Elena

d’Andrei Zviaguintsev

Russie, 2011, 1h49

Festival de Cannes 2011, Un Certain Regard, prix spécial du Jury.

Sortie en France le 7 mars 2012.

avec Nadejda Makrina, Andrei Smirnov, Elena Liadova, Alexei Rozine.

Dans un appartement calme et lumineux, au luxe un peu glacé, les tourments d’une femme pour le bien de ceux qu’elle aime. Mais entre le Bien et le Mal, difficile parfois de reconnaître ce qui est juste.

En 2003, Andrei Zviaguintsev, jeune réalisateur russe inconnu remportait le Lion d’or de Venise avec Le Retour, un film aussi fort par son sujet que par sa maitrise technique. Après avoir confirmé son talent avec Le Bannissement, voici aujourd’hui Elena, présenté dans la section Un Certain Regard du Festival de Cannes 2011, où il a été récompensé par un « prix spécial du jury ». Encore une fois, on est stupéfait et par l’ampleur du sujet et par la réalisation qui fait honneur à  la grande école du cinéma russe.elena3.jpg

Dans un bel appartement moscovite, Elena semble être la domestique de Vladimir, dont elle s’occupe avec un dévouement silencieux. Parfois, elle quitte la tranquillité luxueuse de son quotidien pour aller rendre visite à  son fils et à  sa famille. Long voyage en transports en commun, terminé à  pied pour arriver dans une triste banlieue. Dans un minuscule logement, on discute à  la cuisine autour de nourritures simples et de préoccupations qui le sont tout autant : le manque d’argent De ce manque découlent des problèmes de plus en plus complexes. Elena est coincée entre deux mondes, sollicitée par les uns, étouffée par les autres. elena1.jpg

Avec ce film, Andrei Zviaguintsev a voulu montrer « un drame contemporain qui tente de mettre l’homme à  l’épreuve des éternelles questions de la vie et de la mort. Au tréfonds de son être, chaque individu est profondément seul. Cette solitude est le début, la fin et le fil conducteur de toute vie humaine. Dans le monde actuel, les idées humanistes se dévalorisent à  vue d’oeil, poussant l’homme à  se replier sur lui-même et se tourner vers ses instincts les plus anciens. »

Ce sentiment de solitude est amplifiée, en Russie comme ailleurs, par le décalage entre les riches, de plus en plus riches, et les pauvres de plus en plus déboussolés dans une société de consommation qui les attire mais à  laquelle ils ne peuvent pleinement accéder. L’envie de posséder, de jouir, de consommer, de réussir est si forte, si agressive, que la morale vole en éclat Le véritable drame devient alors celui porté par Elena qui, au fond, ne veut que le bien de ceux qu’elle aime. Par amour pour eux ? Pour se sentir enfin aimée, respectée ? Est-ce un crime ? Andrei Zviaguintsev laisse le spectateur juger par lui-même : « il n’y a pas de héros dans mes films. Il y a seulement une situation dans laquelle se retrouvent des personnages. C’est une situation de choix, et c’est ce choix auquel le personnage est confronté qui est le premier héros du film. L’autre héros du film, c’est le langage cinématographique qui va montrer le comportement des personnages à  l’écran ; et c’est l’idée du film qui en est l’héroïne. »elena2.jpg

Effectivement, le langage cinématographique renforce cette notion de solitude et de déchirement. Le bouillonnement de vie dans le petit logement de banlieue répond au silence propre du désert affectif du quartier bourgeois. Tout les oppose, jusqu’au bière/cornichon des uns et au jus d’orange/muesli des autres. Elena fait des va et vient d’une moitié d’elle-même à  une autre, de plus en plus seule et perdue. Le premier et le dernier plans du film, qui se répondent avec brio, parviennent à  transmettre la complexité des situations qui nous attendent, et l’émotion de les avoir vécues. De grands moments de cinéma. Nadejda Makrina, célèbre actrice russe, incarne avec talent le personnage principal, Elena, cette femme douce, maternelle et effacée qui, un jour, peut se métamorphoser en monstre. Parfaite madone à  l’enfant, comme le montre l’affiche, elle est l’âme tourmentée du film : dans un geste si anodin, comment ne pas céder à  la tentation ? Elena est un très beau film qui pose des questions essentielles : elles nous concernent tous.

