De Bon matin

de Jean-Marc Moutout

France/Belgique, 1h31, 2010.

Sortie en France le 5 octobre 2011.

avec Jean-Pierre Daroussin, Valérie Dréville, Xavier Beauvois.

Une implacable dénonciation des violences au travail, d’autant plus percutante qu’elle est magistralement filmée et que l’acteur Jean-Pierre Daroussin impressionne par sa présence physique.

Après Violence des échanges en milieu tempéré (2003) où un jeune consultant prenait à  cœur les licenciements qui lui étaient confiés, Jean-Marc Moutout revient, avec ce nouveau film, dans le monde du travail. Un genre qu’il traite avec une intention aussi forte qu’autrefois Dickens ou Zola lorsqu’ils décrivaient la misère des ouvriers du 19ème siècle européen. matin2.jpg

De bon matin : derrière ce titre guilleret se cache un drame très contemporain, la dégradation des conditions de travail. Non pas pour ceux qui sont en bas de l’échelle sociale mais pour ces cadres pressés comme des citrons par des actionnaires qui les jettent dès qu’ils ne sont plus rentables. Paul Wertret travaille depuis 30 ans dans une banque, il a une vie confortable, un métier qu’il aime, des clients avec qui il entretien de vraies relations. Peu à  peu, l’entreprise est réorganisée, de nouveaux chefs arrivent (plus jeunes, plus diplômés), avec d’autres méthodes de travail et il faut changer, faire du chiffre. Réaliser peu à  peu qu’on a perdu sa valeur.matin1.jpg

Pour porter à  l’écran la dégradation insidieuse de cet homme ordinaire, Jean-Marc Moutout brouille brillamment la logique temporelle et l’enchainement des petits incidents. Ceux qui sapent l’estime de soi et la stabilité de Paul. Sa vie nous parvient comme une mosaïque fluide où il perd pieds, convoquant les souvenirs anciens, les moments heureux et les humiliations répétées. Evitant de coller de trop près à  la dénonciation simpliste d’une situation complexe, le réalisateur se détache d’un récit linéaire et anecdotique pour privilégier la force du ressenti. Le personnage principal est incarné par Jean-Pierre Daroussin, archétype de l’homme ordinaire dont la souffrance physique est palpable à  l’écran. Une très belle prestation où les mots sont inutiles tant le corps exprime de nuances.

Dénonciation radicale de la violence de certaines méthodes de travail, De bon matin montre avec subtilité l’invisible escalade qui mène à  l’irréparable. Laissant au spectateur le temps de penser et de ressentir des émotions très dérangeantes avec le personnage principal, le film n’explique pas tout, ne donne pas de réponse mais dénonce une situation. Ainsi le silence de la et les visages anéantis des collègues de travail de Paul, dans la dernière scène où Jean-Marc Moutout pose la question de la responsabilité : « C’est un peu une mise en demeure : qu’est-ce que vous allez faire, vous, après ce drame, est-ce que vous allez tenir, est-ce que vous aller plonger, est-ce que vous allez accepter ? Quelle est votre part de responsabilité dans le geste de Paul, dans votre propre vie, dans cette mécanique infernale à  laquelle on participe tous ? »matin3.jpg

Un très beau film où la forme cinématographique est en parfaite adéquation avec la force du sujet, le choix des acteurs et les partis pris techniques.

Magali Van Reeth

Signis

Les Hommes libres

d’Ismaël Ferroukhi

France, 1h39, 2010.

Festival de Cannes 2011, séance spéciale.

Sortie en France le 28 septembre 2011.

avec Tahar Rahim, Michael Lonsdale.

Paris 1942. Les hommes libres sont ceux qui prennent leur destin en main pour changer la société dans laquelle ils vivent. Tout le monde peut participer, au-delà  des divergences religieuses ou culturelles.

