Lourdes

de Jessica Hausner

Autriche/France/Allemagne, 1h39, 2009.

Sélection officielle Mostra de Venise 2009, prix Signis et prix Fipresci.

sortie France 27 juillet 2011.

avec Sylvie Testud, Bruno Todeschini, Elina Là¶wesohn.

Pourquoi lui et pas moi ? Dans l’ambiance particulière du sanctuaire de Lourdes, où la grâce de Dieu reste un mystère, le film questionne en images les réactions ordinaires de ceux qui cherchent des signes.

Christine est une jeune femme handicapée par une sclérose en plaques qui l’immobilise dans un fauteuil roulant. Ayant déjà  participé à  un pèlerinage à  Rome organisé par l’Ordre de Malte, elle rempile pour Lourdes. Elle n’est pas particulièrement croyante mais elle a vite compris que les pèlerinages et les associations religieuses étaient les seuls endroits où on s’occupait vraiment des handicapés. Elle arrive donc dans ce lieu particulièrement cher aux catholiques sans attente particulière, plutôt en touriste qu’en pèlerin.
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Jessica Hausner, jeune réalisatrice autrichienne talentueuse, pose un regard très lucide sur le sanctuaire de Lourdes et ceux qu’on y croise. Le film a été tourné en accord avec les responsables du lieu. Il montre ce qu’on connaît de Lourdes, le recueillement des pèlerins devant la grotte, les longues processions cosmopolites, les messes en plein air, les magasins de souvenirs débordant de plastique, les prières les plus humbles, les handicapés à  la piscine, les milliers de cierges. Tout ce qu’on connaît de Lourdes, on le retrouve magnifié par la caméra de Jessica Haussner qui rend bien l’émotion et le trouble de ce lieu unique.

Mais Lourdes est un vrai film et un film excellent parce qu’il met de la fiction dans cet univers archi-connu. Alternant les véritables scènes de foule et l’intimé d’un drame personnel, la réalisatrice montre la grandeur et la puissance de Dieu face à  la mesquinerie des croyants. Car il y aura bien un signe de Dieu, un être touché par l’inexplicable. Mais face à  cette grâce, tous ne réagissent pas de même façon. Si certains sont dans la joie sincère, d’autres sont dans l’interrogation, voir même la colère : « Pourquoi lui et pas moi ? »

Sylvie Testud interprète avec finesse la fragilité et l’innocence du personnage principal. N’ayant pas d’attente précise, elle reçoit naturellement tout ce que ce séjour lui offre. La distribution très internationale des autres acteurs, participe à  rehausser l’ambiance cosmopolite de ce lieu particulier.

Tourné avec une grande maîtrise technique et un véritable élan artistique, Jessica Hausner n’a pas tourné un film religieux mais s’interroge avec finesse sur nos comportements humains. Ce faisant, elle nous met, nous les croyants, devant nos contradictions et nous rappelle de façon fulgurante tout le mystère et la complexité du miracle. Lourdes est avant tout l’histoire d’une libération que nous ne sommes pas tous à  même d’accepter !

Au Festival du film de Venise 2009, ce film a obtenu le prix Signis et le prix Fipresci (presse internationale).

« Le jury Signis est heureux de décerner son prix à  Jessica Haussner pour son film Lourdes. Non parce qu’il se déroule dans un lieu, par essence, catholique mais parce qu’il soulève des questions qui sont, par essence, celles de tout être humain : la foi, la souffrance physique, l’espérance, les miracles et l’inexplicable. Avec une remarquable maîtrise technique et artistique, la réalisatrice nous amène aux confins de nos attentes humaines, laissant les spectateurs découvrir par eux mêmes la liberté humaine et l’intervention divine. »

Magali Van Reeth

Signis

Pater

d’Alain Cavalier

Sélection officielle Festival de Cannes 2011.

France, 1h45, 2011.

Sortie en France le 22 juin 2011.

avec Vincent Lindon, Alain Cavalier.

Un réalisateur et un comédien s’amusent à  être le président de la république et son premier ministre. Un film hors norme et attachant où la liberté de ton reste élégante et les images émouvantes.

