Une Vie meilleure

de Cédric Kahn

France, 2010, 1h50

Sortie en France le 4 janvier 2012.

avec Guillaume Canet, Leila Bekhti.

Un garçon charmant et plein d’énergie, une nouvelle histoire d’amour mais les occasions de trébucher sont nombreuses : un thriller social et affectif haletant !

A quoi sait-on, dès les premières images du film, que ça ne va pas être facile pour le personnage principal ? Que le mauvais sort, la malchance et les catastrophes vont lui tomber dessus « comme la misère sur le pauvre monde » ? C’est tout l’art d’une mise en scène réussie qui, dès le premier plan du film, instille de l’angoisse au cœur du spectateur dans une scène pourtant anodine où un homme demande du travail dans un restaurant chic. vie4.jpg

Une Vie meilleure, c’est l’histoire d’un type bien, Yann, un garçon charmant même, quoique un peu impulsif. Il est plein d’énergie, veut changer de vie, et changer la vie, mais on comprend vite qu’il n’est pas né les poches pleines. Son enthousiasme, si séduisant pour la jolie Nadia, va lui faire enchaîner les maladresses et ses rêves de vie meilleure vont tourner au cauchemar.

Très vite, Cédric Kahn fait monter la pression. Il y avait longtemps qu’on n’avait pas fait autant corps avec un personnage de fiction, partagé ses angoisses et ses frayeurs. A travers les galères de Nadia et Yann où, comme dans la vraie vie, la spirale d’échecs s’accélère proportionnellement au montant du crédit. Mieux, le réalisateur joue avec les clichés des films de déchéance et, plusieurs fois mais souvent à  tort, on imagine la scène suivante, le geste de trop, l’instant fatal où il n’y aura plus de retour possible. On en vient même à  le souhaiter pour que cesse cette tensionvie3.jpg

Pour libérer le spectateur de l’intensité de ce film au rythme dense et rapide, des moments plus étirés concernent la relation entre Yann et le jeune garçon, Slimane, dont il a bien malgré lui la charge. Instants de complicité où se partagent la tendresse et la douleur, et qui montrent le bonheur d’être ensemble, même dans un environnement déchiqueté. En quelques scènes très réussies sous leur apparente simplicité, un lien affectif se construit entre un homme qui n’a pas d’enfant et un enfant qui n’a pas de père. Comme autour des baskets volées, véritable exercice de philosophie pratique où la morale et la survie s’opposent. La scène condense avec une fulgurance remarquable toute la dimension politique du film : comment vivre décemment lorsqu’on ne possède pas ce qui est considéré comme indispensable au bonheur dans la société occidentale actuelle ?

La construction de cette relation, où se créée un nouveau lien père/fils, donne un tout autre écho au film. Sans cela, Une Vie meilleure ne serait peut être qu’une autre descente dans les enfers du capitalisme. Plus subtilement, Cedric Kahn construit du lien affectif à  mesure que le personnage se perd dans les gouffres financiers. Bien que très réaliste, cette spirale de l’échec ne finit pas dans un mur. Autant le dire tout de suite à  ceux qui hésiteraient, ce film d’actions et de tensions se termine avec une pointe d’espérance. vie2-2.jpg

La mise en scène brillante et le jeu de l’acteur principal, Guillaume Canet, permettent d’entrer pleinement dans l’histoire des personnages et dans les chemins complexes qui donnent des raisons d’espérer. C’est du grand cinéma où l’exigence artistique sert à  poser une question de société, tout en donnant au spectateur assez d’espace pour trouver lui-même des éléments de réponses.

Magali Van Reeth

Signis

Corpo celeste

d’Alice Rohrwacher

Suisse/Italie/France, 1h40, 2011.

Festival Religion Today, mention du prix Signis 2011.

Sortie en France le 28 décembre 2011.

avec Yle Vianello, Salvatore Cantalupo, Anita Caprioli.

Une très jeune fille cherche la traduction de ces mots appris au catéchisme « Eli, Eli, lama sabachthani ? » qui résonnent étrangement dans son adolescence et dans la ville où elle vient d’emménager.