Si on a vu beaucoup de films sur la Seconde guerre mondiale en France, celui-ci en aborde un aspect tout à  fait nouveau. Il évoque cette communauté de travailleurs immigrés, musulmans et en situation très précaire qui, au-delà  de leurs différences, ont sauvé des juifs.libre1.jpg

En 1942, la France est occupée par les Allemands et l’Algérie par les Français. De nombreux travailleurs immigrés sont ouvriers dans les usines de la région parisienne. Ils sont majoritairement Kabyles, musulmans et souvent analphabètes. Sur le territoire de la métropole, ils ne sont ni Français ni étrangers. Un statut d’hommes « invisibles ». Mais au contact de leurs camarades de travail, ils vont découvrir le syndicalisme, l’organisation politique et les techniques de résistance, tout en apprenant à  lire et à  écrire. Si pour certains d’eux, cette guerre n’était « pas la leur », d’autres ont rejoint la Résistance et d’autres encore ont payé de leur vie leurs actions.

Basé sur des fais réels et écrit avec l’aide de l’historien Benjamin Stora, Les Hommes libres se déroule essentiellement à  la grande mosquée de Paris. Son recteur, Si Kaddour Ben Ghabrit, profite de ses bonnes relations avec le gouvernement de Vichy et l’occupant allemand pour aider des indépendantistes algériens et cacher des juifs. Autour de lui, tout une galerie de personnages. Younes, un jeune homme sans scrupule et sans morale, fait du marché noir et collabore avec la police avant de prendre peu à  peu conscience des véritables enjeux de cette époque. Salim Hallali est chanteur et ne vit que pour son art mais, bien que de langue et de culture arabes, il est juif. Et autour d’eux, ceux qui préparent déjà  la guerre d’Algérie, ceux qui vivent dans la misère des bidonvilles, les traitres et les martyrs.libre3.jpg

Ismaël Ferroukhi, réalisateur français d’origine marocaine, a privilégié la rigueur historique au tourbillon de la fiction dramatique. Très respectueux de son sujet, le film manque parfois un peu de souffle et l’émotion est tenue à  distance. Mais c’est un film nécessaire où les acteurs ont été choisi avec soin. Le personnage de Younes, interprété par Tahar Rahim, décrit avec subtilité cet éveil à  une conscience politique et sociale, un parcours toujours d’actualité dans notre époque où l’intolérance semble parfois trop présente. Pour les mêmes raisons, on apprécie cette vision d’un islam généreux qui accepte les non-religieux, les artistes et les contestataires dans ses rangs. Bien évidemment, Michael Lonsdale est parfait en recteur de la mosquée de Paris !

Magali Van Reeth

Signis

Et Maintenant on va où ?

de Nadine Labaki

France/Liban, 1h50, 2011.

Festival de Cannes 2011, sélection Un Certain Regard, mention spéciale du prix oecuménique.

Sortie en France le 14 septembre 2011.

avec Claude Msawbaa, Leyla Fouad, Antoinette El Noufaly.

Ancrée dans la réalité libanaise, une comédie savoureuse et débridée porte, avec un groupe de femmes, l’espérance de la paix et de fraternité dans un pays débordé par la violence interne.

Remarquée en 2007 avec son premier long métrage Caramel, Nadine Labaki est revenue à  Cannes en 2011 avec Et Maintenant on va où ? dans la sélection Un Certain Regard. Peu de cinéastes travaillent au Liban, pays en guerre depuis des années. Mais pour la jeune réalisatrice, il est important de dire la réalité du quotidien et d’ancrer son travail au cœur de la culture et de l’actualité de son pays.etmaintenant_02.jpg

Ravagés par des attentats meurtriers, brisés par des guerres de clans, séparés par des querelles religieuses et ravagés par le conflit entre Israël et la Palestine, les Libanais aiment leur pays et cherchent, notamment à  travers la création artistique, à  comprendre l’origine de cette violence pour pouvoir la contourner. Avec ce film, Nadine Labaki rappelle combien le rôle des femmes (mères, épouses, sœurs ou amantes) est essentiel pour contrer la violence culturelle des hommes.

