Le désespoir n’existe pas

Le désespoir n’existe pas de Zéno BIANU, aux éditions Gallimard (216p)

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Comment un poète parle-t-il du désespoir ? Le conjure-t-il par la force du verbe ?
Zéno Bianu (né en 1950 à  Paris, de père roumain et de mère française), auteur d’ une œuvre multiforme (théâtre, poésie, essais) .
Portée par l’inspiration, le souffle et le rythme, l’écriture nous emporte dans de somptueuses images ; généreuse, elle nous associe à  son alchimie (transformer la boue du désespoir en or de la force de vie).
Nous parcourons le livre en 10 parties : Rituel d’amplification, Premières étoiles, Entrée des adeptes bouleversés, Le monde est un arbre, Poème des degrés (Kaddish pour Paul Celan), Trois exorcismes, Exercice d’aimantation, Le geste juste, Gardiens du fleuve, Un sourire sous la cendre.
Voisinage des poètes (Antonin Artaud, Emily Dickinson, Aimé Césaire), des peintres (Yves Klein, Matta) , du jazz (Chet Baker, John Coltrane).
Au carrefour de sources multiples ( surréalisme, lyrisme) Zéno Bianu pratique l’écriture comme un rituel de dépassement :
un miracle inouï / sous le soleil de la conscience (p.11)
dont l’image de l’Arbre dit la croissance vers la lumière :
frères arbres / attentifs à  la descente du bleu (p.87)
Embrasser le vaste monde, ne pas se dérober à  sa nuit, consentir à  la dépossession :
La parole ne t’appartient pas/blessure/blessure/d’un dieu en exil (p.99)
Célébrer l’amour, chanter les mille formes de la femme-déesse indienne :
tu avances dans les rues / comme si tu tournais
/autour des limites du monde (p.149)

A lire comme une danse, un vertige, une ivresse, une vision Peut s’ouvrir au hasard, se savourer par poème, fragment, partie.
Et peut-être se laisser guider par la maxime :
Permute à  l’infini / Vibre dans l’impalpable (p. 269)

Geneviève Vidal

Jean Martin, les années expressives au Musée des Beaux-Arts

Une Exposition-dossier, du 3 mars au 4 juin 2012

au Musée des Beaux Arts à  Lyon…

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Le choix d’œuvres du peintre lyonnais Jean Martin, tableaux et dessins, réalisées entre les deux guerres, sous l’occupation permet de découvrir le parcours d’un autodidacte fortement marqué par les primitifs allemands et expressionnisme belge contemporain.

Ses figures réalistes et solides peintes dans une pâte émaillée illustrent les débats qui animèrent le monde de l’art autour de la question du réalisme dans les années trente. Parallèlement, une suite de nus féminins dessinés en 1940 pour la revue L’Arbalète témoigne des qualités graphiques de celui qui fut à  Lyon l’ami de Marc Barbezat et de Marcel Michaud.

en savoir plus : [->http://www.mba-lyon.fr/mba/sections/fr/expositions-musee/actualite/actualites-expositio/mba/sections/fr/expositions-musee/exposition-dossier/jean-martin]

