’une époque révolue.reine3.jpg

Dans ce lieu ambigu, le réalisateur peut mettre en scène toute la dramaturgie du roman éponyme de Chantal Thomas. Quatre jours de juillet 1789 où, dans un monde clos et figé, les événements extérieurs vont faire vaciller un univers qu’on croyait immuable. C’est la marque des vraies révolutions, celles qui surprennent comme un séisme et bouleversent irrémédiablement l’ordre établi. Versailles est un château où habitent des milliers de personnes, grouillant autour de la famille royale. Des servantes dans les combles, des palefreniers dans les caves, des courtisans dans les placards et un archiviste dormant dans ses rayonnages. C’est le lieu idéal où s’épanouissent rumeurs, jalousies, intrigues : complots et bassesses assurés à  tous les étages pour ramasser les miettes d’affection de la reine.reine6.jpg

Benoît Jacquot capte les frémissements de la prise de la Bastille, dès la nuit du 14 juillet, dans ce bel ordonnancement. Les fêlures qui vont précipiter la chute du régime. Pas pour le regretter ou pour prendre partie mais pour montrer, dans les réactions les plus infimes et les comportements les plus ordinaires, la complexité des sentiments et la force d’un élan collectif. Pas besoin de montrer le peuple en colère, il restera hors champs et n’en acquière que plus de force quand on ne le ressent que dans les volte-face des personnages de la cour, grands ou petits.

Les costumes sont à  la hauteur du décor et les actrices portent avec aisance et naturel des robes splendides. On est émerveillé par le traitement de la lumière, que ce soit sur le visage des personnages ou dans les diverses pièces du château. Benoît Jacquot et son équipe technique ont soigné les éclairages pour qu’ils rendent au mieux la particularité de la flamme, omniprésente alors. Feu de cheminée, de bougies ou rayons du soleil entrant par la fenêtre, on a sans cesse l’impression que la lumière est encore plus belle et plus naturelle qu’en vrai ! C’est un ravissement d’un bout à  l’autre du film.

reine2.jpgSur le fond, on peut trouver qu’on n’aura pas appris grand-chose sur la Révolution française. Là  n’est pas le propos du réalisateur. Pour Benoît Jacquot, Les Adieux à  la reine, c’est avant tout vivre de l’intérieur, jusque dans la lumière particulière de cet été là , l’effritement d’un monde et de ceux qui l’ont incarné.

Magali Van Reeth

Signis

Ah ! La famille…

Pour sa troisième édition, les Journées Cinéma et réconciliation de La Salette ont choisi d’explorer le thème de la famille à  travers une dizaine de films.

Choisis par les intervenants dans le catalogue du répertoire classique ou contemporain, ces films reflètent la diversité des familles et de la complexité des relations qu’on y tricote, entre drames et quotidien. Dans une ambiance chaleureuse et dans un cadre grandiose, c’est une occasion unique de partager sa passion pour le cinéma !

De l’Europe, avec Secrets et mensonges de Mike Leigh ou L’Enfant des frères Dardenne, jusqu’au Japon avec Departures de Yohiro Takita, il y aura aussi de la place pour les films d’animation ou le monde fantastique de la saga de Narnia. Chaque film est présenté par un intervenant et suivi d’une discussion. Tout le monde peut participer. L’entrée aux projections est gratuite (participation souhaitée).

Cette année, des ateliers cinéma sont proposés aux adultes et aux enfants, en plus des projections.

Ah ! La famille…. Les journées Cinéma et réconciliation ont lieu du samedi 28 avril au mardi 1 mai, au sanctuaire Notre Dame de la Salette en Isère.

Programme et inscription sur le site de La Salette http://lasalette.cef.fr/spip.php?rubrique491

Contact par courriel : contact@cine-salette.com

Téléphone : +33 687 83 38 32

38 témoins

de Lucas Belvaux

France, 2011, 2h09

Sortie en France le 14 mars 2012.

avec Yvan Attal, Sophie Quinton, Nicole Garcia.

