Saison 2024-25 au Théâtre du Point du Jour

Présentation de la saison 2024/25 lundi 16 septembre. Plutôt qu’un compte-rendu informationnel (toutes les précisions sont à retrouver sur le site du théâtre), on préfère ici faire part d’une impression, d’autant plus surprenante qu’après tout, on peut se demander comment et pourquoi on parvient à remplir une salle entière (et même à refuser beaucoup de ceux qui auraient voulu venir) pour regarder un catalogue promotionnel de spectacles !

Le projet du duo de direction, Eric Massé et Angélique Clairand, pour leur sixième année à la tête du théâtre, est militant : par le théâtre créer la rencontre en vue d’interroger nos modes de vie et préjugés. Le thème de l’année est ainsi formulé : « Il y a quelques cas où la fiction a changé le monde », emprunté à la romancière Alice Zeniter dont un texte sera adapté et mis en scène en mars. Quatre axes déclinent un appel aux changements : la place des femmes dans la société et la culture, la place des personnes, notamment artistes, en situation de handicap dans la société et la culture, les questions environnementales compte-tenu du changement climatique, la fragilité démocratique dans une Europe de plus en plus séduite par des idées fascisantes. Alors que certains déplorent l’effacement de la masculinité, le spectacle L’île aux pères, devrait permettre d’entendre une autre musique en janvier-février.

Renouveler les manières de penser, changer de manière d’agir, c’est ce qu’en langage chrétien notamment, on nomme conversion. Partant, la soirée de présentation de la saison peut être vécue comme une cérémonie pénitentielle. Non de celles où la componction et la tristesse morne plus ou moins empruntée l’emportent, où il s’agit de demander pardon, mais de celles qui exhortent, parénèse en acte, à une vie nouvelle. Les ingrédients de la scène : texte, corps, musiques, lumières, émotions, larmes et joie, sont ni plus ni moins efficaces que les prières et les gestes de la dévotion : sur le moment, on est convaincu d’avoir entendu un appel, respectivement, à la sainteté ou à une vie personnelle et sociale saine, assainie.

Ce serait la même fumisterie, la même comédie au sens le plus dépréciatif du terme, si les paroles sur les planches ou la célébration liturgique ne s’accompagnait du ferme propos de changer de vie. L’exhortation à la vie nouvelle, à quitter le vieil homme, peut ne pas être moralisatrice, culpabilisatrice. Elle peut même être légère, belle et gaie, sans rien perdre de sa gravité, son urgence, son exigence éthique.

Ces lignes suffiront, peut-on espérer, pour donner envie de se plonger dans la programmation et par sa présence, participation effective à tel ou tel spectacle, pour s’engager à changer le monde. Monde nouveau, terre nouvelle où fleurira la justice.

M. El Khatib, Mes parents

Théâtre de la Croix-Rousse, 14-16 mai 2024

Encore faut-il savoir regarder et écouter. Mohamed El Khatib propose des spectacles, des vues, des regards, des miroirs qui réfléchissent, pour réfléchir. Qui sommes-nous ? Que pensons-nous, de nous-mêmes, de nos parents, en tant que, même adultes, nous demeurons leurs enfants. De jeunes adultes, acteurs étudiants, ont composé et jouent des vignettes, plus arrêts sur image en effet qu’histoires : les manies des parents, leur métier, leurs émotions, leurs comportements, leur sexualité, des photos, des messages téléphoniques etc. Comme enfants, impossible d’en parler sans être partie prenante. De quoi d’ailleurs parle-t-on sans être partie prenante ?

Humour, tendresse, douleurs et blessures, pudeur, amour, ressentiment, distance ou complicité, un caléidoscope plus qu’un spectacle. Tous s’y retrouvent, au moins dans telle anecdote qui perd ainsi sa dimension seulement particulière et participe au récit sur nos familles. « Mes parents » et non Les parents. Parler des parents n’aurait pas été aussi pertinent ni capable de rassembler ce que beaucoup vivent avec ou contre leurs parents.

