LE LABOUREUR DE BOHEME, au TNP

Le Laboureur de Bohème au TNP
Encore quelques jours,à  ne pas manquer!

Christian Schiaretti, directeur du TNP constitue un “répertoire, et c’est bien le rôle d’un Théâtre Populaire, surtout lorsqu’il propose des textes essentiels, universels par leur propos, ainsi récemment,” Le procès en séparation de l’âme et du corps” de Calderon , et actuellement une reprise du “Laboureur de Bohème”de Johannès Von Saaz, qui date de 1401, écrit alors qu’à  la fin du Moyen Age une épidémie de peste vient de décimer une partie de l’Europe, et qu’un laboureur qui pleure la mort de sa femme, Margharita, s’adresse à  la Mort :”Mort ,soyez maudite”, dans une révolte animée par la perte douloureuse de sa compagne.
Le genre littéraire est celui de la dispute littéraire,d ‘une”altercatio”.
En surplomb du Laboureur, la Mort qui argumente en réponse, et delà  un échange, d’abord violent, puis plus apaisé.
Mort, où est ta victoire ?
La mort est dans l’ordre du monde ,mais est-ce la justifier ?
Faut-il y voir en retour une hymne à  la vie?
Et Dieu dans tout çà , c’est à  lui qu’en finale, après avoir eu la même complainte que Job, que le laboureur adresse une magnifique prière de résignation, qui se termine par : Amen, après que l’Ange du Prince du Ciel soit intervenu pour dire :”Chaque homme doit donner sa vie à  la mort,son corps à  la terre ,et son âme à  nous”
Ce très beau texte parfaitement mis en théâtre par Schiaretti, dont la mise en scène prolonge un travail de plus de vingt ans (création à  Reims en 1990), et servi par de merveilleux acteurs : un Laboureur (Damien Gouy) qui par la posture est d’emblée dans son rôle, avec une diction qui sert parfaitement le texte sans emphase, et la Mort ,(Clément Moriniére) figure et voix, époustouflante de présence, n’osant écrire de vérité, de tous les temps, de celle de la Danse Macabre à  celle de sa représentation baroque en passant dans notre imaginaire par celle que le bucheron de La Fontaine interpelle, avant de la renvoyer.
A ne pas manquer, avant que vos pas vous reconduisent au TNP ,l a semaine prochaine pour des rencontres avec Alain Badiou.
Qui pourra dire que le TNP n’est pas un théâtre vivant?
L’Art à  ce niveau est un anti destin, tel le théâtre d’Art à  mission populaire.

Jusqu’au 15 mars et du 2 au 5 avril,

Et à  voir aussi absolument la reprise de “Qu’est-ce que le temps”,d’après Saint Augustin,
du 26 au 30 mars.

QU’EST-CE QUE LE TEMPS ?

IL est encore temps, au TNP nouveau, qui vous attend, de voir « Ruy Blas », et les « Bonnes », de Jean Genêt, et en hauteur, dans une salle dédiée à  Laurent Terzieff, de participer à  un bonheur d’une heure , inattendu, proposé ,par un jeune comédien : Stanistlas Roquette, sur une idée et la direction de Denis Guénoun, philosophe venu au théâtre, et auquel on doit déjà  entres autres ,une adaptation du « Banquet » de Platon, et une interrogation, sous forme d’essai : « Le théâtre est-il nécessaire ? » Les philosophes depuis Voltaire se sont souvent avec bonheur tournés vers l’expression dramatique, (Camus,Sartre, et plus récemment ,Alain Badiou ,en lien avec Christian Schiaretti). Les hommes de théâtre ont également été tentés par des textes philosophiques, sans adaptation, et on a par exemple le souvenir des textes de Pascal,(« Pensées et « Provinciales »),et aux Ateliers, à  Lyon des « Fragments d’un discours amoureux » de Roland Barthes. Le spectacle : »Qu’est-ce que le temps ? » est de ceux là , dans une très belle traduction des « Confessions », de Saint Augustin ,qui n’est pas une adaptation, de Fréderic Boyer ,sous le titre « Les Aveux » (éditions P.O.L). On avait déjà  entendu Gérard Depardieu, dans l’exercice, mais ici, pas d’autre souci que la mise en « scène » du passage le plus philosophique et donc le plus ardu , le Livre XI des Confessions, sans céder à  la tentation plus narrative des premiers Livres. Le thème est donc un questionnement : « Qu’est-ce que le temps ? » « Si personne ne me le demande, je sais. Si on me le demande, et que je veux l’expliquer, je ne sais plus. « La « fuite » du temps est justement en écho de l’impossibilité d’en saisir la nature : « Ce qui autorise à  penser que le temps est, c’est qu’il tend à  ne plus être.Tout est présent ,à  la fois éternel . »Le raisonnement bute justement sur le mystère de l’origine : il est impossible de concevoir la temporalité sans faire un pas vers l’en deçà  du temps qui ne peut être qu’un au-delà  et, il n’y a que l’incertitude de la croyance ou de la Foi qui y conduit, d’où l’angoisse existentielle, avec une double adresse ,matérialisée par l’espace : Dieu et le public. Le comédien est très efficace et parfaitement dirigé ,en traduisant cette double tension ,entre un raisonnement qui tourne à  l’absurde, façon Beckett ou Devos , et l’inquiétude . Froid dans la tête, chaud dans le cœur. Pas de décor, le texte tient lieu de dramaturgie ,jouant sur la prosodie ,le rythme, le ton entre dérision et pédagogie, qui amène à  voir les mots tandis que l’on entend les gestes, tantôt lents, tantôt précipités. Populaire , vous avez dit :populaire ,oui , populaire ,cette performance ,car il s’agit bien d’une performance, avec la double connotation anglo-saxonne. Qu’est donc le rôle du comédien que celui de passeur de texte ?