L’action se déroule dans un petit village où cohabitent chrétiens et musulmans. Les femmes vivent dans une joyeuse et chaleureuse harmonie, plaisantant sans retenue sur leurs physiques, leurs vêtements ou leur vie amoureuse mais avec un grand respect des différences religieuses, des deuils nombreux que porte chacune. Les hommes sont des blocs de violence et d’orgueil, prompts à  s’enflammer au moindre soupçon, à  la plus légère maladresse Usées par la douleur, les femmes s’organisent pour ramener la paix au village.

Tourné comme une comédie, avec une galerie de personnages croustillants, Et Maintenant on va où ? est un moment de grâce pour le spectateur. La liberté de ton de ce groupe de femmes est un vrai bonheur, provoquant aussi bien l’éclat de rire que l’émotion ou l’admiration. Les passages tournés en comédie musicale, sur fond de musique orientale bien sûr, sont d’une justesse incroyable. La première scène a la force d’une allégorie de peinture classique, dont le titre serait « Femmes en noir allant au cimetière ». Une chorégraphie psalmodiée, un paysage aride, le Moyen-Orient biblique et la beauté éternelle des femmes qui cognent contre la violence stupide des hommes. Un grand moment de cinéma !

Du cinéma aussi tout au long de ce film, dans le soin apporté à  la lumière, aux cadrages et à  la fluidité des scènes de groupes. Car il n’y a pas un personnage principal dans Et Maintenant on va où ? mais des groupes de personnes qui agissent ensemble. Dans ce village libanais, comme dans tout le pays, les relations se tissent de clan à  clan. On appartient à  une religion, à  un village, à  une famille, à  un groupe de femmes, à  une bande de jeunes. Une solidarité et une chaleur indispensable mais dont il est difficile de s’extraire pour changer les habitudes de méfiance et d’intolérance.etmaintenant_01.jpg

Au Festival de Cannes 2011 où le film était présenté dans la sélection Un Certain Regard, il a obtenu le prix François Challais et une mention du prix du Jury œcuménique, avec le commentaire suivant : « Les habitantes d’un petit village isolé sont prêtes à  tout pour préserver la paix entre les deux communautés qui y cohabitent. Avec beaucoup de finesse et de tact, Nadine Labaki réussit une fable poétique en équilibre délicat entre comédie et tragédie, suscitant une émotion tournée vers l’espoir. »

Magali Van Reeth

Signis

La Fée

de Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy

France/Belgique, 1h33, 2011.

Festival de Cannes 2011, Quinzaine des réalisateurs.

Sortie en France le 14 septembre 2011.

avec Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy.

Une fantaisie pleine de charme ! Ici, les héros sont des petits, des sans-voix, les blessés de la vie qui ont droit à  un peu de magie, grâce au burlesque et à  la poésie, pour embellir leur quotidien, et le nôtre.

Loin des exigences du cinéma commercial, ce trio de réalisateurs, issu du spectacle vivant, fabrique des films à  l’écriture très personnelle. Après L’Iceberg (2005) et Rumba (2008), on retrouve dans La Fée ce séduisant bricolage où le corps des acteurs dialogue avec l’épaisseur de la vie, les couleurs des décors, le rire et l’émotion.fee2.jpg

La Fée est entièrement tourné au Havre, dont le centre ville, détruit pendant la seconde guerre mondiale, a été reconstruit par l’architecte Auguste Perret. Le graphisme de la ville, entre la rigueur du béton et l’harmonie rythmée des volumes, convient tout à  fait à  la fantaisie très structurée du film. Sur les façades grises, le moindre rayon de soleil est un enchantement ; face à  la rigueur des immeubles, les corps des personnages éclatent d’une vie plus joyeuse.

Dans un petit hôtel, des clients qui ne peuvent pas payer et des clandestins, en partance pour un ailleurs improbable, croisent une fée. Non pas une fée moyenâgeuse en longue robe moirée mais une fée en survêtement baskets, même si elle lorgne du côté des escarpins roses. Il y aura des aventures rocambolesques et des rebondissements loufoques avant d’arriver au « ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants ». Qui permettent au trio de réalisateurs de faire passer à  l’écran les créations de leurs imaginations débordantes. Les gags sont visuels, le corps des acteurs étant une matière aussi malléable qu’expressive.

