Chronique cinéma – Ce sentiment de l’été

de Mikhaël Hers
avec Anders Danielsenlie, Judith Chemla, Marie Rivière.
Drame (2016) Film allemand. 1h46.

L’épreuve du deuil à  traverser donne à  Ce sentiment de l’été l’occasion d’une jolie balade au sein de la génération trentenaire (un peu celle du Bataclan) diplômée, citoyenne du monde, amateur de musiques, mais hésitante et parfois perdue dans sa vie d’adulte.

Berlin. Au milieu de l’été, Sasha, 30 ans, jeune graphiste, décède soudainement. Lors des funérailles, Lawrence, son compagnon fait la connaissance de Zoé, la sœur de Sasha, qui lui ressemble étrangement. Dans le souvenir de la jeune femme, ils vont se rapprocher. Zoé vit à  Paris est mariée et mère de famille. De pérégrinations en retrouvailles dans les villes ou leur mène leur balade « sentimentale », ils vont peu à  peu partager la peine et le poids de l’absence entre Berlin, Paris et New York. Trois étés, trois villes, le temps de leur retour à  la lumière, portés par le souvenir de celle qu’ils ont aimée.
Durant ce deuil de deux années, Lawrence et Zoé ne sont pas seuls et c’est tout autant les va-et-vient des jeunes gens que l’on suit que les rencontres qu’ils font ici ou là  : des amis croisés puis perdus de vue, un été à  Annecy avec les parents de Sasha, des déambulations dans les quartiers animés de République à  Paris ou sur les terrasses des immeubles de Soho à  New-York.

Lawrence est architecte, et les décors de ces trois villes magnifiquement filmés vont être ceux de ses états d’âme, l’écrin qui le protège et qui lui rappelle Sasha.
Cette traversée des lieux, ces moments revisités en compagnie de jeunes qui ont pu croiser sa compagne vont agir comme une traversée de sa peine et aider à  une renaissance au bout du chemin avec une nouvelle compagne sur une plage de Long Island à  New-York.

On l’aura compris, c’est une balade douce-amère que le cinéaste nous propose. Mais au final, d’avantage qu’une histoire de deuil traversé c’est le portrait de cette génération de trentenaires, amateurs de musique groove et folk, attachés à  aucun lieu sinon ceux des grandes métropoles dans lesquels ils se reconstruisent une famille, une vie de « village ». Ils travaillent essentiellement dans la pub, la communication, l’édition ou les petits boulots en attendant mieux. Ils se croisent, se perdent de vue, privilégiant les affinités nomades. Et l’on pense évidemment à  ces jeunes qui étaient au Bataclan, en novembre dernier, cette génération diplômée, urbaine « flottante » attendant un meilleur à  venir et traversant la planète au gré de leurs envies.

L’épreuve de deuil que vit Lawrence est délicatement absorbée, le cinéaste prend son temps pour en décrire toutes les évolutions en montrant ses héros traversés d’émotions qui palpitent. Il dispose de très bons interprètes en la personne d’Anders Danielsenlie et de Judith Chemla qui a le visage d’une jeune fille en fleurs. On remarquera au passage que ce parti-pris de situer le film en été donne au cinéaste l’occasion de dévêtir les jambes et les bras de ces actrices ! Joli spectacle soit dit en passant.. Le film se joue aussi à  fleur de peau sur ce registre là 

Ce sentiment de l’été ou la subtile transformation d’un garçon introverti et en devenir en un jeune adulte confiant aux choix assumés.

Marie-Noëlle Gougeon

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Chronique cinéma – Les Innocentes

d’Anne Fontaine
avec Lou de Laâge, Agata Buzëk, Vincent Macaigne. `
Drame. Film franco-polonais. 1h55.

Une histoire tragique mais transcendée par le scénario et l’attention bienveillante d’Anne Fontaine pour le sujet et la vie de ces religieuses. Un beau et grand film

Le bouche à  oreille a déjà  fonctionné pour ce film au sujet délicat et pourtant rempli de lumière.
« Les innocentes » a comme point de départ, l’histoire vraie de moniales polonaises en 1945 et leur rencontre avec Mathilde Beaulieu, une jeune femme médecin française de la Croix-Rouge. En poste pour les ressortissants français, elle est appelée de toute urgence par une jeune novice du couvent pour l’accouchement . d’une religieuse. L’horreur et l’incrédulité se mélangent dans l’esprit de la jeune femme. Ce sont les atrocités de la guerre. Les soldats de l’Armée rouge ont commis des violences sexuelles sur ces sœurs. Sept d’entre elles attendent un enfant.
Mathilde Beaulieu a laissé des écrits de cette expérience et c’est un petit neveu retrouvant ses carnets qui a permis de lever le voile sur cette histoire qui resta longtemps cachée

