L’Oeil invisible

de Diego Lerman

Argentine/France/Espagne, 2010, 1h35

Quinzaine des réalisateurs, Cannes 2010.

Sortie en France le 11 mai 2011.

avec Julieta Zylberberg, Osmar Nunez, Marta Lubos, Diego Vegezzi, Pablo Sigal.

Les mécanismes de la dictature décryptés à  travers la vie quotidienne d’un lycée. L’Argentine en 1982 mais l’exercice éternel de la surveillance et du pouvoir tyrannique à  travers la violence et l’humiliation.

Pour son troisième long métrage, le jeune réalisateur argentin revient sur l’histoire récente de son pays. L’Œil invisible se déroule en 1982, presque en huis-clos dans un lycée. Etablissement réputé de Buenos Aires où les jeunes des classes les plus favorisées viennent faire leurs études. Dehors, la dictature militaire a imposé son régime, dedans, le règlement intérieur impose aussi surveillance et pouvoir. oeil2.jpg

Diego Lerman s’est inspiré du roman de son compatriote Martin Kohan, Ciencias Morales (Sciences morales) : « le livre m’a captivé. Il y avait ce contexte de la dictature militaire, mais derrière, d’autres thèmes affleuraient, des thèmes qui me paraissaient particulièrement cinématographiques : la répression sexuelle, la quête d’autorité, la décadence d’un régime, tout ça condensé sur le fond de grande Histoire, une fable dans un lieu unique et clos (un lycée) à  partir duquel on peut deviner ce qui se passe à  l’extérieur. Le lycée comme métonymie d’un pays. »

Baigné dans une lumière froide, aux tons bleu et gris, le film fait un parallèle entre les mécanismes de la dictature qui ont contraint une société au silence, à  la suspicion et à  la peur et la façon dont la surveillance est exercée au sein du lycée. Notamment comment le pouvoir s’exerce entre les différentes classes sociales. Maria Teresa est surveillante, heureuse d’avoir un travail qui permet à  toute sa famille de vivre. Pour plaire à  son chef et être sûre de garder ce travail, elle fait du zèle dans la surveillance des élèves. Et, entre fascination et méfiance, se laisse manipuler par celui-ci.

A travers le triste destin de Maria Teresa, le film montre comment les classes moyennes, engluées dans la survie quotidienne, participent presque malgré eux, à  cette dictature. A la fois coupables, car ils n’ont pas les moyens de s’opposer, mais aussi toujours victimes de cet engrenage de violences physiques et psychiques. Ils sont l’œil invisible du régime.oeil3.jpg

Mais dans cette histoire de cinéma, où rien n’existe sans le regard du spectateur, nous partageons avec Maria Teresa le poids de cet œil par qui tout passe, y compris le silence de ceux qui savaient et n’ont rien dit.

Le film se termine sur des images d’archives. Diego Lerman : « Il s’agit d’un célèbre discours de Galtieri, le dernier chef de la junte, alors au pouvoir en 1982, où il annonce devant la foule, dans un geste cynique et suicidaire, que l’Argentine va annexer les Malouines. Quelques jours auparavant, le 30 mars 1982, les syndicats avaient organisé de grandes manifestations, dont on entend les échos à  l’intérieur du lycée, et avaient fait chanceler le pouvoir. Celui-ci ne tarda pas à  répliquer par la répression, et par la fuite en avant dans une guerre supposée populaire. La junte pensait ainsi ressouder une nation déliquescente, sans imaginer une seconde que l’Angleterre de Thatcher allait répliquer avec une telle violence. Le résultat a été inverse à  celui souhaité, puisque cette guerre a précipité la chute du régime. Tout ceci n’était pas dans le roman, mais il était indispensable à  mes yeux de faire ressurgir le social. Toute l’Histoire, tout ce qu’il y a à  l’extérieur du lycée, reste hors-champ lors du film : ces images agissent comme une recontextualisation brutale et contondante. »

Un film oppressant mais nécessaire pour dénoncer les mécanismes de l’oppression, remarquablement interprété par Julieta Zylberberg, et Osmar Nunez.