Un film fort, dénonçant la lâcheté ambiante et redonnant tout son sens à  la justice, lorsqu’elle est au service de la société et non pas un instrument de vengeance personnelle.

C’est toujours avec une certaine fébrilité qu’on va voir le nouveau film de Lucas Belvaux. On se souvient avec émotion de la trilogie Un Couple épatant, Après la vie et Cavale (2003) qui, à  travers une vaste fresque de trois longs métrages, donnaient différents points de vue sur un même événement. Dans La Raison du faible (2006) et dans Rapt (2009), le réalisateur belge montrait qu’aucun genre ni acteur ne l’intimidait. 38 Témoins ravit nos attentes par un récit prenant et de bons acteurs qu’on ne voit pas souvent. Mais surtout, le film soulève de nombreuses questions de société qui deviennent vite, à  travers la fiction, des cas de conscience et des questions morales très complexes. La réflexion sur le rôle de la justice est particulièrement pertinente.38Temoins_photo5_c_Kris_Dewitte.jpg

Une nuit d’hiver, au Havre, une femme est assassinée au pied d’un immeuble, dans une rue où se trouvent d’autres immeubles d’habitation. Pourtant, aux questions de la police et de la presse qui arrivent sur place dès le matin, personne n’a rien vu, rien entendu, rien remarqué. Une journaliste enquête, c’est Nicole Garcia, parfaite dans ce rôle, bien différent de ceux qu’on lui demande de jouer d’habitude. Un couple parmi les nombreux riverains, Louise qui était en voyage ce soir-là  et Pierre, son fiancé, plutôt taciturne. C’est Sophie Quinton, tout en blondeur juvénile, respirant l’innocence, et Yvan Attal, un homme rongé douleur, enfermé dans ses questions.

38Temoins_photo3_c_Kris_Dewitte.jpg38 témoins a été tourné au Havre, en utilisant au mieux la géographie de la ville. Les scènes alternent entre celles tournées au pied des immeubles, dans les rues aux lignes droites et reposantes, tout en modernité désuète, où chacun reconnait son voisin, où l’architecture est à  taille humaine, c’est à  dire adapté à  l’usage qu’en fait l’homme, à  sa mesure. Et les scènes faces à  l’océan, les grues du port, les quais immenses, la lumière grise où, les jours de gros temps, le ciel rejoint la mer. Cet immense espace est parcouru par des monstres métalliques venus du monde entier pour ravitailler les habitants de la ville, de toute l’Europe. Ici, chacun est seul face à  soi-même, dans un environnement non dompté, où les éléments sont sauvages. Là , Pierre doit guider des bateaux de 200 mètres de long, avec un remorqueur qui semble alors minuscule, jusqu’au quai de déchargement. Tout repose sur lui, comme dans l’enquête sur le meurtre : que peut-il face au silence et à  l’incompréhension des autres ?

Habité par sa faute qui lui fait perdre le sommeil, Pierre met au centre du film l’idée même du sens de la justice. Est-il juste de condamner le silence ? Faut-il préserver notre confort immédiat ou écouter notre conscience ? Et oui, Pierre a une conscience et il semble bien être le seul ! Le film donne aussi la parole à  un procureur qui laisse exploser sa colère contre la lâcheté devenue un fait de société, ou ceux qui veulent tout juger pour comprendre : « A quoi ça sert de comprendre ? On ne comprend jamais rien ! ». Tout est rendu plus complexe par le rôle de la presse qui use parfois si malhabilement de son pouvoir sur l’opinion.38_Temoins_photo9_c_Kris_Dewitte.jpg

Le film évoque aussi l’inconstance des amours immatures, ceux qui affirment avec une calme détermination « je ne te quitterais jamais » et qui, quelques jours plus tard, annoncent « je te quitte », avec la même assurance et sans l’ombre d’un doute ou d’un remords Lorsque les médias prônent l’amour fusionnel et transparent, le dialogue et l’harmonie, comment affronter la difficulté, le silence et la peur ?

