Une guerre de génies, de héros et de lâches

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« La révolution est semée par des génies, arrosée par le sang des héros et moissonnée par des lâches », peut-on lire dans cet ouvrage.
Récit bien mené, avec rebondissements, énigmes, enquête, sorte de roman policier donc qui nous met au cœur des affrontements sanglants des différentes factions de la lutte d’indépendance en Algérie.
Nous voici à  l’été 1962, fin de la guerre d’Algérie, vécue et racontée par Serjoun, garçon de 12 ans. L’enfant fait partie d’une famille juive constantinoise aisée engagée fortement aux côtés des indépendantistes. Absorbés par la clandestinité au sein du FLN, les parents sont totalement coupés de leur fils depuis des années . Sa grand-mère paternelle, Rébecca, quant à  elle adepte de Messali Hadj, élève son petit-fils. Cette famille est donc le théâtre des tensions entre les messalistes prônant une voie de compromis, à  la recherche d’une Algérie laïque et multiculturelle, et le FLN défendant une ligne dure autour de l’Islam et de la langue arabe.
Serjoun, après une enfance choyée à  Alger, suit sa grand-mère à  Djelfa, bourgade des hauts plateaux ; de 7 à  12 ans, il y découvre une vie rude, au contact du peuple, ainsi que les arcanes de la lutte clandestine que mène son intrépide grand-mère. Rébecca assure elle-même l’instruction de son petit-fils, celui-ci surdoué acquiert une vaste culture. Bien que juive et athée, Rébecca demande à  un éminent « imam » d’initier l’enfant au Coran et à  la théologie.
Nous voyons d’abord l’exaltation de Serjoun pour l’héroïsme de la résistance à  l’oppresseur, puis sa découverte brutale de l’horreur de la lutte, la sauvagerie des règlements de compte entre messalistes et frontistes (FLN). Le compagnonnage de Samuel, cousin de18 ans, affûté aux ruses et exigences du combat fait mûrir encore Serjoun.
Enfin, Rébecca, Serjoun et Samuel gagnent Oran, à  quelques jours de l’indépendance. Ils trouvent une ville à  feu et à  sang, saccagée par l’OAS. L’enfant est enlevé par un capitaine du FLN ; otage, il est sommé de dévoiler une cache de sa grand-mère. Il s’agit de documents compromettants que le FLN veut détruire à  tout prix.
Finalement relâché, l’enfant revoit ses parents au bout de 6 ans de séparation, déception cruelle : son père a laissé sa mère pour une autre femme, soldate du FLN.
Enfin le jour J de l’indépendance, le FLN monopolise les commandes du nouvel Etat ; c’est le carnage des Européens, je n’en dis pas plus pour ne pas déflorer la fin du livre
Je trouve passionnant et réussi cet ouvrage, il décape et démystifie le FLN autant que le général de Gaulle. Il donne des clefs sur les fondations de l’Algérie indépendante, basée sur l’identité arabo-musulmane, ce qui revient à  l’exclusion des autres communautés et personnes. Le rêve des messalistes et de Camus se trouve donc pulvérisé.
A lire du même auteur : Testament syriaque (2009) et Arabian Thriller(2011) qui mettent en scène Serjoun devenu le commissaire Sarfaty.

Geneviève VIDAL

Barouk SALAMÉ Une guerre de génies, de héros et de lâches
éd. Rivages 2012

Dialogues en humanité 6-7-8 juillet Parc de la Tête d’Or

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Osons la métamorphose !
inventons la transition et apprenons la résilience comme alternatives au chaos

Changeons le monde ! C’est le moment d’ouvrir l’imaginaire, de réfléchir pour trouver des solutions, de construire du bien vivre, de re créer de nouveaux cadres de systèmes d’échanges pacifiés et non prédateurs.

L’A venir en mémoire vive
Un parcours chaque jour et en trois jours
Ce sont les thèmes qui seront abordés cette année et qui, depuis quelques années maintenant interpelle les personnes autour de cet évènement festif et convivial sous les arbres du Parc de la Tête d’Or.
Parent, enfant, étudiant, écrivain, entrepreneur, artiste, chacun s’interroge et partage sa sensibilité sur tous les sujets qui tissent les liens et les enjeux de la relation humaine.
Entre jeux, palabres et témoignages, ateliers du sensible et étapes musicales,vous pourrez partager ce que vous êtes.

En savoir plus : le programme :

Programme_Dialogues_en_Humanite_2012.pdf

Découvrir les intervenants :
[->http://dialoguesenhumanite.org/]

Le ravissement de l’été de Luisa EXTENIKE

L‘auteur, basque et espagnole, née en 1957, romancière renommée dans son pays ; Le ravissement de l’été est son premier roman traduit en français.