Où est la fiction, où est le reportage ou le matériau sociologique ? Que les parents qui envahissent la scène soient ceux des acteurs ou des acteurs, que les acteurs soient ceux qui ont composé le texte ou non, changent-il quelque chose à ce qui a été offert en spectacle ?

Un des grands moments est celui où est évoqué la sexualité des parents : les jeunes-adultes s’interrogent sur ce que, enfants, ils avaient perçu de la sexualité de leurs parents, ils se disent comment ils réagissent à penser leurs parents comme des être sexués, maintenant qu’ils savent ce qu’est une relation sexuelle. La tête des uns et des autres vaut mieux que bien des mots. Spectacle encore.

Lors de la représentation était présente une classe de troisième, et le spectacle était aussi dans la salle ; comment telle réplique, telle mimique, telle geste suscite les réactions, accroche ou provoque. Emotion garantie, et c’est aussi pour cela que l’on va au théâtre, au spectacle.

Texte disponible, Les solitaires intempestifs, Besançon 2022

S. Ulutaş Alopé, La langue de mon père

Théâtre de la Croix-Rousse, du 12 au 14 mars 2024

Pour trois jours, au Théâtre de la Croix-Rousse, Sultan Ulutaş Alopé interprète son texte, La langue de mon père. L’humour permet de traverser les moments les plus terribles, abandon, viol, coups. Le souvenir peut être aussi réconfortant qu’agressif. Le monologue où l’autrice raconte son exil, route biographique autant que géographique, s’adresse à son père, absent si souvent, trop, dont elle se décide à apprendre la langue.

Qu’est-ce qu’appartenir à une minorité innommable dans un pays ou prononcer son nom, être dénoncé par son accent peut être sources de vexations voire d’arrestation sous prétexte d’appartenance à un mouvement terroriste ? Qu’est-ce que dissimuler jusqu’à le haïr l’héritage du père, d’autant que ce dernier n’a pas fait grand-chose pour aimer et se laisser aimer ? Peut-on rejeter un héritage par refus de l’assumer ? Comment alors ne pas le haïr ? Comment ne pas avoir honte de le haïr ? Comment ne pas avoir honte d’en avoir eu honte ? Qu’est-ce qu’arriver dans un pays dit de liberté et patrie des droits de l’homme, lorsque, en attente de papiers, il n’est pas possible de travailler, de signer un bail, de vivre comme tout le monde ? Qu’est-ce que l’identité ? ce qui est reçu, même si l’on en ignore tout, ou ce que l’on choisit, ce qui est devant soi, que l’on ignore souvent autant ? « Alors, qui je suis ? « J’ai suffisamment d’identités pour exister et c’est mon existence qui m’intéresse. » »

A au moins trois instants dans le texte, alors qu’évidemment on est dans la narration, adresse au père, on entend autre chose. L’autrice dit ne pas avoir pensé à cela mais n’est pas gênée que chacun s’approprie son travail, au contraire. Ne s’agit-il pas « des versions différentes des histoires [qu’elle nous] racontai[t] ». Dans ce si particulier, l’histoire de cette femme, se joue un universel, l’histoire de ce que l’on appelle l’humanité, non pas un concept abstrait, mais chacun et tous, dans son existence la plus déterminée.