Plus que des acteurs classiques, les comédiens/réalisateurs, Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy, sont aussi danseurs, clowns, mimes, chorégraphes. Les images explosent de formes, de couleurs et de détails qui chacun, disent encore une histoire. On croise des handicapés, des pauvres, des taiseux, des loufoques ; on va à  l’hôpital, pour réparer une jambe ou protéger la société d’une différence qui fait peur. C’est drôle et c’est poignant, c’est physique et c’est poétique, c’est simple et élégant. fee4.jpg

Les réalisateurs revendiquent pleinement cette ambiance : « Le burlesque, c’est le désir de faire rire les spectateurs avec des images, des cadres, des corps, des couleurs, des sons, des décors, avec tous les outils que nous offre le cinéma. Plus les situations des héros sont tragiques, plus il y a de matière burlesque. La poésie, c’est indéfinissable, mystérieux, intime, reposant, personnel, profond La poésie et le rire, l’un nourrissant l’autre et réciproquement. »

Un film qu’on peut voir en famille et pour enfants à  partir de 6 ans.

Magali Van Reeth

Signis

Habemus papam

de Nanni Moretti

Festival de Cannes 2011, sélection officielle.

Italie, 1h42, 2011.

Sortie en France le 7 septembre 2011.

avec Michel Piccoli, Jerzy Stuhr, Nanni Moretti.

De beaux costumes, un rituel spectaculaire, des bâtiments grandioses, un réalisateur qui sait jouer de l’émotion et de l’humour, et l’élection d’un nouveau pape devient un joli moment de fiction et de cinéma.

Réunis en conclave pour élire le pape, les cardinaux du monde entier sont coupés de l’extérieur pendant quelques jours. Le nouvel élu, écrasé par cette charge qu’il n’avait jamais envisagée, traverse une longue période de doute et demande un peu de répit avant d’affronter les obligations de cette élection. Cela n’étant pas prévu par les usages très codifiés du Vatican, commence une période d’attente, d’incertitude et d’imprévus qui vont apporter une note de fantaisie dans ce groupe très sérieux.
habemus2.jpg

Un conclave est un huis-clos fascinant pour un metteur en scène, on l’a vu au moment de l’élection de Benoît 16, lorsque les médias internationaux, même ceux des pays les plus laïques, ont campé pendant plusieurs jours place Saint-Pierre à  Rome. D’autant plus que tous les protagonistes portent de magnifiques costumes rouges, ornés de dentelle blanche et de dorures. Pourtant, pour le réalisateur italien, Nanni Moretti, le propos dépasse celui de l’élection d’un pape : « J’ai raconté à  ma manière un monde bien précis, qui est celui du Vatican. Mais je pense que les thèmes du film et l’angoisse du personnage principal peuvent concerner également d’autres réalités, d’autres mondes, et toucher des spectateurs très éloignés des personnages que je mets en scène. »

Si Habemus papam adopte le ton de la comédie, la détresse de cet homme, face à  cette charge, est poignante. Il est sincèrement perdu et s’il ne remet pas en cause sa foi, il doute de ses capacités physiques à  endosser ce rôle. En jouant sur le double sens de ce mot, « rôle », Nanni Moretti fait une mise en abîme avec une troupe de comédiens répétant Tchekov. Un des acteurs principaux, passionnément dans son rôle, frise la folie. Les répliques disent la difficulté de vivre, de faire des choix. Les psychanalystes aussi sont à  la fête, toujours prompts à  dénoncer les manques de leurs patients mais incapables d’agir dans leur vie personnelle.

habemus3.jpg
Michel Piccoli interprète avec brio, et une touchante humanité, le personnage principal, le cardinal Melville. Nom très bien choisi qui fait le lien avec le romancier américain, auteur du célèbre Moby Dick, dont tous les romans sont hantés par l’échec et une immensité à  conquérir.

Comédie sur le doute et l’épuisement d’un vieil homme dans des circonstances très particulières, Habemus papam se moque gentiment des rites en usage au Vatican, mais c’est sans vulgarité ni méchanceté. C’est du beau cinéma et le spectateur en sort plutôt réjoui !

