de Cristian Mungui
Roumanie, 2012, 2h30
Festival de Cannes 2012, sélection officielle, prix du scénario et prix d’interprétation féminine pour Cristina Flutur.
Sortie en France le 21 novembre 2012.
avec Cosmina Stratan, Cristina Flutur, Valeriu Andriauta.
Un film aussi rude que beau, qui questionne la place du religieux dans les sociétés contemporaines.
Le réalisateur roumain Cristian Mingui a reçu la palme d’or au Festival de Cannes en 2007 pour le film 4 mois, 3 semaines, 2 jours. A travers le parcours douloureux de deux jeunes femmes face à une maternité non désirée, il dénonçait le manque de liberté et l’absence de repères dans une société étouffante. Dans Au-delà des collines, deux jeunes femmes sont à nouveau les protagonistes mais cette fois c’est dans la religion qu’elles se débattent.
C’est d’abord un enchantement pour les yeux, un film très visuel, très graphique. L’opposition entre les grandes robes noires des membres de la communauté et la neige blanche de l’hiver ; l’opposition entre l’espace intérieur de la salle commune, de la chapelle et celui, si vaste des collines environnantes ; l’opposition entre le calme de la prière et de la méditation et le brouhaha de la ville. C’est un film très beau, dont les images impressionnent fortement, longtemps après la fin de la projection. Et cette esthétique, ce souci de la forme, est au service de l’histoire.
Alina et Voichita sont deux amies d’enfance, une enfance vécue dans un orphelinat. Alina vit et travaille en Allemagne depuis quelques années et revient en Roumanie pour ramener avec elle Voichita, qui vit dans une petite communauté religieuse. Dès les premières scènes, on comprend que l’attente n’est pas la même pour les deux amies. La suite est un long cheminement de l’une vers l’autre, une évaluation de ce qu’il y à perdre et à gagner, des décisions difficiles à prendre, de la manipulation, de la séduction, du renoncement. Le film prend le temps d’entrer dans toutes les nuances et les subtilités qui entrent dans cette relation autrefois fusionnelle et qui changent aujourd’hui la donne. Il déroule avec douceur une violente incompréhension qui sera fatale pour tous.
Au-delà des collines se déroule dans une petite communauté de l’église orthodoxe roumaine, communauté essentiellement féminine sauf son chef, un homme bien sûr. Dès le début du film, nous savons que le diocèse ne reconnaît pas cette communauté. Et qu’elle s’apparente plus à une secte où les autres femmes, la plupart jeunes et déchirées par une vie antérieure, appellent les responsables de la communauté « papa » et « maman ». Mais c’est justement ce qui nous permet de comprendre pourquoi, dans un contexte économique extrêmement précaire, des femmes acceptent de renoncer à une vie ordinaire en échange d’une réelle affection, d’une protection, d’un projet commun et d’un confort matériel supérieur à ce qu’elles ont connu.
Leur foi cependant est réelle et c’est sans doute ce qui étonne le plus Alina. Lorsqu’elle sent que Voichita se donne à Dieu, comme d’autres se donnent dans l’amour humain, c’est elle qui se met à douter. L’issue tragique que Cristian Mungui donne à son film ne doit pas faire peur aux croyants. S’il dénonce, avec raison, les dérives sectaires de certains groupes religieux, il dénonce aussi les situations économiques et spirituelles qui les rendent possibles. Lorsqu’une société fait l’impasse sur le religieux, ou le marginalise dans des rites dépourvus de sens, que reste-il comme espérance et comme aspiration vers l’au-delà ?
Magali Van Reeth
Signis
En complément, voici la note d’intention du réalisateur Cristian Mungui, qui accompagne le dossier de presse de présentation du film :
Au-delà des collines est avant tout pour moi un film sur l’amour et le libre arbitre ; principalement sur la façon dont l’amour peut rapprocher les concepts de Bien et de Mal. La plupart des plus grandes erreurs de ce monde furent commises au nom de la foi et avec la conviction absolue qu’elles servaient une bonne cause.
Au-delà des collines parle également d’une certaine façon de vivre la religion. à‡a m’a toujours intéressé d’observer l’attention que mettent les croyants à respecter les règles et les interdits alors qu’ils appliquent si peu l’essence et la sagesse du christianisme à leur vie de tous les jours.
En travaillant sur le film, j’ai lu avec attention la liste des péchés référencés par l’Église orthodoxe. Il y en a beaucoup (464!) et quand on les lit, il n’y a plus de question à se poser. Pourtant, il y a un péché qui n’est pas dans la liste et qui est de loin le sujet dont je voulais le plus parler dans le film : le péché d’indifférence. Ou peut-être n’est-ce pas un péché s’il n’est pas dans la liste. Mais alors qu’est-ce que c’est? Est-ce dangereux ou pas? Le film parle aussi des différentes façons dont le Mal peut manipuler les gens et des formes subtiles sous lesquelles il peut se manifester. Je me demande si l’indifférence n’est pas l’une d’elle…
Avant tout, Au-delà des collines veut parler des options et des choix de vie qui résultent de l’éducation ou du manque d’éducation et à quel point de nombreuses choses dans la vie dérivent d’éléments sur lesquels nous n’avons pas prise, dont nous ne sommes pas responsables. Comme par exemple notre lieu de naissance, nos parents et notre communauté.
Le film parle aussi d’une région du monde où – comme bien d’autres – une longue exposition à une série infinie de malheurs et d’atrocités de toutes sortes transforme les gens, les rend inertes et incapables de réagir à des signaux évidents. Ce n’est pas nécessairement leur faute – c’est simplement l’instinct de survie. Mais c’est vécu comme un fardeau pour les gens qui y survivent !