Magali Van Reeth

Signis

Oslo, 31 août

de Joachim Trier

Norvège, 2011, 1h36

Festival de Cannes 2011, Un Certain Regard

Sortie en France le 29 février 2012.

avec Anders Danielsen Lie, Hans Olav Brenner.

Une fin d’été en Norvège, la lumière est belle mais le drame affleure, entre solitude et mal être, où se pose la question du désir de vivre.

Inspiré du roman de Pierre Drieu La Rochelle, Le Feu follet et du film éponyme de Louis Malle, ce film retrace la journée d’Anders, un jeune homme de 34 ans, infiniment triste et désemparé face à  la vie. Un mal de vivre d’une autre époque, auquel les événements récents et tragiques de l’été 2011 en Norvège ont redonnées une singulière actualité. L’impression mélancolique est donnée dès le début du film : le passé récent de la ville d’Oslo est évoqué à  travers des images « façon super 8 » et les souvenirs de ses habitants s’égrènent au fil des rues parcourues. Dans ces images floues et si anodines, l’imminence du drame est une certitude.

Pendant ces 24 heures, la caméra file Anders, toxicomane en voie de guérison, dans un quotidien apparemment ordinaire. Le propos n’est pas nouveau mais la mise en scène du jeune réalisateur norvégien, Joachim Trier nous offre un très beau film. Le cadre, les plans et surtout la lumière donnent une tonalité particulière où la tension est aussi forte que l’impression de mélancolie générale. Nous sommes le 31 août et l’atmosphère d’une douce fin d’été est saisissante, poignante même. oslo2.jpg

Sans bavardage inutile, Joachim Trier construit son personnage dans des scènes éloquentes, tantôt très brèves mais n’hésitant pas à  étirer certaines d’entre elles pour donner plus d’importance au dialogue ou au découpage. Deux scènes laissent une forte impression.

Lorsqu’Anders arrive à  l’improviste chez Thomas, les deux amis commencent à  échanger des banalités, cachant leur gêne sous des gestes anodins. Mais lorsqu’enfin ils commencent à  vraiment parler, le réalisateur nous amène au cœur de cette conversation, n’hésitant pas à  laisser aux personnages le temps d’exprimer des nuances, de faire des retours en arrière. On peut alors arriver au fond des choses, comme on prend rarement le temps de le faire au cinéma. Qu’est-ce que c’est être heureux à  l’âge où on confronte la lourdeur du quotidien aux rêves d’autrefois ? Est-il possible, comme on le voulait à  l’adolescence, de ne pas être « comme les autres » ? Assis dans un jardin d’enfants, face à  la ville en contrebas, les deux hommes parlent avec sincérité.

Un peu plus tard, Anders est à  la terrasse d’un café. C’est encore une belle journée d’été, le soleil brille à  travers les vitres. Autour de lui, beaucoup de gens sont attablés. Les filles portent des robes légères et les hommes des vêtements de couleurs claires. C’est un moment fragile, suspendu, apaisé, chaleureux. Le brouhaha des conversations est pareil à  une musique d’ambiance, au chant des oiseaux dans la campagne. Des phrases en émergent ça et là , disant à  la fois le bonheur de l’instant et les manques qui dévorent la tête. Une adolescente fait la liste de ses projets, poème à  la Prévert et douce litanie montrant la futilité de cet âge, qui ne se sait pas insouciant Pour Anders, tout est encore possible et l’irrémédiable n’est pas une nécessité.
oslo-31-aout_p3.jpg
Mais, on l’aura compris dès les premières images, la solitude est toujours plus étouffante au milieu du bonheur des autres. Anders aura encore à  la vivre une autre fois, d’autant plus douloureuse, qu’elle est accompagnée par la tentation. On sait dès lors qu’il n’y aura pas d’issue heureuse, qu’une vie sera gâchée faute d’avoir trouvé du sens.

