de William Vega
Colombie/Mexique/France, 2012, 1h34
Festival de Cannes 2012, sélection Quinzaine des réalisateurs.
Sortie en France le 24 avril 2013.
avec Joghis Seydun Arias, Julio Cesar Robles, Floralba Achicanoy, David Guacas, Heraldo Romero.
Avec un film grave et silencieux, remarquablement construit, le jeune réalisateur colombien William Vega dénonce la violence de son pays, tout en affirmant l’importance de l’art comme espérance pour les plus démunis.
Un film envoutant où tout, le lieu, les acteurs, le ton, la qualité de la photo nous font vivre une expérience particulière où ressort l’essence même de notre humanité. La première image nous montre un paysage lacustre, où l’humidité du ciel se reflète dans la surface grise de l’eau et dans la démarche épuisée d’une jeune fille silencieuse. Elle s’effondre dans un froissement d’herbes.
C’est la Colombie, un pays ravagé par les guerres civiles. Les parents d’Alicia sont morts dans le saccage de leur village et elle s’est enfuie à pieds pour se réfugier chez Don Oscar, un oncle qu’elle connaît à peine. Il habite une grande maison délabrée au bord de la lagune. C’est un pêcheur, un homme peu loquace que l’arrivé d’Alicia dérange.
La Sirga est le nom de cette bâtisse de bois dont le toit laisse passer le vent et la pluie, dont les plancher s’effondrent et que Don Oscar veut transformer en auberge pour accueillir les touristes. Elle est à l’image de la Colombie, toujours en réparation, toujours au bord de la ruine, en proie aux violences quotidiennes. Les deux femmes chargées de l’entretenir et de l’embellir ont beau faire et réussir à lui donner un air pimpant, on sait bien qu’aucun touriste ne viendra par ici.
Le réalisateur William Vega a voulu dénoncer la violence de son pays sans la montrer. La guerre reste un murmure, une inquiétude invisible, une menace constante. Elle est la tristesse d’Alicia et la peur qui la jette hors du lit chaque nuit. Cette guerre si présente est un poids silencieux et oppressant pour tous les habitants de la lagune. Un mystère qui met de la distance entre tous. Ici, on se vouvoie même en famille, on ne se touche pas et la joie est absente.
Pourtant, même noyée sous les pluies incessantes et baignée d’une lueur grise, cette lagune est un lieu étonnant. Non pas désespérant mais chargé d’une énergie qu’on sent prête à jaillir, quasi spirituelle. Mystérieuse, envoutante. Elle est d’ailleurs le domaine de Gabriel, cet ange gardien sauveur d’Alicia, le seul être capable de rire et de faire des projets d’avenir. Quand il n’est pas entrain de sillonner le lac sur sa barque, pour des courses dont on ne saura rien, il sculpte une petite figurine en bois, qu’il appelle Eva et offre à Alicia. C’est lui aussi qui sort Alicia de la maison pour une promenade de l’autre côté de la lagune, à Santa Lucia, un endroit si beau qu’on a « l’impression d’y voir Dieu ». Dans le chaos d’un pays déchiré par les armes, les menaces et la pauvreté, la beauté reste une évasion, une consolation et une espérance.
Pour ce premier long-métrage, William Vega a participé au programme d’aide à la réalisation, Cinéma en construction. Deux fois par an, au Festival de San Sebastian en Espagne et aux Rencontres des cinémas d’Amérique latine de Toulouse en France, des professionnels du cinéma se réunissent pour aider des films, venant du continent sud-américain, en phase de post-production et de distribution. La Sirga a remporté le prix Cinéma en construction à Toulouse en 2011. Il a ensuite été sélectionné dans plusieurs festivals, dont Cannes à la Quinzaine des réalisateurs.
Magali Van Reeth
Signis