Magali Van Reeth

Signis

La Guerre est déclarée

de Valérie Donzelli

France, 1h40, 2010.
Festival de Cannes 2011, Semaine de la critique.

Sortie en France le 31 août 2011.

avec Valérie Donzelli et Jérémie Elkaim.

Un couple face à  la maladie de son enfant : un film dynamique, optimiste sans naïveté, qui raconte d’abord une formidable histoire d’amour.

Une histoire dramatique – le cancer chez un bébé – est un sujet de film à  lui tout seul. Quand en plus elle est vraie et autobiographique, comment faire du cinéma, malgré tout ? La réalisatrice et actrice Valérie Donzelli, et son compagnon Jérémie Elkaim, ont vécu des années aussi longues que difficiles en accompagnant leur fils. Parcours du combattant, où il faut résister, affuter ses parades, trouver des armes pour répliquer, ne pas sombrer face au désastre. Parfois la maladie gagne du terrain, parfois on sent la victoire toute proche. Le vocabulaire est militaire : le couple entre en guerre lorsque le cancer se déclare.guerre3.jpg

Plus que l’histoire d’un enfant malade, La Guerre est déclarée raconte l’histoire d’amour qui a donné naissance à  cet enfant et qui a nourri les parents pendant ces années de lutte. Plutôt que de nous apitoyer, la réalisatrice garde jusqu’au bout la volonté de faire des images dynamiques et donne une incroyable vitalité à  chaque scène. N’hésitant à  faire de l’humour, à  donner de la légèreté à  ses personnages et à  introduire quelques passages en chanson dans ce récit d’une longue et douloureuse bataille.guerre2.jpg

On peut juste regretter que Valérie Donzelli se soit parfois égarée dans son récit, à  trop vouloir tout dire et que la fin du film ne soit pas aussi équilibrée que le début. Dès que la réalité reprend le dessus, le film perd en intensité et en créativité. La Guerre est déclarée est cependant un joli moment de cinéma et une belle leçon de vie.

Magali Van Reeth

Signis

This Must be the Place, prix oecuménique à  Cannes

de Paolo Sorrentino

Italie/France/Irlande, 1h58, 2011.

Festival de Cannes 2011, prix du jury oecuménique

Sortie en France le 24 août 2011.

avec Sean Penn, Frances Mc Dormand, Eve Hewson, David Byrne

Un homme immobilisé dans son passé entreprend un itinéraire singulier à  travers un monde en plein devenir. Ce film célèbre à  la fois la difficulté de vivre et le bonheur d’y parvenir à  plusieurs.

Le visage de Sean Penn, grimé, hirsute et triste, provoque un vague malaise teinté de fascination. Le célèbre acteur américain interprète Cheyenne, chanteur de rock, autrefois célèbre et adulé, aujourd’hui pathétique souvenir d’une gloire passée. Vivant dans une léthargie que l’aisance matérielle ne perturbe pas, la mort de son père va l’obliger à  voyager. Ce déplacement géographique sera aussi un déplacement à  l’intérieur de soi.

this5.jpg
Dans son précédent film, Il Divo en 2008, le réalisateur italien Paolo Sorrentino traitait la question du pouvoir comme un opéra rock. This must be the place est le titre d’une chanson du groupe rock Talking Heads et de son créateur David Byrne. Elle sert de fil rouge au personnage de Cheyenne, parti à  la recherche d’un ancien nazi, de son père, d’une raison de vivre. Cette quête de soi, sur fond d’Holocauste et de modernité, traversée par l’immensité des paysages américains, est le moteur du film pour le cinéaste : « En ce qui me concerne, chaque film est une traque acharnée vers l’inconnu et le mystère. Pas tant pour trouver la réponse que pour garder vivante la question ».