Magali Van Reeth

Signis

La Ballade de l’impossible

de Tran Han Hung

Japon, 2010, 2h13

sélection officielle Festival de Venise 2010

Sortie en France le 4 mai 2011.

avec Rinko Kikuchi, Kenichi Matsuyama, Kiko Mizuhara et Kengo Kôra.

Dans des paysages tour à  tour magnifiques et inquiétants, un jeune homme fait le douloureux apprentissage du deuil et de l’amour.

Haruki Murakami est un auteur japonais contemporain très connu, aussi bien dans son pays qu’à  l’étranger. Si La Ballade de l’impossible, paru en 1987, est son roman le plus célèbre, on lui doit aussi Chroniques de l’oiseau à  ressort, Après le tremblement de terre ou Kafka sur le rivage. Son écriture, fluide et élégante, s’ancre dans la réalité japonaise où le thème de la catastrophe est omniprésent. Catastrophe passée, comme celle d’Hiroshima, mais aussi catastrophe à  venir dans un pays vivant toujours dans la crainte du prochain tremblement de terre, comme celui du printemps 2011. Mais si Murakami connaît un tel succès international, c’est aussi parce que ces personnages sont d’abord des êtres ordinaires qui nous ressemblent, éprouvent les mêmes sentiments que nous et, comme nous, cherchent à  donner du sens à  leur vie. ballade3.jpg

Le réalisateur franco-vietnamien Tran Han Hung (L’Odeur de la papaye verte, Cyclo) a été touché par le ton poétique et la mélancolie du roman. La Ballade de l’impossible commence en 1967, lorsque le Japon est secoué par une violente contestation politique, notamment dans les milieux universitaires. Un groupe de jeunes gens, vivant en résidence étudiante, découvre la vie loin du cocon familial. Amitié, séduction, découvertes intellectuelles, amour et recherche d’idéaux se heurtent à  l’inconséquence du désir physique, à  la peur de se dévoiler, à  la vacuité, à  l’incompréhension face à  la mort. Tour à  tour oppressant et lumineux, le film suit l’itinéraire de Watanabe, jeune homme de 19 ans, chahuté par le désir des femmes et les actes radicaux de ses amis.

ballade4.jpgLe réalisateur, qui est connu pour le soin apporté à  la photo de ses films, a trouvé dans l’univers de Murakami un exhausteur de son talent. Avec le directeur photo, Mark Lee Ping-bin, il débusque le sublime dans les paysages du Japon. Prairies d’herbes secouées par le vent, neige brumeuse ou côte rocheuse que la mer vient frapper, la beauté de ces plans magnifiques dit aussi l’imminence du drame. Pour filmer l’inquiétude des personnages, toujours en déséquilibre, en hésitation, il trouve des lumières changeantes, des mouvements de caméra fluides. Tran Han Hung : « Pour un film dont le thème est la formation de la personnalité à  travers l’incertitude de l’amour, la souffrance de perdre l’être aimé, le miracle du retour à  la vie après le deuil par une voie extrêmement audacieuse, la collaboration avec Mark est une évidence pour sa façon de bouger la caméra qui donne à  l’image une sensation d’instabilité et de flottaison exprimant une profonde inquiétude face à  la fragilité de l’existence. »

Tourné au Japon, avec des acteurs japonais dont le réalisateur ne parle pas la langue, le film trouve une justesse particulière, faite de distance, de syncopes et d’émotions vibrantes. La distance étant donnée par les différences culturelles que l’intensité des émotions efface ensuite. La musique aide au rythme de la narration et trouve une place d’autant plus importante qu’elle est indispensable pour le romancier, toujours soucieux de citer des musiques réelles, comme la chanson des Beatles Norvegian Wood qui donne son titre anglais à  l’ouvrage. Pour la bande son, le cinéaste a fait appel, une nouvelle fois, à  Jonny Greenwood. ballade2.jpg

Cette Ballade est sombre, intimiste, parfois lente, parfois déchirante. Elle est portée par le souffle de la poésie lyrique et exacerbée de Murakami que Tran Han Hung met en images, en jeu et en mélodies. Mais, à  l’instar de son personnage principal, résolument optimiste, cette Ballade célèbre la vie librement acceptée, où l’impossible n’est plus une option.