Petite biographie.
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Fils d’ouvrier, Jean Martin est né à  Lyon, dans le quartier industriel de Vaise, en 1911. Artiste autodidacte, il s’initie à  la peinture auprès du peintre Lucien Féchant, sociétaire du salon du Sud-Est, et se lie à  ses débuts avec le peintre Jean Couty et le sculpteur Georges Salendre, avec lesquels il expose à  partir de 1935 à  la galerie du décorateur André Sornay, rue Paul Chenavard, non loin du musée des Beaux-Arts.
Dès 1933, il participe au salon d’Automne où son envoi est salué par le poète, critique et galeriste Marcel Michaud, puis expose annuellement au salon du Sud-Est à  partir de l’année suivante. Durant les années 1930, il développe une peinture réaliste et sociale marquée par les peintres du 16e siècle allemand, particulièrement Grà¼newald, ainsi qu’en témoigne Le Crucifié (1937).
Une autre ascendance revendiquée par l’artiste est celle de l’expressionnisme allemand contemporain sous ses formes les plus diverses. Ainsi, Les Aveugles sont-ils associés par la critique au ballet politique La Table verte (1932), création du chorégraphe allemand Kurt Jooss, joué à  Lyon au théâtre des Célestins en mai 1937 ; ou encore, à  l’atmosphère inquiétante du film Nosferatu de Friedrich Wilhelm Murnau (1922). Jean Martin se révèle tout aussi attentif à  l’expressionnisme flamand contemporain du groupe de Laethem-Saint-Martin, découvert au musée de Grenoble à  la faveur de l’exposition L’Art belge, organisée par Andry-Farcy en 1927.
En 1933, sa rencontre avec Marcel Michaud est déterminante et marque le début d’une profonde amitié.
Au salon des Indépendants de 1938, le critique Henri Héraut, fondateur du groupe Forces Nouvelles, retient le tableau Les Aveugles pour la seconde exposition du groupe Nouvelle Génération qu’il organise à  Paris à  la galerie Billiet-Vorms, en marge des débats autour de la querelle du réalisme, et à  laquelle contribuent les peintres Georges Rohner, Robert Humblot, Francis Gruber ou encore le sculpteur Germaine Richier.
Sous l’Occupation, Martin expose régulièrement à  Lyon à  la galerie Folklore, puis à  Marseille à  la galerie Jouvène, alors animée par le marchand parisien Jacques Tedesco. Dans ces années-là , Jean Martin parvient à  une maîtrise picturale d’une rare expressivité plastique, qui suscite l’admiration de nombreux critiques.
En 1940, il collabore aux côtés de l’éditeur Marc Barbezat à  la naissance de la revue L’Arbalète, dont il dessine la première de couverture et dans laquelle seront publiés les premiers textes de Jean Genet, de Jean Wahl ou de René Tavernier.
En 1943, Barbezat crée, à  la suite de la revue, les Éditions de L’Arbalète dont la première publication est le recueil Dessins par Jean Martin, suivi en 1945 de la première édition de Chants secrets de Genet.
Entre 1945 et 1947, Martin expose annuellement à  Paris chez Katia Granoff, rencontrée lors de son exil lyonnais.
Installé à  Paris à  partir de 1946, il produit de nombreux décors et costumes pour le théâtre, notamment pour les compagnies de Raymond Hermentier, de Jean-Marie Serreau et de Louis Jouvet. En 1952, il fonde avec son épouse, Rosette, la galerie Art & Tradition Chrétienne, rue Saint-Sulpice, participant activement au renouveau de l’art sacré, auquel la Reconstruction donnera une forte impulsion. Dès lors, l’artiste voue sa prédilection à  l’intemporalité médiévale, créant des images fortement empreintes d’idéalisme roman et byzantin, à  la faveur de la redécouverte de la peinture à  la tempera auprès de maîtres orientaux.
Jean-Christophe Stuccilli

La Taupe

de Tomas Alfredson

Royaume-Uni/France/Allemagne, 2011, 2h07

Sélection officielle Venise 2011.

Sortie en France le 8 février 2012.

avec Gary Oldman, Colin Firth, Mark Strong, John Hurt.

Un grand classique des romans d’espionnage, porté à  l’écran dans une ambiance surannée et ample, qui pourra séduire les plus réticents au genre, de part sa forme cinématographique.

On peut classer les cinéphiles en deux catégories : les amateurs de films d’espionnage, capables de suivre les intrigues les plus compliquées et de savoir, en temps réel, « qui travaille pour qui » (le fondement même du roman d’espionnage). Puis les autres, comme moi, qui dans le premier quart d’heure du film ont déjà  perdu pied et ne comprennent ni l’objet de la quête ni « qui travaille pour qui » Ceux là  trouveront de quoi se régaler les yeux dans La Taupe qui déroule 2 heures durant une envoûtante atmosphère. taupe2.jpg

Inspiré du célèbre roman éponyme de John Le Carré, paru en 1974, La Taupe nous plonge dans les années de la Guerre froide en Europe. Une Europe coupée en deux entre l’est et l’ouest, le capitalisme triomphant et la surconsommation à  l’ouest, le communisme austère et les disettes à  l’est. A Londres, les agents secrets roulent en DS et ont la mine défraîchi des quinquagénaires revenus de tout, rien à  voir à  James Bond. A l’est, dans une architecture à  la munificence surannée, on meurt pour des idées.