Le sens de la vie est bien la question posée par Oslo, 31 août, comme elle l’était déjà  dans le roman de Drieu La Rochelle. Lorsque le désir n’existe plus, que les repères familiaux ou sociaux sont brouillés, qu’aucune notion vitale n’est en danger et qu’il n’y a pas de croyance, où trouver l’envie de vivre ? Avec une image élégante et lumineuse qui tranche avec la noirceur du propos, le réalisateur plonge le spectateur au cœur de ce manque. Le désarroi contemporain, la solitude de la modernité et l’addiction ne sont que l’expression d’une vie qui n’a plus de sens pour celui qui en a hérité. Joachim Trier ne donne pas de réponse pertinente mais pose la question avec une belle sincérité et un talent certain.

Magali Van Reeth

Signis

La Mer à  boire

de Jacques Maillot

France, 2012, 1h38

Sortie en France le 22 février 2012.

avec Daniel Auteuil, Yann Tregouet, Maud Wyler, Carole Frank.

A travers le parcours tragique d’un chef d’entreprise pour sauver son outil de travail, une réflexion sans concession sur la responsabilité de tous face à  l’enchainement implacable de la faillite d’un rêve.

Réalisateur discret, tant dans les médias que dans son travail, Jacques Maillot n’essaye jamais de séduire le spectateur en le rassurant ou en le réconfortant dans ses certitudes béates. Dans Nos Vies heureuses (1999) et Les Liens du sang (2008), le propos dénonçait le titre : nos vies ne sont pas si heureuses et les liens du sang parfois distendus. Et La Mer à  boire laisse un goût très amermer4.jpg

Alors que de nombreux films récents, qui parlent de la crise financière, donnent néanmoins une lueur d’espérance, notamment à  travers la solidarité ou la chance, Jacques Maillot donne vraiment la mer à  boire à  son personnage principal. Georges Pierret est à  la tête d’un chantier naval qui construit depuis des années de petits bateaux de plaisance de qualité. Attaché à  son entreprise, il aime son métier, ses collaborateurs, le travail bien fait jusque dans les moindres détails.

mer5.jpgCette fois, l’ennemi n’est pas un monstre lointain et sans visage, un triple A anonyme, un consortium de banques, la crise mondiale dont tout le monde parle mais que personne ne peut appréhender. Dans La Mer à  boire, ce qui fait chuter Georges Pierret, c’est certes un concours de circonstances lié à  un contexte économique international, mais c’est aussi une succession de mauvais gestes posés par des gens en chair et en os. Comme si par là  Jacques Maillot voulait nous dire que nous sommes tous responsables, à  notre niveau, de certains désastres

Leçon à  la fois terrible et revigorante, puisque sous les dehors un peu outranciers de la fin du film, la culpabilité nous éclabousse. L’amer est dur à  boire ! Mais il est bon qu’un cinéaste nous bouscule par un film assez radical. Autre qualité, le film est porté par Daniel Auteuil. Il incarne à  merveille cet homme à  la fois chaleureux et taiseux, énergique dans son quotidien et triste au fond de lui. Capable de tout pour sauver sa dignité et celles de ceux qui travaillent avec lui. Quitte à  commettre l’irréparable lorsqu’il n’y a plus de solution.

Magali Van Reeth

Signis

La Taupe

de Tomas Alfredson

Royaume-Uni/France/Allemagne, 2011, 2h07

Sélection officielle Venise 2011.

Sortie en France le 8 février 2012.

avec Gary Oldman, Colin Firth, Mark Strong, John Hurt.