Magali Van Reeth

Signis

Tomboy

de Céline Sciamma

France, 2010, 1h25

Berlinale 2010, section Panorama

Sortie en France le 20 avril 2011.

avec Zoé Héran, Malonn Levana, Jeanne Disson, Sophie Cattani, Mathieu Demy.

Un film lumineux sur l’enfance met en scène les jeux, les peurs et les troubles de cet âge. Avec une exigence artistique rare et brillamment maitrisée.

Comme le fait justement remarquer Céline Sciamma, la réalisatrice, de nos jours, les films pour enfants, « c’est des histoires d’animaux en 3D ». Avec Tomboy, les enfants, les vrais, sont au centre du film, les animaux inexistants et les adultes étant repoussés à  la périphérie, presque en hors champ. Il vaut mieux ne pas raconter le film, tant la surprise fait aussi partie des plaisirs du cinéma. On dira juste que l’histoire se déroule quand une famille et ses deux enfants arrivent dans un nouveau logement. Profitant des vacances scolaires, du beau temps et des espaces verts tout proches, les enfants partent à  la recherche de nouveaux copains. A la suite d’un enchainement de circonstances fortuites nait un malentendu, comme il en existe beaucoup dans l’enfance. De ces malentendus qui sont un jeu pour les enfants, à  moins qu’ils ne tournent au drame. Le film est tout en tension autour de cette ambigà¼ité.

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En cinéaste, Céline Sciamma a traité l’histoire du point de vue de l’enfant, soucieuse de trouver la bonne place pour la caméra, à  hauteur de son regard, « ni pervers ni nostalgique ». Tomboy, dont la trame narrative part du quotidien de l’enfance, est tourné comme un film d’action, exacerbant les tensions et les ambigà¼ités, comme dans un conte. L’appartement familial, où règnent la douceur et la normalité, est baigné d’une lumière chaleureuse, apaisante. A l’extérieur, royaume des enfants, du jeu, de l’imaginaire et de la forêt, d’autres lumières, plus froides, font monter la tension. Pas de musique, dit la réalisatrice : « pour laisser le champ libre aux pulsations de l’enfance, aux cris des enfants, à  leurs voix particulières. La musique fait commentaire, toujours ! Et là , c’était tout de suite le monde des adultes, ce que je ne voulais pas. »

Les acteurs sont d’une justesse bouleversante. Zoé Heran incarne avec aisance son personnage, déclinant avec naturel la timidité, l’effronterie et la douceur, aussi à  l’aise dans les câlins qu’au foot. Avec la jeune Malonn Levana, elles forment une fratrie très complice, tout comme la bande de copains qui joue au foot ou au béret : on sent toujours une véritable cohésion, une bande d’enfants qui existe vraiment. Campés en deux ou trois scènes assez brèves, les parents, Sophie Cattani et Mathieu Demy, donnent à  la cellule familiale la lumineuse douceur de l’ordinaire tranquille.

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Construit avec beaucoup de rigueur et une réelle intention de faire du cinéma, Tomboy est un enchantement, tant par la forme que sur le fond. Céline Sciamma a construit avec soin la structure du film, pour trouver le rythme le plus juste. Chaque plan, chaque scène est orchestré avec minutie. Chaque détail compte, aussi bien dans le déroulement de l’histoire que dans la construction d’une véritable écriture cinématographique. Jusqu’au final où, par l’intervention des parents, le désordre de cet univers créé par les enfants, cesse comme par un coup de baguette magique, et la réalité reprend ses droits aux portes de l’école.

Enfin, Tomboy pose avec délicatesse la question du genre chez les très jeunes enfants. Aujourd’hui, toutes les petites filles sont habillées de rose à  outrance, les cheveux toujours longs, ornés de barrettes à  paillettes. Dans un univers où les couches-culottes, les jeux, les vêtements, les livres et même les draps sont sexués dès le berceau, l’enfant perd une part de son innocence en endossant si tôt l’uniforme de l’homme ou de la femme qu’il deviendra. Laura, avec ses cheveux courts et son maillot de bain sans haut, qui joue à  être un garçon, fait preuve d’une salutaire subversion dans le conformisme ambiant !