Dès les premières images du film, la réalisatrice nous intrigue. Nous sommes en Italie, un jour d’hiver gris et froid. Une procession catholique se prépare dans une ces friches urbaines, à  la fois en chantier et en ruines, signes d’une modernité désespérée. Même les haut-parleurs grésillent d’une façon insupportable Dans cette Calabre loin des clichés touristiques, une jeune fille de 13 ans, Marta, lumineuse par la finesse de son teint, la couleur de ses cheveux, et sa jeunesse, attire le regard.corpo2.jpg

Corpo celeste est le premier long-métrage d’une jeune réalisatrice italienne. Elle utilise finement la géographie d’une ville saccagée par manque d’anticipation et de moyens, avec le bouillonnement interne d’une adolescente devant faire des choix. Alice Rohrwacher : « Sous la maison de Marta, comme une cicatrice sur le ventre de la ville, court le lit d’une rivière asséchée (ou fiumara). C’est là  que les gens jettent tout ce dont ils n’ont plus besoin et qui pourrait servir à  d’autres. D’autres fiumari traversent la ville. Ils sont larges, presque toujours à  sec, formant des trous béants autour des maisons. En y regardant de plus près, ce ne sont pas des no man’s land, au contraire, ils sont plein de vie : de déchets bien sûr, mais aussi de jardins, de potagers secrets, de cabanes. Ce sont des endroits où la nature apparaît dans toute sa force et sa contradiction. Pour moi, c’est un lieu magnétique, ambigu et constamment en changement. Sans aucun doute un espace qui intrigue et attire Marta. Terrain de jeux pour des adolescents, comme des points à  l’horizon, leurs mouvements microscopiques la fascinent, bien au delà  de ce que lui propose son quotidien. Comment entrer dans cet espace, comment choisir à  quel monde appartenir ? »

Marta, qui a toujours vécu en Suisse, vient de revenir avec sa famille, dans son village d’origine. Cette émigration du retour est un phénomène récent. Soumis à  des difficultés économiques dans leur pays d’accueil, les Italiens reviennent chez eux où ils peuvent bénéficier du soutien de leurs familles. Marta se prépare à  la confirmation dans la paroisse du quartier, au sein d’une équipe où elle pourra se faire de nouveaux amis. La découverte d’un autre univers est source de richesse et de souffrance, elle réalise qu’elle peut faire des choix, qu’elle est entrain de quitter le monde de l’enfance.corpo3.jpg

Dans cette histoire, il y a aussi un questionnement sur la façon de faire église aujourd’hui. La paroisse où Marta prépare sa confirmation est gérée par un jeune prêtre, sans état d’âme, le regard porté sur une promotion, plus soucieux de comptabiliser les votes en faveur d’un candidat aux élections locales que d’élever ses ouailles vers des problématiques plus spirituelles. Il doit faire face à  ses paroissiens qui ne veulent plus d’une croix en néon derrière l’autel de l’église et réclament un crucifix traditionnel. Pendant ce temps, les catéchistes s’échinent à  faire apprendre par cœur les « réponses correctes » à  des adolescents qui ont du mal à  refouler la bêtise de leur âge Dans un très beau hameau ancien et désert, où Marta et le jeune prêtre viennent chercher un crucifix (dans le pur style des bondieuseries du 19ème siècle), un autre prêtre, plus âgé et encore plus solitaire, donne à  la jeune fille une autre clé pour comprendre la figure du Christ.

Si la réalisatrice porte un regard acerbe sur l’exercice de la religion catholique aujourd’hui en Italie, elle montre aussi qu’elle en connaît parfaitement les symboles et les enjeux. Le film se termine au matin de Pâques, par le passage de Marta à  travers l’eau d’un fiumara pour déboucher vers l’espace immense et plein de promesses de la mer.

Magali Van Reeth

Signis

Le Havre

d’Aki Kaurismaki

Finlande/Allemagne/France, 1h33, 2011.

Festival de Cannes 2011, du prix du jury œcuménique, mention spéciale.

Sortie en France le 21 décembre 2011.

avec André Wilms, Katy Outinen, Jean-Pierre Léaud, Jean-Pierre Daroussin, Blondin Miguel.