Un grand classique des romans d’espionnage, porté à  l’écran dans une ambiance surannée et ample, qui pourra séduire les plus réticents au genre, de part sa forme cinématographique.

On peut classer les cinéphiles en deux catégories : les amateurs de films d’espionnage, capables de suivre les intrigues les plus compliquées et de savoir, en temps réel, « qui travaille pour qui » (le fondement même du roman d’espionnage). Puis les autres, comme moi, qui dans le premier quart d’heure du film ont déjà  perdu pied et ne comprennent ni l’objet de la quête ni « qui travaille pour qui » Ceux là  trouveront de quoi se régaler les yeux dans La Taupe qui déroule 2 heures durant une envoûtante atmosphère. taupe2.jpg

Inspiré du célèbre roman éponyme de John Le Carré, paru en 1974, La Taupe nous plonge dans les années de la Guerre froide en Europe. Une Europe coupée en deux entre l’est et l’ouest, le capitalisme triomphant et la surconsommation à  l’ouest, le communisme austère et les disettes à  l’est. A Londres, les agents secrets roulent en DS et ont la mine défraîchi des quinquagénaires revenus de tout, rien à  voir à  James Bond. A l’est, dans une architecture à  la munificence surannée, on meurt pour des idées.

Le réalisateur Tomas Alferdson a opté pour une opposition entre une caméra fluide et très mobile, et des personnages en apparence figés dans leurs amples pardessus et leur mutisme opaque. Sans doute pour renforcer la capacité des « taupes » à  changer de camp, l’imminence de la fin d’une époque et célébrer la vie politique lorsqu’elle n’était pas encore soumise à  la dictature des banques. Dans des tons sépia, où la fumée des cigarettes, les gros téléphones et les meubles en formica étaient un signe de modernité, les espions semblent n’avoir d’autres missions que de se surveiller mutuellement.taupe4.jpg

Les personnages, interprétés avec une chaleureuse retenue par Gary Oldman, Colin Firth, Mark Strong et John Hurt, savent qu’ils jouent une partie d’échec où la victoire n’est que temporaire. Pudiques, discrets et peu bavards, ils nous touchent par leur soudaine humanité (chagrin d’amour, regrets) ou dans une scène surprenante, comme celle de la fête de Noël où le chant entonné par tous est assez décoiffant !taupe3.jpg

Déroutant et envoûtant, La Taupe est un voyage dans une Europe et un temps qui n’existent plus et qui, sans être trop mélancolique, peut aussi séduire ceux qui n’aiment pas les films d’espionnage !

Magali Van Reeth

Signis

Zarafa

de Rémi Bezançon et Jean-Christophe Lie

France, 2009, 1h18

Sortie en France le 8 février 2012.

film d’animation, à  partir de 5 ans.

Le voyage extraordinaire d’une girafe entre l’Afrique et la France, avec ses compagnons d’équipée : une belle aventure dans un très beau graphisme.

L’histoire de cette girafe qui part d’Afrique pour arriver à  Paris, après un voyage forcément extraordinaire, est en partie vraie. En 1826, le pacha de la ville d’Alexandrie en Egypte, dont la souveraineté est menacée par les Turcs, décide d’alerter les souverains européens. Il décide d’offrir une girafe au roi de France, d’Autriche et d’Angleterre, pour solliciter leur aide. Une seule girafe arrivera à  destination, celle pour le roi de France. Et cela grâce au naturaliste Etienne Geoffroy de Saint-Hilaire qui a scientifiquement préparé son voyage. Les girafes « anglaise et autrichienne » mourront avant d’arriver à  leur destination.zarafa4.jpg