Bien sûr, on est fasciné par l’interprétation de Seann Penn qui incarne totalement cet homme, fantôme de sa propre vie. Tous ses gestes se font au ralenti, il marche comme un vieillard, parle comme un jouet à  ressort déréglé et la tristesse de son regard est poignante. Maquillé de façon outrancière, sans doute pour qu’on ne le regarde pas, Cheyenne s’ennuie dans sa propre vie. De quoi a t-il honte ? Seann Penn trouve ce qu’il faut d’outrance et d’incarnation pour mettre de la fiction, et donc de la distance dans ce personnage, et par là  même, le rendre crédible.

this6.jpg

Face à  ce pantin triste, les autres personnages, même les plus insignifiants, sont des rencontres uniques. Les proches de Cheyenne sont d’une émouvante gentillesse et d’une tolérance si sincère qu’elles nous éclaboussent directement : qui sommes nous pour juger si hâtivement et avec si peu de compassion ? L’attention portée par le réalisateur à  tous les personnages, et son talent, lui permettent de les faire tous exister dans une étonnante humanité. Que ce soit la femme pompier à  l’enthousiasme et à  la patience infaillibles, l’homme d’affaire pathétique dans son désir de vivre, la punkette aux allures de chien fidèle, le chien à  collerette, l’inventeur de la valise à  roulettes, le soupirant timide ou les clients des cafés et des stations essence, tous nous renvoient à  nos peurs, nos réticences, nos jugements hâtifs.

Pour Paolo Sorrentino : « le thème central du film, modestement, c’est l’absence – forcément accompagnée de la présence – d’une relation entre un père et son fils ». L’absence est mise en scène par le vide des espaces habités et l’immensité des lieux parcourus. La présence est celle d’une mélancolie constante, accompagnée par la beauté de tous les plans. Luca Bigazzi signe les images de ce très beau film : paysages dorés de l’immensité américaine, mélancolie des banlieues irlandaises assoupies à  l’ombre de gigantesques centres commerciaux, temples du commerce et de l’anonymat devenus, ironiquement, lieu de sociabilité des laissés pour compte de la société de consommation.
this4.jpg

This must be the place est un film qui prend le temps d’installer ses personnages. Il laisse de l’espace au spectateur pour qu’il puise envisager plusieurs pistes et se poser des questions, au lieu de donner des réponses. L’humour et la mélancolie font bon ménage, à  l’image du couple formé par le chanteur et sa femme. Très vite, Cheyenne nous intrigue et on le suit d’autant plus volontiers qu’on a tout le loisir d’imaginer plusieurs dénouements. Dans une brillante mise en scène Paolo Sorrentino nous tient en haleine jusqu’à  la dernière image.

Prix œcuménique

Au Festival de Cannes 2011, le Jury œcuménique a décerné son prix à  This must be the place, accompagné du commentaire suivant : « A travers Cheyenne, rockstar déchue et douloureuse, Paolo Sorrentino donne à  suivre le voyage intérieur et l’odyssée d’un homme à  la recherche de ses racines juives, de la maturité, de la réconciliation et de l’espérance. Drame classique d’une grande richesse et d’une esthétique recherchée, le film ouvre avec grâce des pistes de réflexion graves et profondes. »

Ce jury œcuménique 2011 était composé de Daniel Grivel (Suisse, président), Gianluca Arnone (Italie), Françoise Lods (France), Martin Bernal Alonso (Argentine), Mikaël Mogren (Suède) et Christiane Hofmann (France).

Magali Van Reeth

Signis

Impardonnables

d’André Téchiné

France, 1h51, 2011.

Festival de Cannes 2011, Quinzaine des réalisateurs.

Sortie en France le 17 août 2011.

avec André Dussolier, Carole Bouquet, Mélanie Thierry.

Comme souvent chez Téchiné, on reste perplexe devant une brillante mise en scène dont on a du mal à  saisir le propos. Heureusement, Carole Bouquet est magnifique et suffit au plaisir du film !