Lorsque le célèbre réalisateur finnois s’installe en France le temps d’un film, il reconnait ce qui convient le mieux à  son univers. Et y trouve une touche de mélancolie joyeuse et pleine de charme.

A voir la ville du Havre, construite par l’architecte Auguste Perret à  la fin de la Seconde guerre mondiale, à  travers le regard d’Aki Kaurismaki, on réalise à  quel point c’est une évidence ! Une connivence idéale entre un réalisateur finnois à  l’humour froid, la tendresse réservée, la beauté austère, l’élégance rare et sans effet de manche, et une ville construite comme un défi aux destructions antérieures, pour que les habitants y soient simplement heureux au quotidien. havre3.jpg

Pour parfaire le tableau, Aki Kaurismaki choisit les acteurs français qui s’intègrent le mieux à  son univers. Jean-Pierre Léaud avec qui il avait déjà  tourné ; André Wilms, au physique et au jeu si « kaurismakien » et Jean-Pierre Daroussin, dans le rôle du méchant qui n’arrive pas à  être vraiment méchant. Katy Outinen a fait le voyage de Finlande mais passe plus de temps à  l’hôpital qu’à  faire la soupe à  son mari.havre4.jpg

On retrouve les thèmes habituels de Kaurismaki, où il installe ses personnages aux limites de la ville et du temps, brouillant ainsi les réels questionnements de société dans la fiction la plus pure. C’est la France d’aujourd’hui avec le problème des sans-papier dans une ville portuaire mais les cafés sont d’une époque révolue, comme les marchands de quatre-saisons et les cireurs de chaussures viennent d’un autre univers. Le réalisateur s’amuse visiblement et les clins d’œil sont nombreux, comme celui fait au réalisateur tchadien, Mahamat Saleh Haroun. Et va jusqu’au miracle pour parfaire ce conte doucement joyeux, moderne et savoureux.

Magali Van Reeth

Signis

Café cinéma

Au cœur du centre-ville de Lyon, une discussion animée autour d’un film à  l’affiche, entre 12h30 et 13h30.

La participation est libre et le café est offert !
Le film à  débattre est annoncé à  l’avance à  Saint-Bonaventure ou sur le site Arts, cultures et foi, pour que tous puissent le voir avant la discussion.

Il s’agit d’un film récent, à  l’affiche dans les différents cinémas de l’agglomération. Chacun voit le film avant la rencontre, au jour et à  l’heure qui lui convient.
Le débat est animé par Magali Van Reeth, de Signis, l’association catholique mondiale pour le cinéma.

Prochaine séance jeudi 19 avril à  12h30, autour du film I Wish nos voeux secrets de Kore Eda Hirokazu, sortie en salle le mercredi 11 avril.

Adresse :

Saint-Bonaventure

7 place des Cordeliers 69002 Lyon

autres dates

jeudi 10 mai

jeudi 7 juin

Des vents contraires

de Jalil Lespert

France, 2011, 1h31

Sortie en France le 14 décembre 2011.

avec Benoît Magimel, Antoine Duléry, Isabelle Carré, Audrey Tautou, Ramzy Bedia, Aurore Clément.

Entre film policier et chronique intimiste, un homme en souffrance après la disparition de sa femme, tente de vivre, porté par ses enfants.

Jalil Jespert est jeune acteur français qu’on avait aimé dans Ressources humaines (2001) de Laurent Cantet, Le Promeneur du Champs de Mars (2005) de Robert Guédigian ou Le Petit lieutenant (2005) de Xavier Beauvois. En 2007, il réalisait son premier long métrage, 24 mesures, où le scénario improvisait à  la façon d’une partition de jazz, délaissant la structure d’un récit. Avec Des Vents contraires, il prouve son envie de faire du cinéma tout en améliorant la mise en forme de ses intentions.vents2.jpg

Jalil Lespert s’est donc appuyé sur une histoire plus construite, un scénario plus cadré. Inspiré du roman éponyme d’Olivier Adam, le film est le portrait d’un homme en survie. Père de deux jeunes enfants, dont la femme a disparu brusquement après une dispute, Paul cherche une issue à  sa douleur, un moyen de ne pas sombrer. Le réalisateur pose sa caméra dans les lumières marines de la Bretagne et traite le sujet sans verser dans le drame, avec délicatesse et élégance.