Capturée au Soudan alors qu’elle n’a que quelques semaines, la girafe voyage avec trois vaches qui lui fourniront du lait tout au long du voyage. Arrivée à  Marseille à  l’automne, on attend les beaux jours pour faire la route jusqu’à  Paris. Son voyage, sous la surveillance attentive d’Etienne Geoffroy de Saint-Hilaire, est un triomphe et les gens se pressent en masse pour découvrir cet animal étrange. A Paris, le roi Charles X la regarde à  peine et ne s’émeut pas du tout sur le sort du pacha d’Alexandrie La girafe devient l’attraction du Museum d’histoire naturelle, où elle passe le reste de sa vie.zarafa5.jpg

Le réalisateur Rémi Bezançon (Le Premier jour du reste de ta vie) s’est emparé avec enthousiasme de cette histoire déjà  rocambolesque en soi et y a ajouté ce qu’il faut de fiction et de piment pour en faire un beau film d’aventure. Un petit garçon, Maki, fait le voyage avec Zarafa et lui aussi découvre un autre monde au fur et à  mesure que l’expédition remonte vers le Nord. Avec lui, un guerrier sombre mais protecteur, un savant rondouillard et bonhomme, deux vaches laitières et beaucoup de rencontres pittoresques en chemin.zarafa2.jpg

Les voix de la version française sont particulièrement réussies et on reste longtemps sous le charme de celle de Simon Abkarian Un joli film pour toute la famille et les enfants à  partir de 5 ans. Qui montre aussi que la qualité n’a pas besoin de la technologie 3D pour émerveiller.

Magali Van Reeth

Signis

Une Bouteille à  la mer

de Thierry Binisti

Israël/France, 2010, 1h39

Sortie en France le 8 février 2012.

avec Agathe Bonnitzer, Mahmud Shalabi.

La complexité de la violence entre Palestine et Israël racontée à  travers le parcours de deux jeunes gens qui sont voisins mais ne peuvent légalement se rencontrer.

Ce petit film a l’immense mérite d’essayer de faire la part des choses dans une région du monde où il est difficile de ne pas prendre parti. Tal est une jeune lycéenne française dont la famille vient de s’installer en Israël. Pendant que son père exulte d’être enfin là  où il doit être, Tal découvre un nouveau monde, parfois de façon traumatisante. Voulant comprendre le pourquoi de la violence, elle écrit à  un jeune Palestinien imaginaire et envoie une « bouteille à  la mer » puisqu’il n’y a pas de possibilité d’échanges entre Gaza et Israël. Et reçoit la réponse de « Gazaman », avec qui elle commence à  correspondre.bouteille2.jpg

Adapté d’un roman de Valérie Zenatti, le film tente de donner deux points de vue. Non pas ceux tranchés d’un personnage politique ou d’un engagement murement réfléchi mais celui d’une adolescente qui perçoit avec beaucoup de naïveté le monde extérieur, elle-même en plein bouleversement dans une région chahutée par l’Histoire et la violence ; et celui de Naïm, guère plus âgé mais qui sait déjà  que s’il veut vivre chez lui, ce sera derrière un mur et sans aucun espoir.bouteille1.jpg

Loin de tomber dans l’angélisme d’une réconciliation à  tout prix, le réalisateur Thierry Binisti, pour son premier long-métrage, nous surprend plusieurs fois et nous captive jusqu’à  la dernière scène. Les difficultés de faire correspondre deux personnes qui ne peuvent jamais être dans un même lieu sont surmontées sans lourdeur. La tension monte sans à -coups et le spectateur s’implique sans réticence dans la « course poursuite » finale. Traversé par la présence lumineuse de l’actrice Agathe Bonitzer et celle envoutante de Mahmud Shalabi, Une Bouteille à  la mer est un intelligent rayon de soleil sur une région qui en est tant dépourvue.

Magali Van Reeth

Signis

Sur la planche

de Leïla Kilani

Maroc/France/Allemagne, 2010, 1h46

Festival de Cannes 2011, Quinzaine des réalisateurs

Sortie en France le 1 février 2012.

avec Soufia Issami, Mouna Bahmad, Nouzha Akel.