Le réalisateur Tomas Alferdson a opté pour une opposition entre une caméra fluide et très mobile, et des personnages en apparence figés dans leurs amples pardessus et leur mutisme opaque. Sans doute pour renforcer la capacité des « taupes » à  changer de camp, l’imminence de la fin d’une époque et célébrer la vie politique lorsqu’elle n’était pas encore soumise à  la dictature des banques. Dans des tons sépia, où la fumée des cigarettes, les gros téléphones et les meubles en formica étaient un signe de modernité, les espions semblent n’avoir d’autres missions que de se surveiller mutuellement.taupe4.jpg

Les personnages, interprétés avec une chaleureuse retenue par Gary Oldman, Colin Firth, Mark Strong et John Hurt, savent qu’ils jouent une partie d’échec où la victoire n’est que temporaire. Pudiques, discrets et peu bavards, ils nous touchent par leur soudaine humanité (chagrin d’amour, regrets) ou dans une scène surprenante, comme celle de la fête de Noël où le chant entonné par tous est assez décoiffant !taupe3.jpg

Déroutant et envoûtant, La Taupe est un voyage dans une Europe et un temps qui n’existent plus et qui, sans être trop mélancolique, peut aussi séduire ceux qui n’aiment pas les films d’espionnage !

Magali Van Reeth

Signis

Zarafa

de Rémi Bezançon et Jean-Christophe Lie

France, 2009, 1h18

Sortie en France le 8 février 2012.

film d’animation, à  partir de 5 ans.

Le voyage extraordinaire d’une girafe entre l’Afrique et la France, avec ses compagnons d’équipée : une belle aventure dans un très beau graphisme.

L’histoire de cette girafe qui part d’Afrique pour arriver à  Paris, après un voyage forcément extraordinaire, est en partie vraie. En 1826, le pacha de la ville d’Alexandrie en Egypte, dont la souveraineté est menacée par les Turcs, décide d’alerter les souverains européens. Il décide d’offrir une girafe au roi de France, d’Autriche et d’Angleterre, pour solliciter leur aide. Une seule girafe arrivera à  destination, celle pour le roi de France. Et cela grâce au naturaliste Etienne Geoffroy de Saint-Hilaire qui a scientifiquement préparé son voyage. Les girafes « anglaise et autrichienne » mourront avant d’arriver à  leur destination.zarafa4.jpg

Capturée au Soudan alors qu’elle n’a que quelques semaines, la girafe voyage avec trois vaches qui lui fourniront du lait tout au long du voyage. Arrivée à  Marseille à  l’automne, on attend les beaux jours pour faire la route jusqu’à  Paris. Son voyage, sous la surveillance attentive d’Etienne Geoffroy de Saint-Hilaire, est un triomphe et les gens se pressent en masse pour découvrir cet animal étrange. A Paris, le roi Charles X la regarde à  peine et ne s’émeut pas du tout sur le sort du pacha d’Alexandrie La girafe devient l’attraction du Museum d’histoire naturelle, où elle passe le reste de sa vie.zarafa5.jpg

Le réalisateur Rémi Bezançon (Le Premier jour du reste de ta vie) s’est emparé avec enthousiasme de cette histoire déjà  rocambolesque en soi et y a ajouté ce qu’il faut de fiction et de piment pour en faire un beau film d’aventure. Un petit garçon, Maki, fait le voyage avec Zarafa et lui aussi découvre un autre monde au fur et à  mesure que l’expédition remonte vers le Nord. Avec lui, un guerrier sombre mais protecteur, un savant rondouillard et bonhomme, deux vaches laitières et beaucoup de rencontres pittoresques en chemin.zarafa2.jpg

Les voix de la version française sont particulièrement réussies et on reste longtemps sous le charme de celle de Simon Abkarian Un joli film pour toute la famille et les enfants à  partir de 5 ans. Qui montre aussi que la qualité n’a pas besoin de la technologie 3D pour émerveiller.

Magali Van Reeth

Signis

Opium Poppy : l’Afganistan à  nouveau…

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Opium Poppy de Hubert HADDAD éd. Zulma 2011 (Roman, 171 p.)