Incroyable ! C’est le premier mot qui vient à  l’esprit du spectateur en entrant de ce film si particulier. Alain Cavalier est un cinéaste confirmé : Thérèse (1986), Libera me (1993) ont été primé dans de nombreux festivals et ont trouvé un public. Depuis plusieurs années, Alain Cavalier explore avec enthousiasme les possibilités techniques des caméras, toujours plus légères et performantes et fait des films plus intimistes : Le Filmeur (2005), Irène (2009). Films sans acteur et à  la limite de l’autobiographie : le talent du réalisateur permettant d’échapper au nombrilisme. Vincent Lindon est un acteur populaire en France, qui choisit avec soin les films dans lesquels il tourne, évitant les grosses comédies poisseuses. Ses participations dans Fred de Michel Jolivet, Chaos de Coline Serreau, Mademoiselle Chambon de Stéphane Brizé ou Welcome de Philippe Lioret ont fait de lui un personnage respecté.pater2.jpg

Deux personnalités attachantes qui se sont trouvées pour « jouer », c’est leur métier ! mais jouer vraiment, comme des enfants jouent aux cowboys et aux indiens. Ici, Alain Cavalier fait le président et Vincent Lindon son premier ministre. Ils s’habillent comme les gouvernants, choisissant avec soin le tissu des chemises et la couleur de la cravate, conscients que si l’habit ne fait pas le moine, il aide largement à  endosser un rôle

Sans cesse, les protagonistes du film traversent la frontière entre fiction et réalité. On ne sait pas toujours si les colères de Lindon sont réalité ou exercice. Il garde tout au long du film un petit air de désarroi qui va bien à  un homme politique ligoté devant les charges du pouvoir, mais aussi à  un acteur face à  un metteur en scène qu’il admire et dont il ne comprend pas le cheminement. Alain Cavalier est séduisant en homme qui soigne son apparence, en président aussi affable qu’autoritaire, en père de famille face à  un fils qui lui survivra un jour.

Pater étant le titre du film, on ne peut évacuer les rapports père/fils qu’on entrevoit hors champs. Relation librement consentie entre un réalisateur, qui ne voulait plus tourner avec des acteurs, et un acteur qui admire avec tendresse, et une pointe de jalousie, cet homme libéré des contraintes professionnelles grâce à  la technique. Libéré aussi de quelques angoisses existentielles, notamment à  l’aide de la religion, qui lui fait envisager la mort comme une libération des lourdeurs de la vie.pater3.jpg

Cette liberté de ton, si séduisante, est accompagnée d’un soin apporté aux images. Les plans, même lorsqu’ils montrent des objets, des gestes et des situations ordinaires, sont touchants, jolis et lumineux. Ils évoquent le cinéma, la vie, l’affection et la douleur. Une utopie se construit sous nos yeux, utopie d’artistes et d’hommes de leur temps.

Magali Van Reeth

Signis

Une Séparation

d’Asghar Farhadi

Iran, 1h57, 2010.

Sortie en France le 8 juin 2011.

Ours d’or et prix œcuménique au Festival de Berlin 2011. Ours d’argent pour les acteurs et les actrices récompensés collectivement.

avec Leila Atami, Peyman Moadi, Shahab Hoseinni, Sareh Bayat et Sarina Farhadi.

A travers la séparation d’un couple confronté à  un enchainement d’événements difficiles, une réflexion subtile, et filmée avec talent, sur la complexité des relations humaines, entre scission et cloisonnement.

La séparation est au cœur de ce film, subtil et très abouti, du réalisateur iranien Asghar Farhadi. A la fois désagrégation, dislocation mais aussi démarcation, les séparations règlent aussi bien la vie en société que la complexité des relations affectives. Si le film s’ouvre par la séparation d’un couple, les frontières physiques, morales, politiques, culturelles et religieuses lui donnent une densité aussi inhabituelle que bienvenue.

Simin décide de quitter l’Iran pour partir vivre à  l’étranger mais Nader, son mari, refuse pour pouvoir s’occuper de son père malade. Termeh, leur fille adolescente, assiste impuissante à  leur séparation, et aux conséquences de l’accident domestique dont est responsable et victime, Razieh, la femme de ménage. Ces événements, ordinaires et qui pourraient arriver à  tout le monde, s’enchaînent à  un rythme soutenu, qui élève cette chronique de mœurs au rang de film d’action !