Anne Fontaine, la réalisatrice a demandé à  Pascal Bonitzer d’écrire un scénario empli de vérité et de respect. Sa chef opératrice Caroline Champetier joue sur les blancs et les gris de la neige et des pierres : le couvent désaffecté polonais dans lequel a été tourné le film apporte un environnement minimaliste et resserre l’action sur les visages, les regards, les mots échangés entre Mathilde, fille de militants communistes et ces religieuses dont elle partage à  peine la langue mais les interrogations.

On est en décembre 1945, moment de basculement du monde. Ces religieuses savent que leur pays va faire partie du bloc soviétique, régime auquel appartiennent leurs bourreaux mais elles dépendent aussi d’un ordre religieux, celui des Bénédictines, d’une Eglise qui a ses propres lois, ses propres codes. Certains condamneront sûrement l’attitude de la Mère abbesse qui préfère la loi du silence (« C’était pour les protéger » dira-t-elle) à  la bienveillance et à  la transgression.
Et c’est toute cette opposition, cette lutte qui va nourrir la dramaturgie du film. Comment garder la foi après un tel drame ? Quelle rencontre possible entre une femme athée, qui soigne les corps et des femmes qui ont donné leur vie à  Dieu ? Comment faire face à  l’impensable, les exactions de temps de guerre que beaucoup de femmes subissent encore (agressions, viols, meurtres) et l’engagement dans une vie de prières, de foi en la miséricorde de Dieu ? « La foi c’est vingt-quatre heures de doute et une minute d’espérance »dira la jeune maîtresse des novices.

Si certains ont pu voir la bande-annonce du film, il ne faut pas qu’ils craignent la dureté de certaines scènes. Elles sont parfois tournées en clair-obscur, on ne sent aucun voyeurisme ou approche déplacée. Anne Fontaine a voulu une fin heureuse à  son film. C’est le seul bémol que je mettrais à  la vision de ce long métrage : une fin utopiste et idyllique. Il n’empêche, la réalisatrice donne comme point d’orgue à  son film ce plaidoyer pour la vie et pour l’Amour. N’est ce pas celui de l’Evangile ?
Le père Jean-Pierre Longeat qui fut abbé de l’abbaye de Ligugé a été le conseiller liturgique. Ce sont les actrices elles-mêmes qui chantent les pièces en grégorien scandant la journée des moniales. Lou de Laâge qui joue Mathilde a un visage qui est la grâce incarnée. La Mère Abesse est jouée par Agata Kulesza l’actrice qui jouait Ida
A Lyon, une vieille femme de 90 ans est venue saluer Anne Fontaine. Elle était l’une des religieuses qui étaient dans ce couvent en Pologne en 1945.Moment intense d’émotions.

Marie-Noëlle Gougeon

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Chronique cinéma – Chocolat

de Roschdy Zem
avec Omar Sy, James Thiérrée, Clothilde Hesme
Biopic
Français. 1h50.

Un bon film populaire sur la vie de Chocolat ce premier artiste noir connu du cirque. Avec une reconstitution soignée, Roschdy Zem en fait une réflexion sur le racisme. Il est servi par deux merveilleux comédiens : Omar Sy et le petit-fils de Chaplin, James Thiérrée.