L‘Afghanistan à  nouveau Après Yasmina Khadra, Khaled Hosseini, Atiq Rahimi et James Meek, nous arrive ce récit beau comme un poème, déchirant comme un attentat, de la plume de Hubert Haddad (né en Tunisie en 1947), autant romancier que poète (son roman précédent Palestine, 2008, Prix Renaudot Poche, Prix des 5 continents de la francophonie).
Un jeune garçon, Alam, issu d’une famille de bergers des montagnes, est emporté par le maelstrom de la guerre. Une inconcevable succession de drames l’emporte, -épisode particulièrement frappant de son enrôlement dans la bande d’un chef taliban, avec son dénouement tragique-. Le voici enfant vagabond, livré à  la jungle de la survie. Puis c’est l’arrivée à  Paris après un transit clandestin à  travers l’Asie mineure.
De centres d’accueil en squats, Alam se met sous la protection d’un petit caïd kosovar. Trafic de drogues et d’armes, et la jeune Poppy, droguée au dernier degré.

Un livre qui parle du cœur de la souffrance d’un innocent ; récit d’armes, de sang, d’exil, d’amour (pour Madadai à  Kaboul, puis Poppy ) conduit par une écriture somptueuse, qui magnifie l’enfant sans céder au pathos. Une apocalypse traversée de splendeur.


A mettre entre toutes les mains.

Geneviève Vidal

« Hubert Haddad prend à  bras-le-corps le réel de son temps dans ce qu’il a de pire, de plus barbare, et en tire un grand livre. De ceux qui font réfléchir et, peut-être, rendent meilleurs leurs lecteurs. Il est évident que l’on n’oubliera jamais le héros d’Opium Poppy

. »
Jean-Claude Perrier, Livres Hebdo

Octogone : Jean-Paul Prat en concert

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Octogone mercredi 14 mars à  20 h 30, salle Witkowski 18 quai de Bondy Lyon 5ème

Jean-Paul PRAT, musicien, compose de la musique instrumentale depuis l’âge de 18 ans.
Après avoir créé le groupe « Masal » en 1973, enregistré plusieurs albums, l’année 2011 voit la naissance simultanée d’un album de piano solo « desnudo » et du projet « Octogone ».

Le concert :

« Huit morceaux (dont 3 tryptiques) d’une musique riche mais sans artifices, une musique qui pourrait ressembler à  la peinture de Rothko.
Elle coule, pauvre et pleine, parfois torrent rugissant parfois source limpide, elle invite au voyage, à  la découverte.
Venue sans doute des profondeurs, elle nous emporte et nous ramène en notre lieu ».
JPPrat

« Le tableau doit être un miracle… une révèlation, la satisfaction inattendue et sans pécédent d’un besoin depuis toujours familier ». Rothko.

En savoir plus :

[->www.facebook.com/octogone.piano]

Une Bouteille à  la mer

de Thierry Binisti

Israël/France, 2010, 1h39

Sortie en France le 8 février 2012.

avec Agathe Bonnitzer, Mahmud Shalabi.

La complexité de la violence entre Palestine et Israël racontée à  travers le parcours de deux jeunes gens qui sont voisins mais ne peuvent légalement se rencontrer.

Ce petit film a l’immense mérite d’essayer de faire la part des choses dans une région du monde où il est difficile de ne pas prendre parti. Tal est une jeune lycéenne française dont la famille vient de s’installer en Israël. Pendant que son père exulte d’être enfin là  où il doit être, Tal découvre un nouveau monde, parfois de façon traumatisante. Voulant comprendre le pourquoi de la violence, elle écrit à  un jeune Palestinien imaginaire et envoie une « bouteille à  la mer » puisqu’il n’y a pas de possibilité d’échanges entre Gaza et Israël. Et reçoit la réponse de « Gazaman », avec qui elle commence à  correspondre.bouteille2.jpg

Adapté d’un roman de Valérie Zenatti, le film tente de donner deux points de vue. Non pas ceux tranchés d’un personnage politique ou d’un engagement murement réfléchi mais celui d’une adolescente qui perçoit avec beaucoup de naïveté le monde extérieur, elle-même en plein bouleversement dans une région chahutée par l’Histoire et la violence ; et celui de Naïm, guère plus âgé mais qui sait déjà  que s’il veut vivre chez lui, ce sera derrière un mur et sans aucun espoir.bouteille1.jpg