Tout au long du récit, la tension reste palpable, comme dans un film policier. Face à  cet homme impulsif, parfois aussi mauvais joueur que ses enfants, maladroit et tendre, on se pose forcément la question de la culpabilité. Jouant avec les codes du genre et les ellipses énigmatiques, Jalil Lespert brouille les pistes en rendant Paul très sympathique : un homme qui aime autant ses enfants peut-il être mauvais ? C’est un autre homme en perdition qui posera à  Paul cette question essentielle, et l’aidera à  prendre ses responsabilités, en évoquant Dieu au passage. vents3.jpg

Les acteurs, Benoît Magimel, Isabelle Carré ou Antoine Duléry entrent parfaitement dans cet univers. Ancrés dans leur vie mais traversés de doutes, ils sont des héros ordinaires dans un quotidien où la violence et le drame existent. On apprécie que d’autres grands noms viennent les rejoindre, même brièvement, des personnalités aussi diverses qu’Audrey Tautou, Ramzy Bedia ou Aurore Clément. Le réalisateur utilise leur notoriété pour nous faire croire à  leur invincibilité. Et soigne tous ses personnages, même ceux qui ne font que croiser la vie de Paul. Ils sont là  pour donner du « grain à  moudre » comme le dit joliment Jalil Lespert.

Plus que la recherche d’un coupable ou d’une vérité, Des Vents contraires fait le portrait d’un homme d’aujourd’hui, un trentenaire qui aurait cultivé son penchant naturel pour la paresse et l’irresponsabilité s’il n’avait pas été confronté au drame. Et à  ses deux enfants qui, le tirant sans cesse vers un quotidien qu’il refuse, l’aide à  dépasser son enfermement et à  s’établir dans une nouvelle vie, plus lumineuse.

Magali Van Reeth

Signis

Carnage

de Roman Polanski

France/Espagne/Pologne/Allemagne, 1h20, 2011.
Festival de Venise 2011.

Sortie en France le 7 décembre 2011.

avec Jodie Foster, Kate Winslet, Christoph Waltz et John C. Reilly.

Un film bref et intense où l’on voit les ravages de la violence des mots, du cynisme et des convictions, chez des gens tout à  fait civilisés !

Le huis clos au cinéma est toujours un exercice intéressant où on peut voir comment le réalisateur joue avec la notion d’intimité, d’étouffement et d’espace. Trois notions sur lesquelles que Roman Polanski a pu longuement réfléchir après avoir été assigné à  résidence pendant de longs mois. Inspiré de la pièce de théâtre de Yasmina Reza, Le Dieu des carnages (2006), le film est aussi l’illustration d’un dérapage ou de l’adage qui dit que l’enfer est pavé de bonnes intentionscarnage3.jpg

Un couple de newyorkais aisés, dont le fils de 11 ans vient de perdre de deux dents suite à  une bagarre au terrain de jeu, invite les parents de l’enfant responsable de cette agression pour en discuter, « entre gens civilisés ». Bien évidemment, la discussion va vite déraper, chacun ayant non seulement sa propre version de ce qu’est une agression, la violence ou une attitude « civilisée ». Dans l’écrin d’un bel appartement bourgeois, où un bouquet de tulipes jaunes importées de Hollande est la seule chose qui rappelle aux quatre protagonistes la Nature dont ils sont issus, ils vont peu à  peu succomber à  la colère.carnage4.jpg