Au début du siècle, le cirque est une distraction qui se déplace de village en village avec de maigres numéros et une vie assez misérable.
Footit, clown qui a eu son heure de gloire, n’arrive plus à  faire rire. Au gré de ses engagements, dans un petit cirque de province, il croise le chemin de Chocolat, colosse noir que l’on exhibe quasi nu le cou entouré de « dents humaines ». Il joue le rôle du cannibale qui fait peur aux enfants. Footit repère très vite les qualités comiques de Chocolat et le décide à  monter avec lui un duo innovant. Lui Footit jouant le clown blanc autoritaire, et Chocolat l’Auguste son souffre-douleur. Le numéro marche à  merveille au point d’attirer l’attention du directeur du Nouveau Cirque à  Paris.
La carrière parisienne des deux artistes est lancée.
Les foules sont de plus en plus grosses à  venir applaudir leurs facéties, leurs simulacres de brouilles, la façon dont Chocolat se fait « rosser » par ce Footit agile et joueur. L’argent rentre à  flot. Chocolat joue aux cartes, accumule les dettes, commence à  boire, aime la compagnie des femmes. Au bout de quelques années, il veut s’émanciper de Footit, souhaite se lancer sur les planches et jouer Othello. Jamais un acteur noir n’a tenu ce rôle à  Paris. Ce sera un bide, les spectateurs voyant toujours Chocolat sous les traits de Raphaël Padila, le vrai nom de l’artiste.
Sans le sous, malade, il finira sa vie comme garçon de piste dans un cirque où il mourra à  peine 50 ans entouré par l’amour de Marie, une veuve qui le soutiendra jusqu’au bout.

C’est l’historien Gérard Noiriel qui a sorti de l’oubli la vie de Chocolat en la racontant dans un livre qui a servi de base au long métrage. Le film reconstitue minutieusement la réalité du monde du cirque et du Paris d’avant la guerre de 14. Les images font parfois chromo, mais on sent vibrer ces foules enthousiastes au rire facile et communicatif. On découvre la précarité du monde du spectacle.

Pourtant le vrai sujet du film est la manière dont l’étranger, le noir en l’occurrence, lui le sans papier et le sans nom, est vu au début du XXème siècle. Arrivé à  Paris, Chocolat se rend à  l’Exposition coloniale. Ses congénères y sont parqués derrière des barrières où l’on peut lire : « Interdit de donner à  manger aux indigènes, comme s’ils étaient des bêtes !
Raphaël Padila veut s’émanciper de sa vie de « nègre », vivre comme les riches blancs mais il n’y arrivera pas car son personnage Chocolat, qui fait son succès, porte en lui-même tous les clichés attribués à  l’homme noir. Et ce sera un vrai dilemme pour lui et un malentendu dont il ne sortira pas.
Chocolat est un vrai film populaire avec de l’émotion, pas assez parfois, du rire, du drame, de la réflexion. Il fait autant réfléchir sur nos attitudes racistes que bien des discours et les enfants devraient en être les premiers spectateurs.
Omar Sy est magnifique car il déploie une palette de sentiments et d’expressions qu’on ne lui connaissait pas, bien loin des minutes rigolotes de Canal+. Il s’impose vraiment comme un futur grand du cinéma français. Et puis il y a James Thierrée, acrobate, danseur, clown et petit-fils de Charlie Chaplin. Et l’on est étonné de déceler une ressemblance entre lui et son grand-père : il a la même façon de bouger, de pirouetter que Charlot, même regard triste parfois. Ce grand-père qui a tant joué des rôles de vagabond rejeté. C’est tout à  fait troublant et ajoute au plaisir que l’on a à  voir ce film réussi et bienveillant de Roschdy Zem.
Marie-Noëlle Gougeon

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APRÈS-MIDI CULTUREL SUR LA BEAUTÉ

 » Il n’y a réellement ni beau style, ni beau dessin, ni belle couleur: il n’y a qu’une seule beauté celle de la vérité qui se dévoile  »

Auguste Rodin

Programme:

 14h 45 Table ronde et débat avec Fabrice Hadjadj (Philosophe), Davide Galbiati ( Sculpteur ), Jean-Paul Prat (Compositeur – musicien) et Samuel Rouvillois ( Philosophe).

 16h 45 Pause – rafraichissement offert

 17h 45 Concert piano violoncelle avec Jennifer Carter et Mikhaïl Lezdkan

Informations:

REPORTE A L’AUTOMNE

http://www.caldeira.fr

Pour obtenir des renseignements appeler au 06 50 29 62 87

Chronique cinéma – 45 ans

film de Andrew Haigh
avec Charlotte Rampling Tom Courtenay.
Anglais (2015) 1h35.
Une émouvante histoire d’amour longue de 45 années et qui se fracasse devant une révélation venue du passé. Charlotte Rampling et Tom Courtenay sont bouleversants.

C’est un film à  la fois pudique et cruel, déchirant et troublant que nous propose ce jeune metteur en scène anglais d’une quarantaine d’années,
Andrew Haigh.

Les premières images laissent imaginer une histoire paisible dans la campagne anglaise, verdoyante et humide.