Asghar Farhadi s’en explique : Le rythme se construit dès le départ, à  l’écriture, puis à  la mise en scène et bien évidemment au montage. Ce que je voulais surtout, c’était montrer le rythme de la vie à  Téhéran, et faire ressentir ainsi la pulsation de cette ville. Je pensais donc que pour traduire ce tempo très rapide, il fallait partir à  la fois d’un découpage comportant beaucoup de plans et d’une caméra constamment mobile. Avec ces deux dispositifs réunis, on pouvait traduire le rythme de cette ville, la tension et la nervosité des personnages. Quand j’évoque le rythme, il ne s’agit pas de rapidité dans l’action. Certes, le rythme de la vie iranienne peut paraître lent, mais ce qui rend la rend véloce chez nous, c’est la succession de petits moments de la vie quotidienne. Et c’est ce qui se passe dans le film. En fait, il y a énormément d’événements qui se succèdent les uns aux autres et qui chamboulent la vie des protagonistes.SEPARATION-Peyman_Moadi.jpg

Ce chamboulement met en lumière la complexité des relations humaines. Nos peurs, nos lâchetés, nos colères et nos incompréhensions nous guident plus souvent que la raison. Il y a l’argent qui sépare ceux qui sont acculés par les dettes et ceux qui peuvent se payer un avocat. L’éducation, qui permet de garder son sang-froid dans certaines situations et de s’expliquer avec conviction. Enfin, il y a le mensonge, que tous les personnages utilisent tour à  tour, à  chaque fois pour de « bonnes raisons ». Mais jamais le réalisateur ne juge ses personnages, préférant les faire évoluer : j’ai toujours essayé de ne pas concevoir de personnages totalement négatifs. Cela ne veut pas dire que mes protagonistes ne commettent pas d’actes répréhensibles ou d’erreurs mais j’essaye à  chaque fois d’expliquer leurs actes et souvent, le spectateur s’aperçoit que ces personnages ne commettent pas délibérément ces agissements mais qu’ils sont poussés par une force extérieure. Personnellement, je ne crois pas du tout au manichéisme consistant à  distinguer héros et anti-héros, gentils et méchants. Je pense qu’aujourd’hui ce genre de conception a un côté totalement désuet et artificiel.

Les personnages sont aussi servis par le jeu des acteurs. Que ce soit les 4 adultes, Leila Atami, Peyman Moadi, Shahab Hoseinni et Sareh Bayat, dont certains jouaient déjà  dans le précédent film d’Asgar Farhadi, A propos d’Elly (2009). Ou les deux fillettes, qui observent les querelles de leurs parents et les deux couples se déchirer. Tous ont d’ailleurs été récompensés par un prix d’interprétation commun au festival de Berlin où le film était en compétition.

Grâce à  de judicieuses ellipses et une mise en scène raffinée, la tension est maintenue tout au long du film qui, comme dans la vraie vie, n’explique pas tout et laisse en suspens certaines réponses. Asghar Farhadi : Plutôt que de faire passer un message, mon intention est de susciter des interrogations. Il me semble qu’à  l’heure actuelle, nous avons davantage besoin de questions que de réponses. C’est au spectateur de trouver des réponses. Peu importe si sa perception est totalement opposée à  celle du réalisateur. La scène d’ouverture pose précisément les premières interrogations du film. Par exemple, celle de savoir si un enfant iranien a plus d’avenir dans son pays ou à  l’étranger. Cette problématique induit un questionnement et non une réponse…SEPARATION-Leila_Hatami.jpg

Une Séparation nous touche profondément à  travers le désarroi de ses personnages. Sans doute aussi parce qu’on se rend compte qu’il faudrait peu de choses pour retrouver une harmonie, que ce soit dans le couple ou dans la société A la Berlinale 2011, ce film a reçu l’Ours d’or et le prix œcuménique.

Magali Van Reeth

Signis

Le Chat du rabbin

de Joann Sfar et Antoine Delesvaux

France/Autriche, 2009, 1h40

Sortie en France le 1 juin 2011.

film d’animation.