Loin de tomber dans l’angélisme d’une réconciliation à  tout prix, le réalisateur Thierry Binisti, pour son premier long-métrage, nous surprend plusieurs fois et nous captive jusqu’à  la dernière scène. Les difficultés de faire correspondre deux personnes qui ne peuvent jamais être dans un même lieu sont surmontées sans lourdeur. La tension monte sans à -coups et le spectateur s’implique sans réticence dans la « course poursuite » finale. Traversé par la présence lumineuse de l’actrice Agathe Bonitzer et celle envoutante de Mahmud Shalabi, Une Bouteille à  la mer est un intelligent rayon de soleil sur une région qui en est tant dépourvue.

Magali Van Reeth

Signis

Le Grand Inquisiteur au théâtre des clochards célestes

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Au Théâtre des Clochards Célestes, un collectif de comédiens : »La Meute », issus du conservatoire propose un spectacle qu’il faut absolument aller voir, et dont le théâtre de la Croix Rousse , avait, il y a quelques jours assuré les « premières » ,par un coup de pouce à  une jeune compagnie. L’essai a été transformé en succès , et le « boucheoreille »,pour reprendre une expression de Paul Valery devrait remplir chaque soir jusqu’au 17 février le petit théâtre de la 51 Rue des Tables Claudiennes.

De quoi s’agit-il ?

 d’un texte très fort de Dostoïevski, du chapitre 5 des « Frères Karamazov »,et où Ivan ,l’athée expose à  Aliocha, son frère religieux, le drame de la condition humaine qui est au centre du questionnement angoissé de Dostoïevski :le malheur de l’homme repose sur sa liberté .Il est tiraillé entre le bien et le mal. Pourquoi le Christ n’a-t-il pas pour le bonheur de l’homme cédé aux trois tentations de Satan ,dans le désert ,en lui apportant nourriture, éclaircissement du mystère de la vie ,et autorité pour le guider ! Face aux drames de l’humanité soumise au Mal, la réponse du Christ : »Mon Royaume n’est pas de ce monde » laisse la place aux faux prophètes , qui ,tout en prenant l’habit de la religion, serviront justement le diable ,en instituant une autorité « totalitaire » ,par la manipulation des hommes ,qui privés de leur liberté et de leur angoisse existentielle « mourront paisiblement ,et ne trouveront dans l’au-delà  que la mort » .Pour illustrer son propos ,Ivan choisit de rapporter ,sous forme d’un conte philosophique, d’un poème, la Légende du Grand Inquisiteur .Nous sommes à  Séville ,au 16ème siècle ,et alors que le Cardinal multiplie les bûchers pour les « hérétiques »,le Christ revient sur terre ,se mêle à  la foule plein de tendresse et de compassion. Il est rapidement arrêté et mis en prison ,avec face au silence du Christ les invectives du Cardinal : »Pourquoi es-tu venu nous déranger ? ».

 Texte très fort ,mais aussi très beau ,dans une traduction d’André Marckiewitz , adaptée pour un seul personnage en scène ,avec un prologue qui a des accents rimbaldiens. Une mise en scène très sobre au service du texte ,signée Thierry Jolivet et où le souffle d’Artaud est perceptible au début .Un personnage unique sur scène ,qui porte le récit ,avec une immobilité contenue qui laisse place à  l’imagination de chacun qui peut s’accrocher à  la fois à  une composition qui rappelle la création blasphématoire de Damien Hirst qui a fait couler beaucoup d’encre ,et une statue de la Vierge ,on ne peut plus classique .Le Christ de dos, muet est représentée par une comédienne .Chacun peut y aller de son interprétation

 Au total ,un spectacle d’une grande actualité ,parce que justement prenant appui sur une interrogation vieille comme le monde ,reprise par Camus dans son discours pour le Prix Nobel ,et que chacun ,comme le poète Rictus ,dans les « Soliloques du Pauvre »,a si bien formulé : »Si qu’y reviendrait , le trimardeur cananèen, dis, si qu’y reviendrait »

Hugues Rousset

En savoir plus :[-> http://www.clochardscelestes.com/]

Christophe Guery : « Au fil de l’eau » à  Confluences Polycarpe

« La photo est pour moi histoire d’émotions. Celles qui me traversent en permanence, celles qui s’incrustent dans ma tête et tournent en mots (en maux aussi), en lumières
Le contre-jour me va bien aussi.
Il me faut de l’espace, du silence, pour voir, sentir, ressentir et cet espace, ce silence irriguent ma photo.