Pierre est un homme honnête, malgré sa faute, mais à  contre courant de ce qu’on attend aujourd’hui. La souffrance des autres nous est devenue si insupportable qu’on la dénie. On ne console plus celui que la douleur a envahi mais on lui conseille de se soigner, d’aller « voir quelqu’un » et on lui prescrit 15 jours d’arrêt maladie et des médicaments pour se détendre On traite les symptômes, pas la racine du mal. On préfère le silence ou le mensonge qui ne change rien, plutôt que la parole qui fait mal et bouscule.

38Temoins_photo6_c_Kris_Dewitte.jpgAvec ce film, Lucas Belvaux fait de nous, spectateurs, « des témoins de témoins » et nous renvoie à  nos propres lâchetés, à  nos craintes, à  nos mensonges. Mais à  travers Pierre, ce personnage digne, droit dans ses bottes de pluie, capable de guider un bateau monstrueux pour l’amener « à  bon port », il nous montre une porte de sortie : il est toujours possible d’aller à  contre-courant du mutisme ambiant pour parvenir à  une meilleure façon de vivre ensemble.

Magali Van Reeth

Signis

Entre les Bras, la cuisine en héritage

de Paul Lacoste

France, 2011, 1h30

Sortie en France le 14 mars 2012.

documentaire

Dans les paysages splendides du plateau de l’Aubrac, l’un des plus célèbres cuisiniers du monde passe la main à  son fils. Non sans hésitation.

Documentaire savoureux, dans tous les sens du terme, Entre les Bras est une promenade dans une des plus célèbres cuisines du monde, celle de Michel Bras à  Laguiole, au cœur du Massif central. Dans ce paysage épuré que le réalisateur Paul Lacoste saisit dans sa plus belle lumière, notamment en hiver et au soleil couchant, c’est l’heure de la retraite pour le grand cuisinier et il doit laisser la main à  son fils Sébastien. Ca n’est pas très facile. lesbras3.jpg

Ni pour le père, artiste de génie. Il a travaillé dur et longtemps pour transformer le petit restaurant familial en endroit à  la mode et gagner les fameuses trois étoiles Michelin. Au moment de rendre son tablier, il hésite Comment lâcher ce métier qu’il aime tant ? Comment se tenir désormais à  l’ombre de la gloire ? Ni pour le fils. Ayant toujours secondé son père, il attend sans impatience de prendre sa place, de créer à  son tour, de décider.lesbras2.jpg

A défaut de pouvoir goûter, on se régale avec les yeux : la moindre salade chez les Bras est une fête de couleurs, un tableau délicat que le réalisateur nous laisse pleinement contempler. D’ailleurs, il adore ça, le réalisateur, donner du souffle aux assiettes et aux casseroles qui tournoient autour de sa caméra. Sans bavardage, il donne du corps à  la création culinaire, au génie du père et du fils, à  la mélancolie de la situation.

Dans une féerie de très belles images, pendant que les cuisiniers et commis s’activent au piano ou dans le montage des assiettes, le cinéaste capte, lui aussi avec grâce et pudeur, la subtilité et la complexité des sentiments, des émotions et des doutes qui saisissent chacun des protagonistes.lesbras4.jpg

Entre les Bras est un film sur la transmission, l’amour du travail bien fait, le respect des traditions et le sens de la famille. C’est du très bon cinéma, qui nous fait rêver devant une assiette de légumes et des histoires de famille !

Magali Van Reeth

Signis

Miracle en Alabama

SIGNIS, l’association catholique mondiale pour le cinéma, et le service Arts, cultures et foi du diocèse de Lyon vous invitent à  l’Institut Lumière

le lundi 26 mars 2012, à  20 heures, pour la projection du film

Miracle en Alabama (1962) d’Arthur Penn.

A travers le destin d’Helen Keller, comment surmonter la violence et le handicap grâce à  la communication et à  la découverte de la pensée structurée. Un très beau portrait de femme.

La séance sera suivie d’un débat animé par Samuel Petit, de la cinémathèque de Paris.

Prix des places 6 euros.

Institut Lumière, entrée 23 rue du Premier Film, Lyon 8ème, métro Monplaisir-Lumière.