Ainsi, ces mots au père ne disent-ils pas ce qu’il en est de la vie avec et sans Dieu ? « Ton absence ne contenait pas de néant, rien à voir avec un vide, mais au contraire, elle avait son volume, son poids. Elle était remplie d’envies qui n’ont pas pu être réalisées. Elle pesait très lourd. » « En fait, ton absence, ça me brise le cœur. C’est comme ça. Ça s’est passé comme ça. Parfois, il n’y a plus rien à dire dans la vie. Notre histoire est comme cela. »

Ainsi, ce qui est dit de l’expérience de minorité ne vaudrait-il pas pour toutes, orientation sexuelle, handicap, etc. « Nous sommes deux de cette race « maudite » dans la classe, Salim et moi. Nous ne nous sommes jamais dit que nous sommes kurdes, mais nous le savons. Quand tu apprends bien comment te cacher, tu arrives à savoir qui d’autres à des choses à cacher. »

Ainsi enfin, à propos de l’ailleurs, El dorado. « Est-ce que moi, en arrivant en France, je pensais que tout irait bien ? Ma vie serait sauvée ? Sauvée de quoi ? J’ai une nouvelle pour toi, la vie n’est pas plus belle ici. » Une histoire de salut.

Le texte est disponible aux éditions L’espace d’un instant, 2022-2023

Richard II, TNP

Au TNP Villeurbanne, du 10 au 17 novembre.

L’exercice du pouvoir peut-il être bon ? Qu’est-ce qu’un bon pouvoir ? Celui qui décide et décharge les autres du poids des responsabilités, celui qui fait consensus (jamais unanime) et consulte ? Celui qui flatte les intérêts ou celui qui vise le bien commun quitte à se mettre tant de monde à dos ? Celui qui cherche la paix y compris contre les légitimes demandes de sanction des agresseurs ou celui qui place son pays comme une force qui dissuade de l’attaquer ? Où et comment trouver l’argent pour la politique ; il faut bien le prendre où il est !

Aristote pensait le politique comme usage de la parole pour écarter la violence, la canaliser du moins. Platon, constatant la condamnation inique par l’institution de justice du juste, n’était pas loin d’y voir qu’une comédie cynique.

Richard II, jeune monarque, suscite l’envie d’être remarqué comme son allié. Ce sera à qui sera le meilleur courtisan, quitte à médire des autres. Tous ces gens qui veulent le meilleur sont capables du pire. Le roi les juge selon ce pire seulement et les exile. Grisé par la puissance de ses décisions, il se croit capable de tout, ne tient pas compte des résistances à son pouvoir. Il fantasme le paradis où un Père jugerait avec justice dans un monde d’enfants obéissants de sorte que chaque conflit réglé serait comme n’ayant jamais existé.

La faute de Richard est sienne, mais aussi celle de chacun quand il se fait courtisan, servile volontaire, rendu sourd au bien commun par la seule quête de son intérêt personnel. La faute de son successeur sera de croire lui aussi à la possibilité d’un nouveau départ, page blanche, paradis sans héritage fautif. Gouverner c’est, depuis toujours, évoluer au milieu du mal, le moins injustement possible.

Shakespeare met en scène la tragi-comédie du pouvoir, cauchemar pour le gouvernant et les gouvernés. A part les questions propres à la démocratie, au rassemblement des suffrages, ses questions sont celles qui minent nos sociétés et tout groupe, y compris l’Eglise. Sont-ils donc tous pourris ? Ne pourrait-on que s’en remettre à un homme, une femme, providentiel (qui bien sûr n’existe pas) ?

Dieu est partout dans le texte, jusqu’à la caricature de prière où le ridicule ne tue pas ! Et pourtant, au XVIe comme on XXIe siècle, on n’a guère essayé de gouverner en servant. Est-ce à dire que l’on n’a pas la bonne idée de Dieu ou que l’enseignement de Jésus est impossible ? Lorsque Richard épouse autant qu’il y est contraint le renoncement, il ne gouverne plus…

Peut-être regrettera-t-on la rapidité à laquelle le texte est dit. La farce, la drôlerie au cœur du drame, si caractéristique du baroque, oblige à ne pas croire ce qui est raconté, à interroger l’histoire pour qu’elle ne soit pas un conte avant d’aller dormir. Micha Lescot, remarquable par la variété de son jeu trouve des partenaires à sa hauteur.