Un film marocain, portrait plein d’énergie d’une jeunesse qui lutte pour sortir des carcans traditionnels et économiques, en déséquilibre permanent.

« Bouge ! » A l’heure où les printemps arabes secouent une partie du monde, Leïla Kilani, réalisatrice marocaine, met en scène une jeune femme qui, loin des débats politiques, a une façon bien à  elle de prendre sa vie en main. Badia, 20ans et apparemment sans attache, tente de survivre au quotidien à  Tanger. Tanger en ce début de 21ème siècle a perdu son aura romanesque en devenant zone franche entre l’Europe et le Maghreb. Lieu portuaire où se concentrent les industries occidentales qui embauchent majoritairement des femmes, plus fiables pour travailler le textile ou éplucher la crevette 8 heures par jour. planche2.jpg

Tanger est aussi le lieu où les hommes, immobiles et passifs, attendent un bateau vers l’Europe. Tournant résolument le dos à  leurs vies, à  leur pays. C’est ce contraste entre la passivité des hommes et l’énergie farouche, brute et déterminée des ouvrières envahissant la zone à  l’aube, qui a donné envie à  Leïla Kilani, jusqu’alors documentariste, de tourner cette fiction. Tanger est devenu le lieu de ceux qui ont quitté leur village et leur famille contre un salaire ou un rêve, où d’autres usages prévalent dans l’anonymat des rencontres.

« Bouge ! », Badia, « une crevette », semble ne connaître que ce verbe, comme si ce mouvement frénétique et perpétuel la rendait insaisissable par les forces obscures prêtes à  l’arrêter. Bouger, en déséquilibre permanent « sur la planche », celle qui peut vous faire couler à  pic ou rebondir ailleurs, Badia ne fait que ça. Le visage fermé, les poings serrés, elle ne relâche jamais la pression, ne se pose jamais. Pendant 1h45, on va respirer avec elle, bouger avec elle, toujours au bord de la chute, la mâchoire crispée sur sa détermination : ne pas s’arrêter. Dans son sillage, elle va entrainer avec elles d’autres jeunes femmes, jusqu’à  la cavalcade finale qui l’arrêtera pour de bon.planche4.jpg

Dans ce quotidien en accéléré et en souffrance, à  l’image de Badia, on a à  peine le temps de se demander ce qui la porte. Désir de s’en sortir, de s’enrichir, de s’affranchir ? Ne connaissant rien de la vie de Badia avant d’arriver à  Tanger, on imagine qu’elle va de l’avant pour ne pas que la misère la rattrape, un mariage arrangé ou une famille trop possessive. L’instinct de survie semble avoir remplacé toute idée de conscience ou de morale mais qui peut jeter la pierre à  ses filles que l’ordre économique a ravalée au rang d’esclaves ? Jusqu’au bout de cette trajectoire insensée, Badia nous happera, avec nos questions, et le mystère qu’elle porte bien emmuré sur son visage.

Sur la planche est un film qui brûle d’une énergie inhabituelle et montre la belle vitalité du cinéma marocain. Soufia Issami, l’actrice principale, lui apporte une aura exceptionnelle. Le film a été montré au dernier Festival de Cannes, dans la sélection de la Quinzaine des réalisateurs.

Magali Van Reeth

Signis

Les Chants de Mandrin

de Rabah Ameur-Zaimeche

France, 2011, 1h37

Festival de Locarno 2011, compétition officielle ; Prix Jean Vigo 2011

Sortie en France le 25 janvier 2012.

avec Jacques Nolot, Christian Milia-Darmezin, Kenji Levant, Rabah Ameur-Zaïmeche, Salim Ameur-Zaïmeche, Sylvain Roume .

Dans la très belle lumière d’un automne à  la campagne, un film qui prend des chemins de traverse pour parler de la liberté des hommes et de leur désir de fraternité.