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Trame narrative serrée, rigoureuse, efficace, en 3 parties, chacune introduite par une citation à  la gloire du vin.
La 1ère donne la parole à  Raul Urbieta, 30 ans, qui se souvient, 15 ans après, de Fermin, fils de paysans qui, l’été, louaient leur maison à  la famille de Raul. Fermin était le camarade contraint de Raul pendant les vacances. On comprend que Raul est devenu un adulte à  la dérive ; accablé de dettes, il sollicite sa mère, qui, bien que riche, ne veut rien entendre, ayant rejeté ce fils dépravé. Prêt à  tout pour faire plier sa mère, Raul trouve un moyen de la faire chanter, sous la forme d’ un cahier de dessins de vignes réalisé par Fermin à  l’intention d’Isabel, trouvé lors d’une fouille dans le « jardin secret » de celle-ci.
En 2ème partie, Fermin est le narrateur, -nous changeons alors complètement de point de vue -, l’on apprend à  quel point Fermin a détesté Raul, et comment il a été troublé par Isabel, la mère de ce dernier, qui l’a séduit lors du fameux été des vacances. Depuis, il a perdu ses parents dans un accident de voiture, et il a cultivé la vigne qui est sa passion. Il est encore célibataire, habité par le souvenir d’ Isabel. Or voici que revient Raul, le mauvais génie, qui tente de l’utiliser pour faire pression sur sa mère et lui parle du fameux cahier de dessins. Fermin ne cède pas. Raul se venge en détruisant son chai.
La 3ème section culmine avec le récit d’Isabel . Obligé de se manifester après le passage destructeur de Raul, Fermin téléphone à  Isabel et réveille le passé. Distante au début, Isabel s’interroge sur l’émoi amoureux qu’elle a provoqué chez Fermin il y a 15 ans ; de plus, on la devine obsédée par un événement traumatisant de son enfance. L’intensité dramatique du roman se renforce, mêlant les retrouvailles d’Isabel et Fermin avec la libération du souvenir traumatisant.
Le livre tire beaucoup sa beauté de l’hymne au travail de la vigne et au goût du vin, métaphores de la lente maturation de l’amour. S’y greffe une intéressante méditation sur la mémoire et le souvenir, celui-ci ayant valeur de repère fondateur.
Et pour terminer, cette phrase de Fermin :
»Il y a des vins faits pour être gardés, qui mûrissent et se révèlent très lentement. Qui promettent dès le début et tiennent parole. »

Geneviève VIDAL

Luisa EXTENIKE Le ravissement de l’été Robert Laffont Roman (189 p)
Traduit de l’espagnol par Carole Hanna

Terre de femmes -150 ans de poésie féminine en Haïti

Très bel ensemble que les poèmes de ces 31 Haïtiennes, de la fin du 19ème siècle à  nos jours . Bruno Doucey en donne une présentation éclairante dans sa préface, soulignant le caractère d’urgence qui anime ces écrivaines, moins connues que leurs homologues masculins (René Depestre, Lyonel Trouillot, Jean Métellus, Dany Laferrière, Franketienne ).

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La mise au jour de ces écritures féminines ajoute à  la vitalité de la littérature haïtienne, francophone comme l’on sait. La tâche de ces femmes-poètes : « ravauder la beauté déchirée du monde « , écrit joliment Bruno Doucey. Et l’on sait à  quel point Haïti fut et reste secouée d’épreuves et de difficultés en tous genres, dictatures (Duvalier père et fils), violence, pauvreté, catastrophes naturelles (200 000 morts par le séisme de janvier 2010)
L’on sait aussi que les femmes reçoivent de plein fouet les difficultés du quotidien, qui leur laissent peu de répit. D’ailleurs, de trop nombreuses écrivaines d’Haïti ont cessé d’écrire une fois mariées, submergées par leurs obligations familales.
Parmi elles, certaines sont exilées en Amérique du nord ou en France.

L’anthologie répartit les auteures en 5 périodes :- avant 1915, -1915 /1934, -1934/1956, -1957/1986,-après 1986.
Les thèmes de l’amour, de la séparation, de l’attachement à  la terre, des bouleversements de l’histoire et de la nature, de la violence et de l’exil sont récurrents, avec des formes classiques ou éclatées, dans une langue française irriguée par une sensualité solaire , -sensations et émotions exacerbées-, exprimée par des images fortes, et parfois une syntaxe démembrée. Nous découvrons des univers passionnés et combatifs.
Citons quelques uns de ces noms et prénoms (souvent savoureux)

Ida Flaubert (1882-1969) en une versification classique dit les affres de l’amour , la beauté du pays natal et l’épreuve de la mort de sa fille :
« Je rêve et sans doute l’enfant sommeille ;/Pourquoi près de moi dit-on qu’il est mort ».