Magali Van Reeth

Signis

Rabbit Hole

de John Cameron Mitchell

Etats-Unis, 2010, 1h32

Sortie en France le 13 avril 2011.

avec Nicole Kidman, Aaron Echkart, Milles Teller.

Après la mort de leur enfant, un couple vit les moments difficiles du chagrin et de la culpabilité. Un deuil filmé avec délicatesse et sans concession.

Le film est tiré d’une pièce de théâtre éponyme, Rabbit Hole de David Lindsay-Abaire, pièce créée en 2006 aux Etats-Unis et qui a connu un beau succès. Le titre fait référence au roman d’Alice aux pays des merveilles, lorsqu’elle entre dans un monde inconnu, étrange et fantastique en tombant dans le terrier du lapin (Rabbit Hole en anglais).

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Ce plongeon terrifiant, c’est celui que Becca et Howie ont l’impression de vivre depuis la mort accidentelle de leur fils de 4 ans. Pour eux, plus rien n’existe du monde d’avant et ils ne savent pas habiter celui qui s’ouvre devant eux. Leur maison est tout à  coup trop grande, leurs proches trop absents ou trop présents et ils ne savent plus se parler ni s’aimer.

Le film permet d’entrer complètement dans cette longue et douloureuse période de reconstruction. L’oubli n’existe pas mais on apprend peu à  peu à  vivre avec la souffrance et le manque. Enfermés dans leur douleur, Becca et Howie doivent pourtant affronter chaque jour qui se lève. Chacun trouve l’apaisement où il peut. La colère, les larmes mais aussi la tendresse et l’humour s’enchevêtrent dans une vie qui continue malgré leur peine.

Rabbit Hole fait aussi référence à  l’univers de la bande dessinée américaine, peuplé de supers héros pouvant intervenir, grâce à  leurs pouvoirs magiques, dans la vie des gens ordinaires. Ces héros, souvent masqués et déguisés, arrêtent les catastrophes ou sauvent la vie d’un innocent, quand tout semblait perdu. C’est l’inconcevable devenu réalité, comme pour Becca et Howie : la mort a été inconcevable et la vie le devient après elle, car les supers héros n’existent que dans les bandes dessinées et n’ont pas pu sauver leur fils.

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En évoquant ainsi la mort d’un enfant, le film soulève une question difficile dans nos sociétés contemporaines. Alors que l’espérance de vie est de plus en plus longue et que les taux de natalité sont de plus en plus bas, le décès d’un enfant – souvent unique – devient un scandale, une injustice insoutenable. Les progrès de la médecine et la stabilité des régimes politiques éloignent toujours un peu plus la mort de notre quotidien. Ceux qui la vivent de près et qui souvent, comme Becca dans le film, refusent tout repère religieux ou philosophique, sont de plus en plus démunis. Rabbit Hole est aussi le récit de ce désarroi.

Magali Van Reeth

Signis

Tous les soleils

de Philippe Claudel

France, 2010, 1h45

Sortie en France le 30 mars 2011.

avec Stefano Accorsi, Neri Marcoré, Lisa Cipriani, Clotilde Coureau, Anouck Aimé.

Comédie ensoleillée, au cœur d’une ville très européenne, avec des personnages bigarrés et généreux, au son de la tarentelle, une mélodie traditionnelle italienne qui chasse la mélancolie ! Savoureux.

Ecrivain français réputé, Philippe Claudel touche un large public tout en maintenant une certaine exigence de qualité. Les Ames grises, prix Renaudot en 2003, a inspiré Yves Angelo pour le film éponyme. La Petite fille de monsieur Linh en 2005 a été un beau succès en librairie. Tout en continuant une carrière universitaire, il réalise Il y a longtemps que je t’aime dont il a écrit le scénario, prix œcuménique à  Berlin en 2008 et près d’un million d’entrées en France. Ses trois carrières s’enrichissent, se nourrissent mutuellement et on retrouve, dans ce nouveau film, les thèmes chers à  Philippe Claudel : l’attention aux autres, la province, le sens de l’amitié, les handicapés, les grandes tablées, les enfants asiatiques, les salles de cours, le bénévolat, la musique.soleil3.jpg

Alessandro, le personnage principal, enseigne la musique à  l’université. Depuis la mort de sa femme, il n’a pas vu le temps passer. Il vit avec son frère, réfugié politique de l’ère Berlusconi, peintre refusant le monde marchand et fin cuisinier. Mais à  15 ans Irina, sa fille, a envie d’ouvrir grand les fenêtres de cette vie qu’elle trouve trop confinée et ne veut plus vivre à  l’ombre de celle dont elle n’a aucun souvenir. Sur un ton léger, Tous les soleils parle de sujets graves, comme le deuil, les occasions manquées et les souvenirs douloureux qui nous hantent.