Chronique chaleureuse de la vie quotidienne à  Alger dans les années 1920, ce film d’animation sait aussi trouver le ton juste et joyeux pour parler de théologie et d’aventures exotiques.

Publié chez Dargaud à  partir de 2002, la bande dessinée de Joann Sfar a connu aussitôt un grand succès. Questionnement théologique sur le judaïsme, mais aussi sur le fait religieux et sur le vivre ensemble au-delà  des différences culturelles, Le Chat du rabbin et son auteur sont vite entrés dans les écoles et collèges. Joann Sfar dit que c’est cette confrontation avec le jeune public qui l’a poussé à  faire un film d’animation.chat2.jpg

Condensé de plusieurs épisodes, le film a pour personnage principal le rabbin Abraham Sfar. Il vit à  Alger dans les années 1920, avec sa fille Zlabya et leur chat, qui n’a pas de nom et que tout le quartier appelle « le chat du rabbin ». C’est le chat, trouvant soudain l’usage de la parole et voulant se convertir au judaïsme, qui pose les épineuses questions théologiques à  un brave rabbin dépassé par les événements. Autour d’eux, un imam musulman, des catholiques colonisateurs, des russes exaltés, des fanatiques de tous bords.

Baigné dans les couleurs lumineuses de la Méditerranée et par la tolérance généreuse des personnages, le spectateur est emporté dans un grand élan humaniste dont il ne peut ressortir que meilleur. Mais Le Chat du rabbin ne tombe pourtant pas dans un monde factice où ne règnent que la gentillesse et le bon sens. Avec humour, le racisme, l’antisémitisme, la bêtise et l’extrémisme sont mis en scène, à  leur juste place. On apprécie le naturel avec lequel les personnages y font face, sans violence outrancière et avec intelligence.chat3.jpg

Bien qu’il s’agisse d’un film d’animation, c’est avec gourmandise que Joann Sfar parle des comédiens. Les réalisateurs se sont appliqués à  faire bouger les personnages comme des acteurs et ainsi Zlabya a les rondeurs féminines d’Hafsia Herzi, le rabbin la démarche et la bonhommie de Maurice Bénichou. Un soin particulier a été apporté aux voix, avec François Morel pour le chat, Fellag pour le cheik Sfar et Marguerite Abouet (auteur de la bande dessinée Aya de Yopougon aux éditions Gallimard) est l’Africaine rencontrée en chemin. Au passage, on peut souligner que c’est une actrice d’origine musulmane qui donne sa voix et sa silhouette à  une fille de rabbin, un acteur européen, Mathieu Amalric la sienne à  un prince arabe. Exercice naturel pour de véritables comédiens et une pierre de plus à  l’élaboration du message universel auquel s’attachent les réalisateurs Joann Sfar et Antoine Delevaux.

Le Chat du rabbin est un film pour tout public, à  partir de 8 ans.chat4.jpg

Magali Van Reeth

Signis

Cannes, prix oecuménique 2011

FESTIVAL DE CANNES 2011

Le Jury oecuménique 2011 attribue son prix au film :

THIS MUST BE THE PLACE

de Paolo Sorrentino
France, Italie, Irlande, 2011

A travers Cheyenne, rockstar déchue et douloureuse, Paolo SORRENTINO donne à  suivre
le voyage intérieur et l’odyssée d’un homme à  la recherche de ses racines juives, de la
maturité, de la réconciliation et de l’espérance. Drame classique d’une grande richesse et
d’une esthétique recherchée, le film ouvre avec grâce des pistes de réflexion graves et
profondes.

Et deux mentions spéciales aux films :

Le Havre de Aki Kaurismà¤ki
Finlande, France, 2011

Une ode à  l’espérance, à  la solidarité, à  la fraternité : par une réalisation très élaborée, Aki KAURISMà„KI nous fait entrer dans un monde qu’il transfigure par la magie des couleurs, l’humour des dialogues, l’humanité des personnages – « le sermon sur la montagne » en filigrane.

Et maintenant on va où ? de Nadine Labaki
France, 2011

Les habitantes d’un petit village isolé sont prêtes à  tout pour préserver la paix entre les deux communautés qui y cohabitent. Avec beaucoup de finesse et de tact, Nadine
LABAKI réussit une fable poétique en équilibre délicat entre comédie et tragédie,
suscitant une émotion tournée vers l’espoir.