Kate, une femme d’âge mur mais à  la silhouette élancée pénètre dans un cottage le courrier à  la main. Dans le salon, elle évoque avec son mari Geoff, la fête qu’ils doivent organiser prochainement pour leurs 45 ans de mariage. Lui s’absorbe dans une lettre qu’il vient de recevoir de Suisse et qui le bouleverse. Le corps de son 1er amour vient d’être retrouvé pris dans un glacier. 50 ans auparavant cette jeune fille et lui faisaient de la montagne, elle est tombée dans une crevasse et s’est tuée. Son corps n’a jamais pu être remonté.

Cette découverte va provoquer un tremblement pour leur couple. Petit à  petit, Kate comprend l’importance de cette relation de jeunesse pour son mari. Un soir, elle lui pose la question fatidique L’aurais-tu épousée si tu ne m’avais pas rencontrée ? Et c’est un oui que lui murmure dans la pénombre son mari
Connait-on vraiment celle ou celui qui partage votre vie ? Est-ce pour protéger l’autre ou protéger ses souvenirs que nous gardons en nous quelques secrets ?
Petit à  petit, les souvenirs envahissent le quotidien de Geoff, ses pensées tournent autour de ce fantôme surgit du passé. Kate doute de cet amour vieux de 45 ans. Elle explose de colère contre celui qui ne lui a pas tout dit.
Et pourtant elle essaie de donner le change, organise les plans de table pour leur anniversaire, choisit la musique, des vieux standards des années 60. Mais rien n’y fait. Et même si le soir de la fête, ils évolueront sur la piste de danse les yeux dans les yeux la dernière image de Kate donne un goût cruel à  cette belle histoire d’amour.

Il y a un contraste saisissant entre les plans paisibles, statiques presque que le réalisateur compose et le tumulte des sentiments qu’il filme. Contraste entre la peinture banale et quotidienne de la vie d’un couple de retraités (elle, en promenade avec son chien, lui absorbé par ses lectures et sa santé) et le délitement des cœurs et des corps. On sent cette histoire se fissurer malgré les efforts de Kate et de Géoff de minimiser l’importance de cette révélation. Mon mariage avec toi aura été la plus belle chose qui me soit arrivée confiera t-il dans son discours d’anniversaire.
Il y a beaucoup de retenue, de cris étouffés dans ce film et en même temps une grande tendresse pour les corps vieillissants, les regrets de ce qui n’est pas arrivé, le temps passé qui ne reviendra pas.
Charlotte Rampling et Tom Courtenay sont si justes, si vrais. Ils insufflent à  cette histoire une densité dramatique et une vérité bouleversante. Ils ont obtenu tous les deux au festival de Berlin 2015, le prix d’interprétation. Charlotte Rampling est nominée fin février aux Oscars pour ce film.

Marie-Noëlle Gougeon

Chronique cinéma – Spotlight

de Tom Mc Carthy avec Mickaël Keaton, Marc Ruffalo
Thriller américain. 2015 2h05mn.
6 Nominations aux Oscars.

Une enquête journalistique sur un scandale d’actes pédophiles commis par des prêtres de la ville de Boston. Un thriller efficace et édifiant mais qui peut masquer les avancées marquantes de l’Eglise catholique aujourd’hui, en matière de prise en compte de ces agressions sexuelles.

Une équipe de 4 journalistes d’investigation a enquêté pendant 12 mois sur des suspicions d’abus sexuels commis par des prêtres du diocèse de Boston sur de jeunes garçons. L’enquête révèlera que L’Eglise Catholique avait protégé pendant des décennies les personnalités religieuses, juridiques et politiques les plus en vue de Boston. Spotlight, littéralement coup de projecteur, retrace leur fascinante enquête.

Les américains ont toujours le talent pour ce genre de film, qu’ils composent comme un thriller ou les faits sont présentés les uns après les autres, avec efficacité et émotion. On suit l’histoire comme un polar. Les acteurs sont tous très bons.
Les journalistes ne lâchent rien et découvrent petit à  petit l’ampleur du scandale : 293 prêtres seront insculpés. Mais c’est davantage le silence et la façon dont l’Eglise a étouffé l’affaire qui intéresse Tom Mc Carthy. Les plaintes étaient retirées du registre du Tribunal, le silence des parents acheté, des avocats ripoux travaillaient pour le diocèse.