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Le film est tourné à  Strasbourg, une ville à  la beauté protéiforme où on entend parler toutes les langues européennes au quotidien. Tous les personnages sont ancrés dans la vie ordinaire et nous laissent le temps de cheminer avec eux. Il y a beaucoup de gentillesse et de solidarité chez eux. La musique est celle de la tarentelle, musique traditionnelle italienne, censée guérir des piqûres d’araignées, calmer les anxieux et chasser la mélancolie Certains pourront reprocher à  Tous les soleils, une certaine naïveté, trop de douceur, trop de « bons sentiments ». Philippe Claudel : « la matière première de mes films et de mes livres, c’est l’humain. Il y a des gens qui s’impliquent, qui aiment donner. Moi j’aime les bons sentiments. »

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Et pour, le réalisateur, le film est même un film politique puisque, au-delà  du personnage militant et anti-berlusconni, on voit des gens qui lisent, écoutent de la musique, s’investissent dans le bénévolat ou une activité artistique, et célèbrent les plaisirs de l’amitié et du bon vin. Tous les soleils réunit des acteurs italiens et français et on passe avec bonheur d’une langue à  l’autre, sans oublier de pimenter avec un peu d’alsacien. De petits rôles sont confiés à  Clotide Coureau et à  Anouk Aimé et c’est là  encore, un des beaux cadeaux que nous fait Philippe Claudel.

Magali Van Reeth

Signis

Haevnen/Revenge

de Susanne Bier

Danemark, 1h40, 2010.
Oscar du meilleur film étranger 2011.
Sortie en France le 16 mars 2011.

avec Markus Rygaard, William Jà¸hnk Nielsen, Mikael Persbrandt, Trine Dyrholm, Ulrich Thomsen.

Réflexions sur la violence contemporaine, à  travers le destin croisé de personnages qui évoluent dans un pays instable de l’Afrique de l’ouest et dans une société privilégiée de l’Europe du nord.

Si beaucoup de pays européens vivent depuis un demi-siècle à  l’écart des conflits armés, ils sont toujours confrontés à  une violence quotidienne. Violence à  l’école, dans les familles, au travail, dans les quartiers péri-urbains. La réalisatrice danoise Susanne Bier met en scène deux histoires de violence à  travers le personnage d’Anton, médecin dans une petite ville du Danemark.

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Anton est chirurgien et travaille dans un camp de réfugiés, qu’on image être au Soudan. Là , il est confronté à  la maladie, à  la souffrance et à  la misère les plus radicales. Obligé de faire des choix qui condamnent ou qui sauvent, il se heurte à  d’autres coutumes et une autre morale. Père de famille attentif, il est proche de ses deux garçons dont l’aîné, Elias, est le souffre douleur d’une bande de gamins de son collège. Lorsqu’un jour un nouvel élève devient son ami et tente de le défendre par la force, les choses dérapent.

La réalisatrice Susanne Bier explique son projet : « Le film explore les limites auxquelles nous nous heurtons, à  trop vouloir contrôler la société et nos vies personnelles. Il suscite une réflexion sur le fondement même de notre propre civilisation, dite « développée » et « avancée » : est-ce un modèle pour accéder à  un monde meilleur, ou engendre-t-elle sous la surface des comportements anarchiques, et partant, la confusion ? Est-on immunisé contre le chaos ? Ou sommes-nous sur le point de sombrer dans le désordre ? »

Les deux jeunes garçons qui interprètent Elias et son ami Christian, Markus Rygaard et William Jà¸hnk Nielsen sont remarquables de spontanéité. On adhère parfaitement à  la douleur muette de Christian, aux hésitations d’Elias, à  l’enchainement catastrophique de leurs décisions. Face à  eux, les acteurs adultes ont un jeu plus convenu.