De l’eau, j’aime l’immensité, l’infini du regard devant l’océan, les eaux qui jaillissent, le temps suspendu et toujours renouvelé, le silence bruyant, le vide habité. »
Christophe GUERY

Confluence Polycarpe 25 rue René Leynaud Lyon 1er

du jeudi 1er mars au samedi 24 mars 2012

vernissage le jeudi 1er mars à  18 h

ouverture les jeudi, vendredi et samedi de 15h à  18

Sur la planche

de Leïla Kilani

Maroc/France/Allemagne, 2010, 1h46

Festival de Cannes 2011, Quinzaine des réalisateurs

Sortie en France le 1 février 2012.

avec Soufia Issami, Mouna Bahmad, Nouzha Akel.

Un film marocain, portrait plein d’énergie d’une jeunesse qui lutte pour sortir des carcans traditionnels et économiques, en déséquilibre permanent.

« Bouge ! » A l’heure où les printemps arabes secouent une partie du monde, Leïla Kilani, réalisatrice marocaine, met en scène une jeune femme qui, loin des débats politiques, a une façon bien à  elle de prendre sa vie en main. Badia, 20ans et apparemment sans attache, tente de survivre au quotidien à  Tanger. Tanger en ce début de 21ème siècle a perdu son aura romanesque en devenant zone franche entre l’Europe et le Maghreb. Lieu portuaire où se concentrent les industries occidentales qui embauchent majoritairement des femmes, plus fiables pour travailler le textile ou éplucher la crevette 8 heures par jour. planche2.jpg

Tanger est aussi le lieu où les hommes, immobiles et passifs, attendent un bateau vers l’Europe. Tournant résolument le dos à  leurs vies, à  leur pays. C’est ce contraste entre la passivité des hommes et l’énergie farouche, brute et déterminée des ouvrières envahissant la zone à  l’aube, qui a donné envie à  Leïla Kilani, jusqu’alors documentariste, de tourner cette fiction. Tanger est devenu le lieu de ceux qui ont quitté leur village et leur famille contre un salaire ou un rêve, où d’autres usages prévalent dans l’anonymat des rencontres.

« Bouge ! », Badia, « une crevette », semble ne connaître que ce verbe, comme si ce mouvement frénétique et perpétuel la rendait insaisissable par les forces obscures prêtes à  l’arrêter. Bouger, en déséquilibre permanent « sur la planche », celle qui peut vous faire couler à  pic ou rebondir ailleurs, Badia ne fait que ça. Le visage fermé, les poings serrés, elle ne relâche jamais la pression, ne se pose jamais. Pendant 1h45, on va respirer avec elle, bouger avec elle, toujours au bord de la chute, la mâchoire crispée sur sa détermination : ne pas s’arrêter. Dans son sillage, elle va entrainer avec elles d’autres jeunes femmes, jusqu’à  la cavalcade finale qui l’arrêtera pour de bon.planche4.jpg

Dans ce quotidien en accéléré et en souffrance, à  l’image de Badia, on a à  peine le temps de se demander ce qui la porte. Désir de s’en sortir, de s’enrichir, de s’affranchir ? Ne connaissant rien de la vie de Badia avant d’arriver à  Tanger, on imagine qu’elle va de l’avant pour ne pas que la misère la rattrape, un mariage arrangé ou une famille trop possessive. L’instinct de survie semble avoir remplacé toute idée de conscience ou de morale mais qui peut jeter la pierre à  ses filles que l’ordre économique a ravalée au rang d’esclaves ? Jusqu’au bout de cette trajectoire insensée, Badia nous happera, avec nos questions, et le mystère qu’elle porte bien emmuré sur son visage.

Sur la planche est un film qui brûle d’une énergie inhabituelle et montre la belle vitalité du cinéma marocain. Soufia Issami, l’actrice principale, lui apporte une aura exceptionnelle. Le film a été montré au dernier Festival de Cannes, dans la sélection de la Quinzaine des réalisateurs.

Magali Van Reeth

Signis