Emmeline Carriès Lemaire (1890-1980) a composé une Ode à  Bolivar :
« Dans l’éther Bolivar lut l’avenir comme un Dieu/ Et fut l’épée de la Liberté ».

Cécile Diaquoi-Deslandes (1907) propose des textes pleins de fraicheur :
« Les jeunes filles se déhanchent/Les vieilles femmes chuchotent,chuchotent ».

Marie-Thérès Colimon (née en 1918), enseignante, militante du droit des femmes, chante son pays : » Je dirais, torches rouges tendues au firmament/La beauté fulgurante des flamboyants ardents ».

Jacqueline Beaugé-Rosier (1932) déclare dans le poème Affirmation : « Je suis l’eau de l’avenir/sans laquelle tu n’existes pas ».

Jacqueline Wiener fait vivre la racine africaine de son peuple : » le Tam-Tam obsédant/ du tambour ».

Lilian Dartiguenave (1907) écriture de révolte contre l’injustice et la violence (son mari fut assassiné en 2000) : »renais à” ma patrie/réapprends la fierté ».
Marlène Rigaud Apollon (1945) exprime la douleur de l’exil : »Le peuple de mon pays natal /m’a appelée touriste ».

Michèle Voltaire Marcelin (1955), vit à  New York ; à  propos du séisme de 2010 : »Et la faille de la terre et celle de nos cœurs se joignirent / Et nous perdîmes notre peuple et notre terre ».

Marie-Cécile Agnant (1953), vit au Québec : « Les ongles plantées dans l’écorce de la terre/au creux du mensonge/je veux écrire/des phrases-témoins ».
Elise Suréna (1956) exprime une franche sensualité :
« J‘aime les baisers/Rhumpunch/Gourmands/ Aventureux ».

Kettly Mars (1958) , inspiration intimiste et érotique : « La passion est rouge, rouge et mouvante/ elle exulte au cœur de l’été en chute libre ».

Judith Pointejour (née à  Chicago en 1969) swingue ses vers : »Tu as divisé l’éclat de pulsations organiques/De John, Miles, Dick & Joe/All the superflies, baby ! ».

Elvire Maurouard (1971), installée en France, sur Toussaint Louverture : »Je me rappelle l’émoi des quatre murs au fort de Joux/devant le délire des Dieux devenus fous ».

Muriel Jassinthe (née au Québec en 1982) interroge son identité culturelle :
« la langue de ma mère/se tord en ma bouche ».

Une mine donc, cette anthologie, avec de surcroit des notices biographiques et une bibliographie sur la littérature d’Haïti ainsi que sur la lutte des femmes de ce pays.

Geneviève Vidal

Une année étrangère de Brigitte GIRAUD

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ème livre de cette écrivaine, née en Algérie en 1963, et habitant Lyon, par ailleurs conseillère littéraire de la Fête du livre de Bron.
Roman d’apprentissage, écrit à  la 1ère personne. A l’âge de 17 ans, et pour fuir une ambiance familiale irrespirable, Laura part comme jeune fille au pair dans une famille du Nord de l’Allemagne, près du mur de séparation avec l’Est (avant 1989 donc).
Déstabilisation de se trouver dans une famille désordonnée, voire désorganisée, avec une fillette difficile à  apprivoiser et un adolescent ; les parents, M et Mme Bergen, fument beaucoup, partent tard le matin au travail. La jeune Française ne sait pas trop ce que l’on attend d’elle, se rend compte qu’elle maîtrise mal la langue allemande.
Il faut endurer l’exil, l’étrangeté de la famille d’accueil, le climat rigoureux, l’isolement dans la campagne, l’absence de contacts avec des jeunes de son âge.
Ce qui l’aide à  tenir : la correspondance avec son frère Simon, les visites à  la médiathèque, la lecture de La montage magique de Thomas Mann et celle, terrifiante, de Mein Kampf.

Petit à  petit apparaissent des zones d’ombre : le souvenir traumatisant de l’accident mortel de son jeune frère, la rencontre avec le grand-père paternel des enfants Bergen, qui a eu des liens privilégiés avec la France Son frère Simon s’éloigne d’elle, sa mère au téléphone joue la comédie de la femme forte et heureuse Puis se révèle la maladie grave de Mme Bergen, et son hospitalisation qui transforme son statut dans cette famille Je vous laisse découvrir
Beau roman sensible donc, écrit avec simplicité et finesse.