Francis, la soixantaine encore fraîche, est un écrivain à  succès en panne d’inspiration. Il cherche refuge à  Venise. Il trouve Judith et l’amour, qui l’empêche vraiment d’écrire, mais lui permet d’élargir son cercle de relations, d’affiner la palette de ses sentiments et de compliquer un peu plus sa vie. impar2.jpg

Impardonnables est inspiré d’un roman éponyme de Philippe Djian. André Téchiné en fait un film sur la confusion, et choisit le décor en parfaite adéquation avec le personnage principal, Venise. Francis est un homme vieillissant, qui se sent couler dans ses assises et part vivre dans une ville qui sombre lentement dans la lagune qui la porte depuis des siècles.

Le brouhaha de la ville surchargée de touristes fait écho aux nombreux personnages secondaires qui vont et viennent tout au long du film, parfois à  peine entrevus. Les clichés romanesques ou esthétiques dont Venise est si friande, se retrouvent dans les clins d’œil au cinéma qu’André Téchiné pose ça et là . Le va et vient des personnages est accentué par les trajets en bateau qu’ils sont obligés de faire pour se déplacer d’île en île. Enfin, les dédales de Venise, qui permettent de si bien se perdre et de faire demi-tour quand on est dans une impasse, sont à  l’unisson de la complexité sentimentale et familiale dans laquelle vit Francis.

Heureusement, face à  ce chaos, il y a Judith. Agent immobilier à  Venise, elle en connaît tous les pièges, comme elle sait reconnaître un faux tableau d’un vrai. Elle sait ce qu’elle veut, elle est droite, honnête, patiente pour parvenir à  ses fins. Elle est interprétée par Carole Bouquet qui est simplement sublime Le couple qu’elle forme avec André Dussolier est un régal pour les cinéphiles !impar3.jpg

Finalement, et à  notre grande surprise, le film se termine sur une note optimiste. La confusion reste présente jusqu’au bout et nous gagne puisqu’on se demande encore ce qui est « impardonnable »

Magali Van Reeth

Signis

Melancholia

de Lars von Trier

Danemark/Suède/France, 2h10, 2011.

Sélection officielle Festival de Cannes 2011, prix d’interprétation féminine pour Kristen Dunst.

Sortie en France le 10 août 2011.

avec John Hurt, Kristen Dunst et Charlotte Gainsbourg

Après une introduction époustouflante, le film marche lentement vers une apocalypse abordée par le beau et l’apaisement. Surprenante et déroutante, pour un film un peu vain…

Lars von Trier est un réalisateur déroutant ! Autrefois promoteur du Dogma, manifeste pour une façon de filmer brute et naturelle (unité de lieu, de temps, pas de musique, pas de lumière artificielle), le réalisateur danois a exploré les possibilités de la comédie musicale avec Dancer in the Dark (2000), l’absence de décor dans Dogville (2003), la cruauté comme déclinaison des beaux-arts avec Antichrist (2009). L’outrance et la provocation accompagnent chacune des interventions de cet artiste qui se dit dépressif et associal. Il construit une œuvre unique qui pousse le cinéma vers l’exploration des failles du monde contemporain et une recherche formelle très exigeante.melan3.jpg

Melancholia peut se ranger dans la catégorie des films du genre « apocalypse ». Une planète inconnue menace la Terre. Y aura-t-il ou non collision, fin du monde ? Faut-il avoir peur, se préparer ? Deux sœurs. Claire est brune (on sent déjà  que le réalisateur est facétieux jusque dans ces détails), directe, responsable, sans artifice et elle est interprétée par Charlotte Gainsbourg. Justine est blonde, lumineuse, fantasque, et c’est l’angélique Krsiten Dunst. Deux sœurs de nature et de tempérament différents, qui s’aiment mais ont du mal à  s’entendre, comme ces deux planètes qui s’attirent pour, peut être, se détruire mutuellement.

Melancholia est un film d’apocalypse, mais une apocalypse lumineuse, apaisée. On ne verra pas de scène de panique collective, pas de cris, pas de vulgarité. Lars von Trier prend le parti de la beauté, du songe. La planète qui s’approche est une magnifique boule aux couleurs délicates, elle est somptueuse. Elle met des pétales de neige sur les jardins d’été, des reflets chatoyants sur les couchers de soleil. Comment peut-on redouter ce qui est si beau ?melan4.jpg

Le réalisateur ne lésine pas sur les effets, les costumes, les décors : château de conte de fées au bord d’un lac, immenses pelouses caressant les pieds nus des enfants au visage d’elfe, chevaux puissants, femmes étourdissantes, vêtements élégants : tout est luxe, calme et volupté dans ce monde qui risque de disparaître. Mais que veut nous dire Lars von Trier ?