Mais Tom Mac Carthy essaie aussi d’expliquer le profil psychologique de ces prêtres, il interroge plusieurs années après des victimes devenus adultes mais traumatisés à  vie. Appartenant à  des familles parfois démunies, ils appréciaient d’être « aimés » par ces prêtres qui leur marquaient de l’intérêt.
Bien sûr, c’est un film à  charge que Tom Mac Carthy nous donne mais il pose aussi quelques questions dérangeantes au travers de quelques personnages. Certains savaient, comme les journalistes qui, 20 ans auparavant avaient ignoré certaines alertes, les avocats qui préféraient ne pas se mettre à  dos l’Eglise diocésaine. Et au final, cette question du silence complice, il la pose aussi au public

L’archevêque de Boston, le cardinal Law est la personne la plus contestée car il a couvert le scandale pendant des années. Il sera juste « muté » à  Rome où il vit encore.

Et si ce film salutaire, tient en haleine de bout en bout, il laisse une impression de malaise malgré tout. On n’entend aucun repentir de prêtres, le Cardinal choisit le silence, même les paroissiens qui ont demandé que la lumière soit faite ne sont pas interrogés.
Depuis Jean-Paul II les choses ont changé. L’Eglise a clairement pris position et s’en remet à  la justice des hommes. Pas sûr que le grand public connaisse pourtant ces avancées majeures du Vatican et des Eglises locales et ne voit dans le clergé catholique que mensonges et corruption comme les faits rapportés dans Spotlight. Dommage

Marie-Noëlle Gougeon

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Chronique cinéma – Les chevaliers blancs

de Joaquim Lafosse
Avec Vincent Lindon, Louise Bourgoin, Valérie Donzelli, Reda Kateb.

« Les chevaliers blancs » illustre la difficulté de l’aide au développement, quand les bons sentiments ne suffisent pas et que la corruption éclabousse une opération. Vincent Lindon apporte sa force de conviction à  ce film utile et bien réalisé

Jacques Arnault, président de l’ONG « Move for kids », a convaincu des familles françaises en mal d’adoption de financer une opération d’exfiltration d’orphelins d’un pays d’Afrique dévasté par la guerre. Entouré d’une équipe de bénévoles dévoués à  sa cause, il a un mois pour trouver 300 enfants en bas âge et les ramener en France. Mais pour réussir, il doit persuader ses interlocuteurs africains et les chefs de village qu’il va installer un orphelinat et assurer un avenir sur place à  ces jeunes victimes de guerre, dissimulant le but ultime de son expédition…

« Les chevaliers blancs » est inspiré de l’histoire de « L’arche de Zoé » cette association menée par un couple d’humanitaires français qui avaient eu à  peu près la même démarche et avaient écopé de peines de prison revenus en France.
Au départ, Jacques Arnault était sans doute ému par le sort des orphelins des guerres au Sahel. Il a voulu sauver la vie de plusieurs d’entre eux et combler ces familles qui en France, attendaient un enfant. Mais bien vite, sa mégalomanie, son aveuglement l’ont entraîné dans une sorte de spirale dont il ne pouvait sortir que par des subterfuges. La fin de l’histoire le ramènera à  la réalité.

Joaquim Lafosse a eu la bonne idée de se démarquer de la figure connue des dirigeants de l’association française en choisissant Vincent Lindon pour incarner le chef de l’ONG.
Plus âgé, plus expérimenté semble-t-il, on ne l’identifie pas forcément à  un bourlingueur irresponsable ou intéressé. Le réalisateur oriente davantage le film sur la problématique de l’aide humanitaire dans son ensemble, la question de la pauvreté, de l’éducation provoquant au sein de l’équipe, interrogations et tensions. La réalisatrice TV qui se voulait objective, neutre, se laisse attendrir par le sourire d’un enfant qu’elle veut ramener en France ! L’autochtone qui les avait mis en contact avec les habitants du village refuse d’aller plus loin dans cette mascarade.

Les parents africains ne poursuivent qu’une idée : que leur enfant aille à  l’école et obtienne un métier. C’est donc, une aide au développement qu’ils demandent et pas un assistanat, pire, l’enlèvement de leur enfant. De l’aide oui, mais pas à  n’importe quel prix.
Le film montre aussi toute l’ambivalence des protagonistes : l’attitude de certaines ONG qui voit l’Afrique comme un terrain d’aventures en dehors de toute réglementation utilisant des bakchichs que des chefs de village ou des responsables gouvernementaux acceptent sans scrupules.