Geneviève VIDAL

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Éloge de la haine

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Né près d’Alep en 1964 Khaled Khalifa était un jeune homme dans les années 80 quand la Syrie connut déjà  révoltes et répression. En nous donnant les clés, dans son roman « Éloge de la haine », de cette période sanglante, il nous aide à  comprendre la violence qui bouleverse ce pays aujourd’hui. À lire absolument !

On peut saluer la performance de cet écrivain, un homme qui raconte à  travers une narratrice utilisant la première personne. Nous suivons cette adolescente qui devient une jeune femme durant les années 80 au cours desquelles se déroulent des massacres abominables sur fond de guerre en Afghanistan. Les deux guerres s’imbriquent d’ailleurs fortement à  travers les personnages.

Placée chez des tantes célibataires, dans la maison familiale d’Alep, la narratrice nous livre à  travers une mosaïque de récits, l’histoire de cette grande famille bourgeoise sur le déclin. L’amertume et la bigoterie des femmes qui l’entourent la conduisent à  la haine. Haine du corps mais surtout haine des autres communautés. Ainsi deux blocs s’affrontent : celui des musulmans radicaux, auquel la narratrice appartient, c’est « notre Organisation », et celui du pouvoir en place, qu’elle appelle le Parti, lequel conduit la répression à  travers les brigades de la mort.
« A la fin de l’été j’étais déjà  habitée, enivrée par la haine. J’avais la sensation qu’elle me sauvait, en m’offrant le sentiment de supériorité dont j’avais besoin. Je lisais les papiers qu’on nous distribuait à  chaque réunion, j’en apprenais des passages par cœur, surtout les fatwas qui dénonçaient l’hérésie des autres communautés. »

C’est en prison que l’héroïne abandonnera la haine en même temps que son lourd vêtement noir et son voile intégral. Dévêtue de force, après des séances de torture, elle rencontre des femmes, celles des autres communautés détestées et pourtant si semblables à  elle. Elle connaît enfin l’amitié dont le manque la faisait souffrir, terriblement.
Khaled Khalifa est d’abord écrivain : il ne se limite pas au récit des événements, il nous emmène dans cette grande maison alepine fascinante par ses odeurs, ses recoins, ses chambres au décor suranné,son atmosphère de confinement mais aussi de repos des guerriers. Les femmes de la maison attendent, s’engagent, soignent, se marient, partent, reviennent Les hommes eux, commerçants ou guerriers, ne font que passer, le temps d’un repas, d’une nuit.
Et au cœur de la maison il y a le vieil aveugle, l’unique homme à  vivre avec les femmes, serviteur et confident qui compose avec passion des parfums et des poèmes. Rejeté dans son enfance à  cause de son infirmité, le vieil aveugle voit la vérité au-delà  de la réalité : le seul à  échapper à  la destruction par la haine.
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Concours jeunes créateurs 2012

Concours jeunes créateurs 2012 pour les 16-30 ans autour du poème de Jean Debruynne intitulé « Le temps de vivre »

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Le prix Jean Debruynne a pour but de faire émerger de nouveaux talents et leurs créations. Ce prix est organisé par l’association « En blanc dans le texte » qui récompense et promeut des œuvres dont la qualité et l’esprit sont proches de ceux de Jean Debruynne, poète, auteur, artiste, homme de foi, prêtre de la Mission de France.

Si ce prix vous inspire vous pouvez envoyer vos textes et chansons à  :

[->http://www.ebdt.fr]

Inscriptions et envoi avant le 30 avril 2012

SOURCE D’INSPIRATION: « LE TEMPS DE VIVRE »

Est-ce parce qu’il est trop rempli

Que le temps de vivre est en folie ?

Est-ce parce qu’il est trop plein à  craquer

D’agitation, de précipitation,

D’occasions manquées,

D’événements, d’énervements, de bavardages,

De bruits et de remue-ménage ?

Est-ce parce qu’il est trop rempli,

Que le temps de vivre nous paraît si vide ?

N’est-ce pas plutôt un bon prétexte pour nous cacher la peur,

Un bon alibi pour nous cacher le face-à -face,

Eviter d’avoir à  nous croiser nous-mêmes,

Fuir devant son ombre,

Eviter d’avoir avec soi un rendez-vous

N’est-ce pas plutôt parce qu’il est vide

Que le temps de vivre est si rempli ?