Pour commencer, il vaut mieux dissiper toute ambigà¼ité : ce film en costumes n’a pas vocation d’être un film historique. On n’apprendra pas grand-chose sur le personnage de Mandrin mais beaucoup sur la façon de faire du cinéma, pour peu qu’on accepte d’entrer dans ce film exigeant et inhabituel. Pour le réalisateur Rabah Ameur-Zaïmeche, le contexte historique est un prétexte pour se régaler d’autres images, mettre en scène d’autres situations et donner un rythme atypique à  tout le film.mandrin3.jpg

A travers la vie de ces rebelles, constamment en déplacement dans les campagnes françaises du 18ème siècle, le réalisateur filme le mouvement des corps, des animaux et de la lumière dans les forêts d’automne. Il parle de liberté en faisant déborder ses personnages du cadre imposé, au propre comme au figuré. Dans Les Chants de Mandrin, ce qui importe n’est pas de raconter une histoire ou de faire l’Histoire mais de donner au spectateur, forcément immobile, l’envie du mouvement. Lorsque les personnages se déplacent, que ce soit le marquis, le colporteur, les soldats ou les brigands, c’est toute la troupe qui fait sentir le désir de liberté.

Rabah Ameur-Zaïmeche aime faire des films qui déroutent le spectateur. La narration est comme en suspens, la caméra s’attarde dans les moments où il ne se passe rien, en apparence, rien de dramatique ou de spectaculaire. Dans ces instants où la vie peut surgir, que ce soit dans le passé ou dans le présent, c’est l’instant qui importe, c’est la vie qui est captée. mandrin2.jpg

Les Chants de Mandrin est un film ample, où la lumière a un rôle très important et où il est donné de la matière pour exercer son imagination et son penchant à  la contemplation. Les cadrages sont soignés, la mise en scène est un enchantement, chaque plan un régal pour les sens. Même les acteurs, autour de Jacques Nolot et de Rabah Ameur-Zaïmeche, disent leur texte avec une gourmandise qui fait pétiller leurs yeux. Un film rare d’un cinéaste discret qui travaille à  l’écart des modes.Il a reçu le prix Jean Vigo 2011.

Magali Van Reeth

Signis

The Descendants

d’Alexander Payne

Etats-Unis, 2011, 1h50

Sortie en France le 25 janvier 2012.

avec George Clooney, Shailene Woodley, Amara Miller.

Dans un cadre exotique, une comédie douce amère sur la famille, entre couple au bord de la rupture, ados enflammés et querelles autour du patrimoine hérité des ancêtres.

Contrairement à  ce que les clichés des agences touristiques veulent nous faire croire, on peut aussi être très malheureux quand on habite toute l’année à  Hawaï, à  Tahiti ou dans une autre de ces îles dites paradisiaques D’abord, si le paradis existait quelque part sur terre, ça se saurait. The Descendants, les héritiers en français, joue sur ce décalage pour instiller un facteur comique dans un drame familial : quand on est en bermuda et chemise à  fleurs criarde, beaucoup de situations semblent moins graves et on est forcément un peu plus ridicule.descen4.jpg

Pourtant, c’est bien un drame que vit Matt King lorsque sa femme se retrouve dans le coma après un accident de ski nautique. Lui qui fuyait dans le travail depuis des années, le voilà  obligé de faire face au quotidien et à  ses deux filles. Alexandra est une adolescente revêche, adepte des situations à  risques, et Scottie une enfant boulotte qui n’a pas la langue dans sa poche. Il faut ajouter une belle-mère déconnectée et une horde de cousins s’étripant sur la vente du domaine familial. Hawaï sera donc à  l’unisson des ennuis de Matt, on verra beaucoup de pluie, peu de jolies filles en maillot de bain, beaucoup d’embouteillages et de couloirs d’hôpital.