Vincent Lindon est une boule d’énergie au service d’une cause dévoyée. Il se bat contre lui-même autant que contre les réglementations et son projet qui lui échappe. Louise Bourgoin, sa compagne assiste impuissante à  la lente agonie de leur aventure. La vie de cette ONG est bien rendue entre attente au bivouac et actions coup de poing.
Morale de l’histoire : Les bons sentiments ne suffisent pas à  aider vraiment celui qui a faim et soif.

Marie-Noëlle Gougeon

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Chronique cinéma – Mon maître d’école

d’Emilie Thérond.

Documentaire français 1h22.

Un joli film plein de tendresse et de fines observations sur la dernière année d’un maître d’école filmée par une de ses anciennes élèves. De savoureux portraits d’enfants aussi.

Jean-Paul Burel a fait sa 1ère rentrée en 1972. Quarante ans plus tard, il entame sa dernière année d’enseignant, là  où il a fait toute sa carrière : St Just et Vaquières, une petite commune de 300 habitants dans le Gard avec son église et son temple.
Il y a quelques années, il a eu pour élève une petite fille, Emilie Thérond. Celle-ci, devenue adulte et réalisatrice est revenue au village. Apprenant le départ en retraite de son ancien maître d’école, elle décide alors de le filmer. Et voilà  quelques mois plus tard : « Mon maître d’école ».

C’est un peu à  ce qui n’existera plus qu’Emilie Thérond rend hommage : être instituteur d’une classe à  plusieurs niveaux (CE2, CM1-CM2) et ne pas bouger depuis sa première affectation.
Jean-Paul Burel est l’exemple parfait de ces jeunes gens sortis de l’Ecole Normale comme on disait encore, passionné par le contact avec les enfants, son envie de leur transmettre des connaissances mais aussi, l’éducation sociale et citoyenne de l’élève, la tolérance, la solidarité.
Dans ce film qui balaie 9 mois de classe, de l’automne à  l’été, Jean-Paul Burel navigue sans cesse entre les notions scolaires qu’il doit enseigner, rabâcher : l’accord des verbes, la complexité du dividende de la division (!) l’art du texte libre et l’apprentissage du vivre ensemble entre les difficultés de l’intégration du petit nouveau, la découverte des mots qui font mal, ou le plaisir de s’amuser dans les arbres..

Ce maître d’école, comme on l’a souvent rêvé a le métier chevillé au cœur mais plus encore l’amour de ses élèves. Car tout autant que lui, ce sont eux qui sont au cœur de ce documentaire.
Ils ont 10-11 ans, la vie devant eux mais déjà  l’on voit poindre celui qui est fâché avec l’orthographe, celle qui manie facilement les apprentissages, la tête brûlée de la classe, ou celui qui n’arrive pas bien à  lire mais sait si bien jouer le rôle de Knock de Jules Romains.
Tous sont uniques et riches de leurs différences et de leurs possibilités.

Emilie Thérond nous offre un film passerelle entre la petite fille qu’elle fut et la réalisatrice qu’elle est devenue. C’est à  hauteur d’enfant qu’elle filme, sans pathos ni grand discours sur l’éducation.
Jean Paul Burel est un artisan pédagogue, sa classe perdue entre vignes et oliviers fait rêver mais elle montre à  quel point les mots, les actes posés par l’adulte marquent si fort ce temps de l’enfance. La dernière séquence est inévitablement très émouvante ; c’est celle de la dernière sortie de la dernière journée de classe. JP Burel, malgré son expérience et la maitrise de son métier ne peut contenir son émotion.
Et c’est aussi toute l’évolution de l’école à  la campagne que la réalisatrice laisse entrevoir. Une classe vide à  côté de celle de l’instituteur, sans doute celle des petits qui sont partis, regroupés dans un autre village. La remplaçante de Jean Paul Burel est une femme .enceinte. Un changement notable et une absence qui se profile assurément.
Voilà , c’est fini : il n’y aura plus le même maître à  St Just et Vacquières pendant 40 ans.
Mais « Mon maître d’école » en gardera le souvenir

Marie-Noëlle Gougeon

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Chronique cinéma – Carol

de Todd Haynes
avec Cate Blanchett, Rooney Mara
Drame américain ( 2015) 1h58.