La caméra de Roman Polanski fait de cet espace confiné un terrain de jeu pour adultes, élargissant tour à  tour le ring et la sature des personnages, ou rétrécissant leur champ de vision en même temps que leur esprit critique. Tant est si bien qu’on a réellement l’impression d’assister à  une partie de ping-pong acharnée, sueur inclus ! Le rythme est haletant, les réparties ciselées. Les 4 acteurs choisis par Roman Polanski, Jodie Foster, Kate Winslet, Christoph Waltz et John C. Reilly, travaillent tous dans une tradition américaine du jeu, donc un peu plus forcée, qui convient parfaitement à  ce huis clos agressif. Même Jodie Foster arrive à  perdre son sang-froid…
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Carnage, dont le titre même indique qu’on n’est pas là  pour parler tendresse et joie de vivre, est un rude portrait de l’individu contemporain, dénonçant promptement une violence qu’il ne contrôle jamais entièrement. Le film ne s’aventure jamais dans les explications et privilégie l’action, la confrontation et les manifestations de la violence à  travers les paroles. Il nous tend ainsi un saisissant miroir de nos faiblesses ! Si deux incisives et un livre peuvent être rachetés avec de l’argent, comment réparer les blessures portées par les mots ?

Magali Van Reeth

Signis

Projections à  l’Institut Lumière

Comme l’an dernier, le groupe lyonnais de SIGNIS, l’association catholique mondiale pour le cinéma, le groupe Libre parole de la paroisse Saint Alban/Saint Maurice de Lyon et le service Arts, cultures et foi du diocèse de Lyon vous proposent un cycle de projection à  l’Institut Lumière.

La prochaine séance a lieu le lundi 23 janvier 2011, à  20 heures

avec la projection du très beau documentaire La Vie moderne (2008) de Raymond Depardon, , sur la fin d’une certaine conception de l’agriculture. Des images magnifiques et des personnages attachants.

La séance sera suivie d’un débat animé par Martin Goutte. Prix des places 6 euros.

Institut Lumière, entrée 23 rue du Premier Film, Lyon 8ème, métro Monplaisir-Lumière.

Prochaine séance

Lundi 26 mars 2012 : Miracle en Alabama d’Arthur Penn

Je m’appelle Bernadette

de Jean Sagols

France, 1h50, 2011.

Sortie en France le 30 novembre 2011.

avec Katia Miran, Michel Aumont, Alessandra Martinez, Nicolas Joubet, Francis Huster, Rufus.

A travers l’histoire d’une jeune fille très ordinaire qui voit apparaître une « belle dame », les débuts du sanctuaire de Lourdes, racontés avec simplicité.

L’histoire de cette Bernadette-là  est celle de Bernadette Soubirous, jeune fille pauvre et illettrée vivant à  Lourdes à  la fin du 19ème siècle. Une des saintes les plus populaires de l’Eglise catholique et la fondatrice d’un lieu de pèlerinage connu dans le monde entier. Après les apparitions, le petit village de Lourdes est devenu l’une des plus grandes destinations touristiques de France, où passent chaque année plus de trois millions de personnes.bernadette3.jpg

Le film est une belle leçon de catéchisme, avec une image soignée, des costumes d’époque, de bons acteurs. Katia Miran est une Bernadette pleine de vie, d’humilité et de détermination. Son sourire radieux est suffisant pour faire oublier qu’elle est sans doute trop bien habillée pour le rôle. La vérité historique et les positions de l’Eglise d’alors sont parfaitement respectées.

Avec subtilité, Je m’appelle Bernadette rappelle que dans la crédibilité de la jeune fille, il y a aussi un problème de société. A cette époque, si on est pauvre, c’est un châtiment divin, on est responsable de la misère dans laquelle on vit, pour une faute qu’on a sans doute commise. Les pauvres sont encore tenus responsables de leurs mauvaises conditions de vie et les notables de Lourdes se demandent bien comment « ces gens-là  font pour vivre dans une maison aussi insalubre ». La bonne bourgeoisie catholique du 19ème siècle, qui a une interprétation très personnelle des paroles du Christ, est convaincue qu’une jeune fille pauvre et illettrée ne peut pas être digne de telles apparitions. Enfin, c’est une époque où, en France, l’Eglise catholique et l’état sont encore liés.bernadette4.jpg

On sait combien il est difficile de rendre crédible à  l’écran une apparition. On espère donc un temps que nous ne pourrons la vivre qu’à  travers le regard de Bernadette, qui exprime bien le ravissement et la stupéfaction heureuse. Hélas, en choisissant de nous montrer « les apparitions », telles que décrites par Bernadette, on enlève au spectateur la force de l’imagination en lui imposant la déception de la réalité.