Au-delà  du côté comique crée par ce décalage, il y a un homme qui a gâché sa vie, et celle de sa famille, à  force de considérer les relations affectives comme un dû, que ce soit l’amour de sa femme ou la complicité avec ses filles. N’ayant rien fait pour les entretenir, il s’étonne que toutes trois lui échappent. Tout comme il laisse échapper l’héritage familial contre une grosse somme d’argent (quelque chose qu’on peut mieux mesurer que l’amour). L’acteur américain George Clooney est parfait dans ce rôle du type sûr de lui, courant en tongs après l’amant de sa femme !descen3.jpg

Le charme du film, c’est aussi la complexité de tous les personnages, que le spectateur a vite fait de classer dans la catégorie du « parfait crétin », avant de se rendre compte qu’il a jugé trop vite Comme en regardant une carte postale, on ne voit qu’une partie du paysage. Comme Matt, qui croyait que tout était immuable et laissait filer le sens de la vie.

Magali Van Reeth

Signis

La Colline aux coquelicots

de Goro Miyazaki

Japon, 2011, 1h31

Sortie en France le 11 janvier 2012.

film d’animation, tout public à  partir de 10 ans.

Avec un très beau graphisme, une histoire d’adolescence un brin mélancolique mais où les raisons d’espérer sont nombreuses.

Il n’est sans doute pas facile de faire des films d’animation quand on est le fils du célèbre réalisateur japonais Hayao Miyazaki. Ou peut être que si Toujours est-il que ce second long métrage de Goro Miyazaki est une belle réussite, beaucoup plus convaincante que son premier, Les Contes de Terremer, sorti en 2008. La Colline aux coquelicots se démarque clairement de l’univers du père et il vaut mieux le savoir avant d’y inviter de trop jeunes enfants : ils risquent de s’ennuyer ferme dans cette histoire où il n’y a ni monstre fantastique, ni aventure ! coque4.jpg

C’est avant tout un film d’ambiance et il nous plonge délicieusement dans une époque révolue mais pas si lointaine, le Japon à  la veille des Jeux olympiques de 1964. Les personnages principaux sont deux lycéens de Yokohama, Umi, la jeune fille, et Shun, le garçon. Au sortir des traumatismes de la deuxième guerre mondiale, le pays est en plein bouleversement et la contestation politique est présente dans les établissements scolaires. C’est donc sur fond de révolte et de désir d’indépendance qu’Umi et Shun vont se rencontrer.coque2.jpg

Avec le graphisme propre au studio Ghibli, le réalisateur nous amène au plus près du quotidien des personnages. Les rites de la cuisine, du vieux réchaud à  gaz à  la boîte à  riz carrée, l’aménagement intérieur des maisons, avec ses cloisons de papier, les rues en pente où on conduit à  gauche, les étals de marché au crépuscule, tous les détails annexes au déroulement de l’histoire sont autant enchantement que dépaysement ! Ils ancrent Umi et Shun dans une réalité palpable et lorsqu’ils croquent dans un beignet, on salive avec eux. On tremble aussi dans cette fin d’adolescence où il faut à  la fois gérer les émois amoureux et les grandes questions existentielles qui secouent leur entourage. Que faut-il garder de la culture ancienne ? Qui sont nos pères ? Quelle place pour les femmes dans cette nouvelle société ?coque5.jpg

Comme dans beaucoup de films d’animation japonais, on peut regretter les grands yeux ronds de tous les personnages mais on est vite sous le charme des plans plus larges, la mer où les paquebots croisent les petits bateaux de pêcheurs, la ville accrochée aux pentes qui semble aussi scintiller et le raffinement de la végétation. Comme dans beaucoup de films japonais, la catastrophe n’est jamais loin et le bonheur est toujours teinté de mélancolie. La Colline aux coquelicots est un film où il y a beaucoup à  voir et à  contempler, où le charme opère avec une grâce tranquille et où les personnages se construisent, comme dans la vraie vie, entre la douleur de la perte et la force de l’espérance.

Magali Van Reeth

Signis