Un film brillant, élégant et émouvant qui à  travers l’histoire d’amour entre deux femmes nous parle de la puissance du sentiment amoureux. Il est servi par une Cate Blanchett au sommet de son art.

New-York, Noël 1952. Dans les fumées et le bruit des voitures, une femme distinguée, enveloppée dans un manteau de fourrure, pénètre dans un grand magasin à  la recherche d’un cadeau pour sa petite fille. Au rayon jouets, une jeune vendeuse gracile et timide est attirée par la silhouette de cette cliente. Quelques phrases échangées, un regard appuyé et qui s’attarde, le trouble est là pour toujours. Et pourtant, rien ne les prédisposait à  cette rencontre amoureuse.
Carol est mariée, mère de famille, en plein divorce, et appartient à  l’upper-class new-yorkaise. Thérèse, la petite vendeuse, est une jeune femme qui se cherche. Passionnée de photo, elle hésite à  en faire son métier. Elle a bien un petit ami mais ne semble pas trop attachée. Pour l’instant, elle gagne sa vie dans ce grand magasin.
Carol n’est pas un film militant ou provocateur. Il raconte la passion qui unit ces deux femmes, les difficultés qu’elles vont traverser pour vivre au grand jour leur relation dans cette Amérique des années 50 en plein Maccarthysme. Carol est adapté d’un livre de Patricia Highsmith qui l’avait d’ailleurs écrit sous un faux nom..

Todd Haynes réussit un film superbe avec un scénario qui accompagne l’évolution du couple, les élans amoureux mais aussi les interrogations, les doutes et surtout la confrontation avec les proches, la famille de Carol. Il a tourné en 16 mm, donnant du grain à  l’image, ce qui donne un petit côté suranné à  l’histoire.
Le poids moral de l’Amérique conventionnelle des années 50 est comme un corset pour ces deux jeunes femmes. Le chemin sera long jusqu’au dénouement heureux et malheureux à  la fois.

La mise en scène est brillante, fluide, inspirée, comme ce long plan séquence du début du film qui court au travers d’une rue de New-York. On part en cabriolet à  la découverte des petites maisons en bois ou celles plus cossues de la bourgeoisie des petites villes de l’Est des USA. La reconstitution des décors et des costumes donnent un écrin aux déchirements du cœur et aux émois des corps. Le vert amande, le rose ou le rouge sont les couleurs dominantes des costumes élégants de Carol. Rooney Mara qui interprète le rôle de la jeune vendeuse ressuscite la grâce d’Audrey Hepburn. Elle se laisse emporter par cet amour jusqu’à  assumer son désir de femme devenue enfin adulte.
Car Carol est aussi une histoire d’émancipation féminine et familiale. Mais question : peut-on accepter de renoncer à  voir sa fille par amour pour un être cher ?

Todd Haynes nous offre un film dans la plus pure tradition des somptueux mélos d’Hollywood.
Mais ce classicisme n’est jamais étouffant et autant qu’une histoire d’amour entre deux femmes c’est de la puissance du sentiment amoureux qu’il nous est donné à  voir ici.
Cate Blanchett en Carol est magnifique, on la sent vibrer dans la douleur comme dans le bonheur, impériale et défaite. On pense à  Grace Kelly. Elle aurait mérité amplement le Prix d’interprétation féminine à  Cannes cette année aux côtés de Rooney Mara qui elle, l’a obtenu pour le rôle de Thérèse. Une jolie révélation

Marie-Noëlle Gougeon

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Article/ BASA 2015 -La BASA est morte, vive la BASA !

La BASA est morte, vive la BASA !