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On peut trouver des longueurs au film, sans doute un manque de rythme dans l’articulation des deux histoires. Il est surtout regrettable que les questions morales soulevées par la décision d’Anton, prise en tant que médecin urgentiste d’une ONG dans un pays qui n’est pas le sien, ne soit pas mieux développée. On comprend bien que, voulant d’abord toucher un public européen, la réalisatrice centre le film sur les personnages occidentaux. Mais c’est vraiment dommage d’évacuer aussi rapidement la question culturelle après l’avoir apportée dans le film de façon si dramatique. Il y avait là  une question moins artificielle, moins romanesque et qu’il est nécessaire de débattre pour mieux comprendre la violence dans les pays que nous n’habitons pas. C’est bien la limite de ce film qui ne s’intéresse aux autres que pour nous parler de nous-mêmes

Magali Van Reeth

Signis

Ma Part du gâteau

de Cédric Klapisch

France, 1h49, 2010.

Sortie en France le 16 mars 2011.

avec Karin Viard, Gilles Lelouch.

Conte de fées contemporain entre un prince très riche et une femme de ménage au chômage, ou portrait acide de la lutte des classes sous l’ère Sarkozy ? Une comédie un peu trop molle pour être convaincante.

Cédric Klapisch a souvent de bonnes idées mais parfois il n’est pas tout à  fait à  la hauteur de nos espérances de cinéphile exigeant … S’il y a de jolis moments de cinéma dans Ma Part du gâteau, on reste dubitatif sur le fond. Un trader, jeune homme en costume cravate, les poches pleines de billets à  3 chiffres, rencontre une femme de ménage, mère de famille au chômage, doublement débarquée de Dunkerque et de son usine en faillite. gateau2.jpg

La différence sociale est un bon facteur comique et les acteurs sont à  la hauteur. Gilles Lelouche pour le jeune homme, cynique, sûr de lui, fonceur. Karin Viard, la paire de gants en plastique bleu, tablier assorti, la gouaille et le bon sens. Mais très vite les choses dérapent. On quitte Dunkerque pour s’installer dans le luxueux appartement du trader, Steve (parce que Stéphane, ça fait un peu trop franchouillard) qui embauche France, venue trouver du boulot à  Paris pour nourrir ses trois filles. Et une fois installé chez les riches, le film y reste !

Finie la chronique chaleureuse de la vie à  Dunkerque où il faut jongler avec un porte-monnaie au régime pour payer les factures d’électricité. A Paris, les femmes sont plus jolies, les restaurants plus raffinés, la poussière moins collante, les fins de mois plus joyeuses. Au fil des jours, France change insidieusement sa façon de s’habiller, passe des savates aux talons aiguilles et des blouses à  fleurs aux petits hauts transparents. L’actrice reprend le pas sur son personnage, le film n’est plus qu’une comédie ordinaire.gateau3.jpg

Certes, Cédric Klapisch ne veut pas faire du reportage et part de la réalité pour faire du cinéma mais on aurait aimé une comédie un peu plus sociale, un peu plus grinçante que cette Part du gâteau trop douce, trop sucrée. Certes, les riches gagnent toujours et, certes, les pauvres se font toujours avoir mais on a, par moment, l’amère impression que c’est un peu de leur faute

Heureusement, la dernière scène est un beau moment de cinéma, les acteurs à  nouveau complètement dans leurs personnages, la tension palpable, l’ambiance où peut surgir le drame tout à  fait réussie et la caméra s’arrête juste quand il faut, sans trop en dire, laissant chaque spectateur entrer dans le film et goûter sa Part du gâteau.

Magali Van Reeth

Signis

Cartoon Movie

Journées professionnelles de l’image animée, Cartoon Movie a rassemblé cette année plus de 700 participants. Du 2 au 4 mars, des producteurs, dessinateurs, distributeurs ou concepteurs de films d’animation et de jeux vidéos, se sont retrouvés pour concevoir, échanger et commercialiser de l’animation.