Le Jury 2011 était composé de :

Daniel GRIVEL, Président, Suisse Christiane HOFMANN, France
Mikaël MOGREN, Suède Martà­n E. BERNAL ALONSO, Argentine, Françoise LODS, France et Gianluca ARNONE, Italie

Voir le site du Jury oecuménique avec toutes les photos de la remise des prix

Le Gamin au vélo

de Jean-Pierre et Luc Dardenne

Belgique/France/Italie, 2010, 1h27

Sélection officielle, Festival de Cannes 2011

Sortie en France le 18 mai 2011.

avec Cécile de France, Thomas Doret, Jérémie Regnier.

Pour un enfant, un vélo c’est le début de l’autonomie, du parcours qu’on fait seul, en décidant du rythme et de la vitesse. Dans ce film, ce n’est plus un jeu, mais une course effrénée pour trouver un peu d’affection, pour combler une absence.

Les frères Dardenne sont des habitués de longue date du Festival de Cannes, leurs films étant toujours en compétition, bien qu’ils soient à  l’opposé des clichés cannois. Leur cinéma parle des gens simples, de ceux qu’on voit à  peine dans la vraie vie, les marginaux, les délaissés du système capitaliste, les petits, qui vivent à  l’ombre de la gloire et de l’argent. Grâce à  la caméra des Dardenne, ces vies simples et ordinaires deviennent sources de fiction. La dramaturgie du cinéma est au seul service de ces humbles personnages dont la vie est filmée comme une aventure unique. Les Dardenne ont reçu deux fois la Palme d’or, pour Rosetta en 1999 et pour L’Enfant en 2005 : preuve que l’œuvre artistique et l’élan humaniste ont bien droit de cité à  Cannes. velo3.jpg

Les réalisateurs tournent toujours là  où ils vivent, dans une Belgique laminée par le chômage et ignorée des touristes, et généralement avec des acteurs inconnus du grand public. Envers qui ils restent fidèles. Olivier Gourmet et Jérémie Regnier (qui avait 15 ans dans La Promesse) ont grandi avec eux. Cette fois, ils ont fait appel à  une vraie vedette, leur compatriote Cécile de France. Comme elle le dit elle-même : « Côté coiffure, maquillage et costume, c’était version minimum, ce qui m’allait très bien ! »

velo2.jpgLe Gamin au vélo est l’histoire d’un enfant abandonné par son père. Placé dans un foyer, Cyril se rebelle contre cette vie et met toute son énergie pour combler cette absence. Comme un insecte affolé par la lumière se cogne aux parois de verre de la lampe, il se heurte aux lois du monde, se trompe de cible et, croyant faire mal aux autres, ne blesse que lui-même.

Le vélo, comme autrefois la mobylette de La Promesse, comme la poussette de L’Enfant, est à  la fois le véhicule et le symbole du déplacement à  l’image et dans la vie. Le vélo de Cyril le rattache à  son père et lui permet de trouver Samantha, qui veut bien l’aider. Avec ce vélo, il va et vient, traversant l’écran en tous sens, affolé par l’enchainement des événements dont il est à  la fois le protagoniste et la victime.

Le jeune Thomas Doret est confondant de naturel dans le rôle de Cyril, en guerre contre son absence de père, pour une affection qu’il ne sait plus voir à  force d’en avoir été privé. Et Cécile de France est toujours juste dans son rapport avec cet enfant qui lui est tombé dessus. Le film n’explique pas tout, ni pourquoi elle le recueille avec tant de conviction, ni comment Cyril est arrivé au centre. Le Gamin au vélo prend les acteurs et les spectateurs là  où ils sont, dans le présent, dans une histoire immédiate qui se déroule entièrement sous nos yeux, laissant à  chacun le soi de combler les vides en fonction de son histoire.velo4.jpg

Un cinéma délicat, fluide, d’une simplicité touchante où l’émotion affleure sans outrance.