A l’heure où j’écris ces mots, la Xe BASA avance vers sa fin et l’heure des bilans approche.
Le commissariat de cette édition 2015 a, pour moi, été riche en rencontres, mais le questionnement autour de sa continuation a pesé de façon subtile. Une fin définitive, un déménagement, une transformation ? Demain était le thème et il a résonné avec puissance : que sera la BASA demain ?
La plupart des artistes participants ont manifesté leur joie d’exposer dans des conditions agréables – l’ambiance étant chaleureuse, les relations étant humaines, personnalisées et non anonymes comme c’est souvent le cas. Artiste moi-même, je connais la carence actuelle de lieux d’exposition dignes de ce nom.
L’art est actuellement, comme beaucoup d’autres territoires, devenu une grande foire où n’importe qui peut s’autoproclamer artiste et s’exposer dans des espaces qui louent leurs murs, usurpant le terme de galerie qui, elle, prend le risque de défendre les artistes qu’elle montre. N’importe qui peut vendre – souvent mieux que ceux qui s’engagent sur la route étroite et périlleuse de la création. Les cartes sont brouillées et le public ne sait plus où se trouvent ceux que l’on nomme « artistes ».
Mais qu’est-ce que c’est, un artiste ?
Bien sûr, tout le monde peut faire quelque chose de beau à  un moment ou à  un autre, mais l’art nécessite un cheminement, un travail dans la durée. Quels que soient les obstacles. Dans les ateliers que j’ai animés j’encourageais mes élèves à  créer, à  se libérer, se faire plaisir et rien n’interdisait qu’ils deviennent un jour artistes si le désir se faisait sentir. Mais au lieu de constater cet appel chez l’un ou chez l’autre, il m’est arrivé de temps à  autre d’entendre, devant un dessin ou une peinture réalisés pendant l’atelier : « vous pensez que je peux le vendre combien ? » L’ambiance actuelle porte à  la marchandisation… et l’artiste est défiguré.
Les artistes que j’ai rencontrés au cours de cette BASA ont tous en commun une ligne, une démarche, un univers. Et c’est ça qui détermine un artiste. Il ne suffit pas de poser un point, une ligne, une couleur à  un moment ou à  un autre pour être artiste ! Le temps doit œuvrer. L’art est exigeant et l’on peut dire que l’on entre en art comme on entre en religion. On peut adopter une attitude d’artiste, suivre des stéréotypes véhiculés par un public désireux d’être rassuré, mais cela reste alors un simulacre, une apparence. Le travail de l’art est intérieur et si l’artiste travaille, il est aussi travaillé. Il doit accepter de se laisser entamer, malaxer, dérouter… L’art est subversif parce qu’il éveille, réveille. Et ce n’est pas une question de subversion par un sujet choquant : la beauté peut séduire et détourner du « droit chemin ».
Mais revenons à  cette édition 2015 de la BASA : les exposants ont exprimé la joie de montrer leurs œuvres dans un lieu privilégié où elles sont accueillies avec respect. Et c’est peut-être ce respect des œuvres qui manifeste aujourd’hui particulièrement le sacré de cette biennale. Ici, qu’elles soient religieuses ou non, les visiteurs contemplent les œuvres avec sérieux. Qu’ils soient touchés par elles ou non, ils les respectent. À la différence des lieux dits culturels où l’intérêt consiste aujourd’hui trop souvent à  se photographier sur fond de peinture, de sculpture, de photo ou d’installation. À l’heure où l’on n’hésite plus à  porter atteinte à  des œuvres d’art, il est devenu important de parler du sacré de l’art et des œuvres d’art. Les artistes ont une pensée, même si certains parlent peu, ils pensent et leurs mains – leur corps – expriment leur pensée. Les artistes, qu’ils soient croyants ou non, ont une recherche spirituelle plus ou moins consciente ; ils interrogent le vivant et leurs œuvres manifestent la dimension sacrée de l’humain : l’Homme
n’est pas seulement une matière. Il émane de lui un mystère qui ne doit pas être bafoué.
C’est peut-être ce sacré, cette distance respectueuse qu’il faut réapprendre aujourd’hui et que défend la BASA. Tout au long de ces mois, par l’apprivoisement des œuvres et par l’observation des visiteurs, j’ai acquis l’intime conviction que le sacré est bien présent : il émane du sérieux des propos, de la réflexion, de la méditation même de certains visiteurs. Une manifestation de cette sorte s’oppose à  l’esprit de distraction superficielle qui règne aujourd’hui dans la plupart des « grandes expositions » et elle doit continuer à  manifester que l’Homme est doué de liberté de pensée. La BASA : son esprit doit vivre, sous la forme renouvelée d’une biennale ou bien, pourquoi pas, dans l’enceinte d’un lieu sédentarisé qui pourrait être nommé « Centre d’Art Sacré Actuel » : CASA. Voire les deux. La BASA 2015 sera bientôt terminée, je forme des vœux pour l’à  venir de la BASA.

Danielle Stéphane
décembre 2015

Le n° de Confluences – 1er Janvier 2016 est enfin déposé sur le site de Confluences

http://confluences-polycarpe.org/wp-content/uploads/2014/05/janvier-2016internet.pdf