Venus du monde entier, ils étaient accueillis dans la ville des frères Lumière mais aussi dans une région qui est devenue, ces dernières années, un des principaux pôles européens du cinéma et de l’image animée. Festival du film d’animation d’Annecy, festival du documentaire de Lussas en Ardèche mais aussi siège de nombreuses écoles d’art et pôles de création (La Poudrière à  Valence, Imaginove, Bandaï, Electronic Arts).

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Pour cette troisième édition, Cartoon Movie a innové puisque des films d’animation étaient proposés au public dans tout le Grand Lyon, partenaire de cette manifestation. Ainsi, on a pu voir un long-métrage pour adultes, Chico et Rita de Fernando Trueba et Javier Mariscal (dont la sortie en salle est prévue en juillet 2011) et pour les plus jeunes, Les Trois brigands, d’après le conte de Tomy Unggerer, Le Marchand de sable ou Une Vie de chat de Jacques-Rémy Girerd.

Cartoon Movie a permis de découvrir des projets en cours de réalisation ou des films déjà  terminés cherchant des distributeurs. On sait que la fin d’année sera chargée en histoires de père Noël ! Mais qu’il y a de plus en plus de films tout public et pour grands adolescents et adultes. L’animation quitte vraiment le domaine de la petite enfance et les créateurs rivalisent de compétences artistiques.

Ce fut aussi l’occasion, pour les professionnels, de récompenser le travail de leurs pairs en distinguant Pierre Coffin, meilleur réalisateur 2010 pour Moi, moche et méchant. Studiocanal a reçu le prix du meilleur distributeur pour le film Les Aventures de Samy (plus d’un million d’entrées en France) et France3 cinéma a été désigné comme meilleur producteur, ayant co-produit plus de 14 films d’animation.

La prochaine édition de Cartoon Movie aura lieu à  Lyon du 7 au 9 mars 2012.

Magali Van Reeth
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La Permission de minuit

de Delphine Gleize

France, 1h50, 2010.

Sortie en France le 2 mars 2011.

avec Quentin Challal, Vincent Lindon, Emmanuelle Devos.

Autour d’enfants atteints d’une maladie rare, une belle histoire d’amitié entre un médecin reconnu et un jeune homme au devenir incertain. Sobre et touchant.

On les appelle les enfants de la lune parce qu’ils ne peuvent pas jouer en plein jour. Comme les fragiles pellicules de film d’avant l’ère numérique, la lumière du soleil leur est fatale. Pour ceux qui sont atteints de cette maladie rare, la peau n’est plus écran, il faut sans cesse en surveiller le grain, la réactivité. Tout l’organisme doit se protéger de ces rayons qui sont si indispensables à  la survie de l’espèce humaine. On l’appelle aussi le syndrome XP, encore une histoire d’écranminuit2.jpg

Delphine Gleize fait un film non pas sur cette maladie ou sur les enfants malades mais questionne le simple fait d’être vivant. Romain a 15 ans, il est sous surveillance médicale depuis qu’il est tout petit, il ne peut pas vivre au rythme des gens « normaux » mais il se sent un adolescent comme les autres dans sa tête. Alors il aimerait bien savoir comment c’est vivre comme tout le monde, comment embrasser une fille, comment aimer, comment être libre de cette contrainte physique.

Parce que sa relation au médecin qui le suit est si importante, parce que son père est parti depuis longtemps, Romain est très lié à  David, éminent professeur, spécialiste réellement impliqué dans le bien-être de ces enfants malades. Mais David lui-aussi est fragile et chacun devra faire avec les faiblesses et les doutes de l’autre.minuit4.jpg

Delphine Gleize sait trouver le ton qu’il faut pour raconter sans émouvoir inutilement, pour déplacer le problème de la maladie sur celui de l’apprentissage de la vie. Difficile pour tous, qu’on soit malade, adolescent ou adulte établi. Et elle a très bien su choisir les deux acteurs principaux. Quentin Challal a l’indolence et le naturel de son âge et face à  lui, Vincent Lindon est remarquable. Toujours juste, toujours sobre, il donne au personnage de David une densité exceptionnelle et une raison suffisante pour aller voir le film.

Magali Van Reeth

Signis