Magali Van Reeth

Signis

The Tree of Life

de Terrence Malick

Etats-Unis, 2011, 2h18

Sélection officielle, Festival de Cannes 2011

Palme d’or 2011

Sortie en France le 17 mai 2011.

avec Brad Pitt, Jessica Chastain, Sean Penn.

Des images saturées de beauté, une musique envahissante et une écriture cinématographique brillante, ce film est un hymne à  la vie, déroutant par sa naïveté et sa complexité.

Le plus étonnant dans ce film hors norme est sans doute sa forme cinématographique brillante, maitrisée, étourdissante. Les 2h18 de projection sont une succession de plans très brefs, dont un seul dépasse les 25 secondes (celui des étourneaux au-dessus de la ville). Tourné en numérique, certaines plans sont époustouflants de netteté, que ce soit les planètes, les dinosaures mieux que chez Disney ou le léger duvet blond sur les bras de Jessica Chastain.tree2.jpg

Dans cette cascade continue d’images, Terrence Malick imbrique un documentaire naturaliste et le récit d’une enfance dans le sud des Etats-Unis dans les années 1950. Baigné dans une musique symphonique omniprésente et presque sans dialogue, The Tree of Life déroutera de nombreux spectateurs, surtout ceux qui sont venus pour le Brad Pitt d’Ocean’s Eleven !

Pourtant, si on accepte de tenter l’expérience, le film a de quoi séduire. Notamment dans la partie récit où la mise en scène est simplement brillante. L’enfance du personnage principal, Jack, est évoquée à  travers ses relations avec sa famille. Son amour pour une mère lumineuse, douce et pleine de grâce, une sorte d’ange aux cheveux roux sur laquelle le temps n’a pas de prise ; celle qui montre Dieu, à  sa place dans le ciel, et qui console. Les relations avec son père sont plus ambigà¼es. Homme pétrit de principes éducatifs, il est dur, violent ; il est celui qu’on craint mais dont on désire l’admiration. Envers ses petits frères aussi, Jack hésite entre le rôle de grand méchant dur et celui de protecteur.

Traversé par ces sentiments contradictoires, Jack se sent « diable », comme son père qui a l’Amérique à  construire et des valeurs viriles à  défendre, et cherche désespérément ce Dieu qui apaise, illumine et guide sa mère vers plus de bonté. Cette enfance, Terrence Malick la filme presque sans dialogue, dans des scènes brillamment orchestrées où la justesse des émotions et les nuances du ressenti sont exprimées par le regards des comédiens, la mise en scène et le déplacement de la caméra. Le réalisateur, dans ces moments-là , force l’admiration du cinéphile. Tout comme le jeu des acteurs, que ce soit les enfants, Hunter McCracken et Tye Sheridan, ou Brad Pitt, tout en retenue, souffrant de l’intérieur, dépassé par le poids de ses responsabilités, perdu dans ses convictions.tree4.jpg

Pour exacerber cette histoire familiale, à  l’origine de la culpabilité étouffante de Jack devenu adulte, Terrence Malick l’encadre d’images de notre planète : éclipse du soleil, désert de sable ou de sel, gouttes de pluie sur feuilles végétales, cosmos et fœtus, préhistoire tranquille et urbanisme moderne porteur d’angoisse, les chutes d’eau dévalent l’écran à  toute allure et les crépuscules sont implacables. C’est beau mais un peu lassant. Et on reste dubitatif devant cette imbrication d’un manifeste écologique dénué de fondement politique avec une religiosité où le poids de la faute a pris la place de la foi.

La déception vient aussi lorsque le réalisateur abuse de certains clichés visuels : les rideaux de percale blanche soulevés par une brise estivale, les herbes ondulant sous le vent ou sous l’eau, les contre-jours accompagnant chaque apparition de la mère. La musique finit par être gluante et la fin béatement romantique et d’une spiritualité sirupeuse. Il est difficile d’évoquer le paradis sans tomber dans le déjà -vu, le sentimentalisme, la plage et la débauche de couleur blanche. Terrence Malick assume son côté fleur bleue et la douce espérance d’un homme âgé pour l’humanité qui lui survivra. tree3.jpg

The Tree of Life reste néanmoins un film déroutant et une belle leçon de cinéma.

Magali Van Reeth

Signis