Depuis ses débuts, le cinéma se heurte à  cette impasse, notamment dans les sujets religieux. Le miracle a toujours fasciné les réalisateurs, même les plus laïques et les apparitions sont le sujet même du cinéma : comment montrer ce qu’une seule personne voit ou ressent ? Comment montrer l’invisible et le rendre crédible à  travers l’émotion ? Le mystère est une affaire de mise en scène et de « foi » : le réalisateur met en œuvre son talent pour faire « croire » le spectateur à  l’incroyable, pour l’emmener dans des voies qu’il ne soupçonnait pas, pour lui « ouvrir les yeux », c’est-à -dire le bouleverser profondément et le « convertir ».bernadette2.jpg

Je m’appelle Bernadette est un film agréable et honnête qui raconte une belle histoire. Mais on regrette que, pour un film religieux, il manque autant de souffle et de conviction. La mise en scène, trop appliquée, ne laisse jamais la transcendance apparaître. Soucieuse de raconter une histoire sans heurter les catholiques et le grand public, la réalisation ne dit rien sur le mystère de la foi.

Magali Van Reeth

Signis

Toute ma vie (en prison)

de Marc Evans

Royaume-Uni, 2008, 1h37

Sortie en France le 23 novembre 2011.

documentaire

Un documentaire autour des conditions d’incarcération aux Etats-Unis qui donne la parole à  des intellectuels et des artistes, pour permettre une réflexion sur la peine de mort.

En 1981, à  Philadelphie, aux Etats-Unis, à  la suite du meurtre d’un policier blanc, le journaliste et activiste noir Mumia Abu Jamal est hâtivement jugé et condamné à  la peine de mort. Depuis, il clame son innocence, demande la révision de son procès et attend depuis 30 ans dans ce qu’on appelle « les couloirs de la mort » aux Etats-Unis. 30 ans, c’est l’âge de William Francome, un jeune homme né le jour de l’arrestation de Mumia Abu Jamal. Qui constate une fois devenu adulte que cet homme a passé « toute ma vie en prison ».prison2.jpg

C’est le point de départ d’un documentaire qui part à  la recherche d’informations sur ce prisonnier et qui, en chemin, donne une analyse militante et lucide sur le fonctionnement de la société aux Etats-Unis et sur la façon dont ce pays traite ses minorités. Et bien qu’il s’agisse exclusivement d’un cas américain, les spectateurs se trouvent forcément confrontés à  une réflexion plus large sur le droit des états à  disposer de la vie de leurs citoyens.

L’originalité de Toute ma vie (en prison) tient autant sur le fond que dans la forme. Utilisant des musiques actuelles et un graphisme dynamique pour accompagner les traditionnelles interviews, il fait intervenir des personnalités aussi diverses que Noam Chomski, Angela Davis, les musiciens Snoop Dog et Mos Def. La peur, le pouvoir, la justice, l’utilisation des médias, la pauvreté et l’activisme politique sont des personnages secondaires qui évoquent l’histoire de la contestation dans les années 1970, dont les retentissements se font sentir jusque dans les prisons d’Abu Ghraib. prison3.jpg

Réalisé par Marc Evans, avec le soutien de l’acteur Colin Firth, le film a été présenté dans de nombreux festivals et il a été primé au festival des Droits de l’homme à  Genève. En France, 30 ans après l’abolition de la peine de mort, mais à  un moment où le système carcéral est au bord de l’implosion, tant du côté de l’administration pénitentiaire que du côté des détenus, il n’est pas inutile de se poser la question de l’exercice de la justice dans notre société.

Le 22 novembre 2011, en partenariat avec le distributeur Lug cinéma, Signis et l’aumônerie catholique des prisons, une avant-première de Toute ma vie (en prison) a eu lieu au centre de détention de Corbas (Rhône), suivi d’un débat entre les détenus et William Francome.

D’autres infos sur le film et dates de projections : http://mumia-lefilm.com/

Magali Van Reeth[->signisfrance@yahoo.fr]

Signis