Au-delà  de la beauté éblouissante de certains plans et de l’éventuel choc des planètes, on ne sait que faire de ces personnages qui s’opposent, paniquent soudain, se séparent sans qu’on comprenne bien pourquoi. Presque tous les personnages de la première partie disparaissent, sans que la seconde partie n’explique pourquoi ils avaient été campés avec tant d’insistance. Le mystère est ici confusion et on sort plutôt déçu de ce film aux images étonnantes.

Magali Van Reeth

Signis

Super 8

de J.J. Abrams

Etats-Unis, 1h50, 2011.

Sortie en France le 3 août 2011.

avec Joel Courtney, Kyle Chandler, Elle Fanning.

L’épouvante, les monstres et la fin de notre monde sont un genre très prisé au cinéma. Mais la pire des catastrophes reste toujours la perte d’un être cher et les cauchemars imaginaires ne sont pas aussi effrayants que la réalité du deuil.

En 1979, dans une petite ville de l’Ohio, un groupe de collégiens essaye de tourner un film, avec une petite caméra super 8, pour participer à  un concours. Ils ont 12 ou 13 ans, rusent avec les interdits des parents, les vacances scolaires et le bricolage maison pour fabriquer leurs décors. C’est la mode des zombies et ils font des efforts désespérés pour les rendre effrayants. Lors d’un tournage de nuit dans une gare désaffectée, ils sont témoins d’un accident de train qui bouleverse la vie tranquille de la bourgade et de ses habitants.

super83.jpg
Film catastrophe par l’ampleur du déraillement et des explosions qui vont suivre, film de science-fiction où on évoque un être venu d’ailleurs, film d’épouvante parce qu’un danger inconnu menace la vie de ce groupe d’enfants, Super 8 utilise tous les codes de ces films pour adolescents. Ce film est séduisant parce qu’à  travers les tas de ferraille qui s’entrechoquent, le feu ravageur, les créatures anormalement fortes et visqueuses, Super 8 parle au spectateur de la véritable « épouvante » de toute enfance, de la « catastrophe » de la mort, du « monstre » qu’il faut apprivoiser : le manque de ceux qui sont partis à  jamais. La fin du monde et l’entrée dans l’inconnu commencent avec la mort de la mère.

Les aventures du jeune Joe, dans ce monde en chaos, ne lésinent pas sur les effets spéciaux et Super 8 peut aussi se voir comme un énième film de genre. Plutôt gentil d’ailleurs, les militaires américains qui « jouent » les méchants évoquant plus les soldats en plastique que les infos du soir à  la télé. Il y a des pointes d’humour pour détendre l’atmosphère et on nous laisse le temps de s’habituer au monstre. La véritable angoisse étant bien celle de la mort et la douleur celle de l’absence.

Si on regarde le film avec un peu de distance, on voit bien que le monstre qui surgit après l’accident est une métaphore du deuil. Le deuil est terrible, c’est un gouffre dont on ne trouve pas la sortie et on a peur de s’y perdre. Il mange ceux qui nous entourent, rien ne le fait vaciller et le combat pour l’amadouer est long et épuisant.

Les films tournés en « Super 8 » avant l’avènement de la vidéo ont donné un grain particulier aux souvenirs d’enfance de toute une génération, celle qui a grandi juste avant internet et les téléphones portables. L’un des charmes du film est aussi ce retour en arrière, à  cette adolescence insouciante, ce temps où les monstres du chagrin n’avaient pas encore envahi nos vies d’adultes.

super82.jpg
Super 8 n’est pas un chef d’œuvre mais il relève nettement le niveau des films proposés aux adolescents pendant les vacances scolaires. A partir de 12 ans, n’hésitez pas à  les accompagner

Magali Van Reeth

Signis