Hugues Rousset

aux Subsistances : UNE SAISON EN ENFER

Le Laboratoire international de création artistique des « Subsistances » nous propose actuellement et jusqu’au 24 septembre :

Z .Je me crois en enfer donc j’y suis

et affiche en même temps , en quadrichromie le portrait d’Arthur Rimbaud, ne laissant pas de doute sur l’origine de la « performance » : « Une saison en enfer », dont le titre de la prestation est extrait.

Quelle bonne idée de permettre et d’accueillir en résidence pour la création un trio d’artistes issus de cultures éclatées :Lukas Hemleb, metteur en scéne, Ned Rothenberg, musicien New Yorkais, et Tadashi Kawamata ,plasticien Japonais . Les « Subsistances » répondent bien ainsi à  leur vocation , qu’il n’y a pas si longtemps, on appelait :théâtre d’essai , et où l’an dernier un «Hamlet » époustouflant avait été montré .

Le texte , incandescent , brûlant même, en un mot « fulgurant » est bien un texte à  dire, à  proférer, et plusieurs comédiens s’y sont déjà  « essayés » , reste à  savoir si la musique du texte, véritable révolution de l’écriture poétique, et l’imaginaire ,que sollicite le poète écorché vif, devenu voyant d’un monde où il nous entraine de façon violente, peuvent être servis par une « mise en scène ».
C’est le pari de ce spectacle, où le texte, fait de morceaux choisis, est éclaté entre trois comédiens, dont le programme nous indique qu’ils évoquent Verlaine et l’entourage de Rimbaud. Déconstruction voulue, dont les créateurs voudraient faire apparaître une nouvelle synthèse , comme on parle de musique synthétique.

Deux musiciens , aux instruments associant une flûte japonaise de la tradition japonaise, le « daxophone »,emprunté à  la panoplie de la musique expérimentale, guitare et clarinette s’emploient à  composer un contre point musical ,en même temps que les comédiens évoluent sur un praticable en bois brut en forme de Z,(que l’on pourrait facilement imaginer exposé à  la Biennale),allant de déambulations en glissades, d’apparitions en disparitions, dont ni le sens, ni l’esthétique n’emportent la conviction de leur nécessité, mais comme nous y invite Rimbaud à  la fin du texte, « il faut être moderne »,soit

Restent l’universalité de la plainte existentielle, inscrite dans la chair de l’homme, projeté entre le ciel et l’enfer, la soif inextinguible, la faim insatiable, l’appel du désert, la révolte, la tentation du blasphème , inspiré par la souffrance à  être en état de manque. Cette quête , cette « gourmandise de Dieu »,qui tout en niant son existence ne peut s’empêcher de l’interpeller, de l’apostropher est au cœur de cette saison, morceau de vie ,en partance pour un ailleurs ,un silence après le terrible orage des mots, un silence qui est encore de Rimbaud. Peut-on chercher avec tant de douleur ce que l’on n’a pas déjà  un peu trouvé ?

Artaud, Rimbaudet puis Claudel, avec l’Annoncier, au début du Soulier de Satin : « Ecoutez bien, ne toussez pas, et essayez de comprendre un peu .C’est ce que vous ne comprendrez pas qui est le plus beau ».Le spectacle qui nous est proposé nous donne-t-il à  écouter à  défaut de tout comprendre ?

Hugues Rousset

site des Subsistances