Jean Debruynne

Pieuvre de Valérie Canat de Chizy

La « pieuvre » a retenu dans le noir, le silence de la mer, celle que la surdité a isolée du monde dès l’enfance. Dans un récit sobre et poignant, Valérie Canat de Chizy décrit en de courts chapitres la solitude douloureuse que lui a réservée ce monstre : « La pieuvre me hante. Elle occupe tout l’espace, me plaque contre ses tentacules, m’immobilise. »

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Dans cette bulle qui est prison, « les yeux s’écarquillent, agrandissent l’effroi des mots tus ». L’autre, si proche soit-il, est souvent vu comme un agresseur, un « prédateur potentiel ». Mais il arrive que cet espace apparemment hostile dévoile un endroit où se réfugier, hors de toute atteinte néfaste. C’est « l’antre du poème », qui laisse entrevoir la lumière, un lieu où le désir d’aller vers le monde grandit et fait grandir, où il est possible de « bâtir une passerelle entre le dedans et le dehors », où trouver un apaisement.
Les passerelles sont de plus en plus nombreuses, comme le révèlent les livres de poésie déjà  publiés par Valérie Canat de Chizy, qui avoue : « Parfois mon ciel s’illumine et déverse une pluie d’étoiles ».


Un témoignage d’une grande force, dérangeant, intense.

Marie-Ange Sebasti

C’est à  dire de Franck VENAILLE

Franck Venaille, né en 1936, nous offre le 34ème recueil d’un œuvre poétique majeure de notre époque,-signalons La guerre d’Algérie (1978), La tentation de la sainteté (1985), La descente de l’Escaut (1995). Nombreux prix, dont celui de l’Académie française en 2011.

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Ressurgit l’enfance du poète, enrégimentée, bafouée :
« Je/ m’étais habitué à  cette ceinture de crin/ qui emprisonnait mon corps »
Mal de vivre qui persiste, et que n’effacent ni l’amour charnel, ni le charme de la Flandre et de la mer du Nord.
Fluidité, structure, musique, un acharné travail de la langue : rythmes lents ou hachés, textes en prose, onomatopées, mises en page et typographie travaillées.
Une matière riche, fortement expressive vient nous chercher dans notre part pulsionnelle et émotionnelle. Ce qui résonne avec l’enfance, la maladie, la barbarie, la déchéance, le poète nous le transmet sans détour, avec sarcasme et ironie. Et cela chante, malgré tout !
« J’étais un homme aimant et fragile/j’étais celui-là / fuyant l’ancien enfant demeuré en lui. »
Cette œuvre transmet l’écho des voix de Jules Laforgue, Maurice Maeterlinck, Pierre Jean Jouve, Rainer Maria Rilke.
Voici ce que dit Franck Venaille de sa poésie :
« Ne jamais se compromettre avec les facilités offertes par le langage Je suis de l’écriture. Dans l’écriture. C’est mon seul bien »

Geneviève VIDAL

Franck VENAILLE C’est à  dire Mercure de France 2012 Poésie (169 p.)

La voie nomade et autres poèmes

Anne Perrier, née à  Lausanne en 1922, vient de recevoir à  Paris le Grand prix national de la poésie, une belle reconnaissance de la place qui lui revient au cœur de la poésie francophone.

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Les lecteurs français ont accès depuis 1996 au recueil de ses œuvres complètes, réédité en 2008 sous le titre La voie nomade et autres poèmes. Gérard Bocholier, qui le préface, confie son « éblouissement » devant cette œuvre qui veut être « une seule note, un seul chant d’oiseau », rêvant « d’épouser le monde entier au point de devenir le pur Amour, dont les battements mêmes seraient poème ».

S’il est au monde une souffrance
Je suis en elle
(Le petit pré)

Pour Philippe Jaccottet, depuis longtemps attentif à  sa poésie, Anne Perrier est « quelqu’un qui écoute, un peu à  l’écart du monde, ce que le plus pur du monde, à  voix basse, dicte à  son cœur » (Une transaction secrète, lectures de poésie, 1987).

Ce monde, écoutons-le à  notre tour par l’intermédiaire de cette voix limpide qui chemine, dans l’humilité et l’exigence, dans la douceur et la révolte, sur la « voie nomade » qu’elle a choisie et qu’elle nous propose d’emprunter :

Ce n’est pas l’ombre que je cherche
Ni l’humble signe
De la halte sous les palmiers
Tranquilles ni l’eau ni l’ange
Gardien d’oasis
Je cherche le chemin qui dure
Toujours toujours toujours

(La voie nomade)

Anne Perrier, La voie nomade et autres poèmes : œuvres complètes 1952-2007, préface de Gérard Bocholier, L’Escampette Éditions, 2008, 23 €.

Marie-Ange Sebasti