Un spectacle sur Marcel Godard

Une musique aux nombreuses demeures

Le service Arts, culture & foi a été informé de ce qu’un spectacle sur Marcel Godard, prêtre du diocèse de Lyon, musicien, longtemps maître de chapelle de la cathédrale, compositeur et acteur du renouveau liturgique serait donné à la crypte de la Basilique de Fourvière du 6 au 8 octobre.

L’ensemble Rhapsodia, bien connu, dirigé par Laurent Grégoire, assurera en direct la partie musicale. C’est gage de qualité.

Le crocodile trompeur / Didon et Enée

Molière du meilleur spectacle musical 2014, Le crocodile trompeur poursuit sa route et fait halte quelques jours au TNP (Villeurbanne). C’est jubilatoire et poétique, du théâtre, du mime, de la musique baroque, mais pas seulement, et peut-être pas d’abord qui devient ou provient du Jazz voire de la musique répétitive. La performance des acteurs est bluffante.

Comment un amour, une passion amoureuse peut-elle ne pas être une vie de bonheur et de jouissance ? Cela ne tient pas debout. C’est pourtant ce que raconte le Didon et Enée de Purcell (1659-1995). Incohérence pour incohérence, loufoque et surréaliste, allons-y pour creuser ce que le sérieux tragique ou le tragique pris au sérieux empêche de voir et d’entendre.

Le spectacle s’ouvre par un discours sur l’harmonie des sphères. Le ton est donné. Depuis l’Antiquité jusqu’au 17ème siècle, il dit la cohérence, le monde où tout prend sens, au point de faire oublier que cela ne marche. Tout est quiproquo. Comment se comprendre quand on s’appelle What ?
– « What is your name ? »
– « Wath » que l’interlocuteur bien sûr comprend comme une question « Wath ? »
Impossible d’en sortir. Vole en éclat la rationalité du monde.

De même, est-ce drame ou comédie, Enée dit rester mais part alors que Didon lui intime l’ordre de partir jusqu’à en mourrir. Que croire ? Que penser ? Où est l’harmonie des sphères, l’harmonie du macrocosme qui n’est autre que celle de la vie de chacun, microcosme ?

Hypocrisie du discours du divin, et de celui de l’harmonie ? Le livret de Purcell le dit :
« Ainsi sur les rives fatales du Nil pleure le crocodile trompeur.
Ainsi les hypocrites, coupables de meurtre, en rendent le ciel et les dieux responsables. »

Peut-être, quelques longueurs dont on s’étonne qu’elles n’aient pas été coupées depuis que le spectacle est donné. On finit, non pas dans l’hypocrisie des larmes de crocodile, mais complètement désorienté, il n’y a plus de nord. La compagnie La vie brève où tous sont autant acteurs que musiciens, metteurs en scène, concepteurs du spectacle, etc nous donne le tournis. Superbe musique de la fin de l’opéra et burlesque de tout ce que l’on a vu et entendu ; ça ne tourne pas rond, mais c’est pourtant si beau, émouvant et drôle.

La Peur

Pièce de théâtre « La peur » de François Hien
lundi 27/03/23 à 19h30
La représentation est gratuite, mais réservation obligatoire : www.helloasso.com/asso…..-peur
La représentation commencera à 20h, avec un accueil à partir de 19h30 (possible de boire un verre).

Présentation de la pièce :
« Parce qu’on a découvert sa liaison amoureuse, le père Guérin a perdu sa paroisse. Devenu le confesseur des hommes d’Eglise, il prévient la justice de la pédocriminalité du père Grésieux qu’il a apprise en confession. Il pourrait dénoncer également l’évêque qui savait mais qui a gardé le secret ; ce dernier le convainc de n’en rien faire. Pour prix de son silence, le père Guérin retrouve une paroisse. Mais un jeune homme, victime autrefois du père Grésieux, lui rend visite pour obtenir son témoignage. S’engage alors un dialogue qui bousculera profondément les deux hommes. »