Chroniques cinéma  » Un homme idéal « 

de Yann Gozlan

avec Pierre Niney, Ana Girardot,

Français 1h35. 2015.

Un thriller à  moitié réussi sur une usurpation et un plagiat littéraire. La réalisation est soignée, Pierre Niney très convaincant mais le scénario manque en 2ème partie de profondeur psychologique.

Mathieu, 25 ans, travaille comme déménageur mais se rêve en auteur. Son dernier manuscrit a été refusé. Au cours d’un déménagement, il découvre le journal d’un ancien soldat de la guerre d’Algérie enveloppé de cuir. Le vieux monsieur est mort sans héritiers. Une idée germe dans la tête du jeune homme puis est vite concrétisée : il tape le document sur son ordinateur, l’envoie, il est accepté par une maison d’éditions. Bingo ! Le voilà  auteur reconnu, le livre s’arrache, il est riche, trouve même l’amour avec Alice, une jeune historienne. Ce rêve éveillé pourrait continuer sans problèmes. Personne n’a deviné la supercherie, pas même ses beaux-parents, famille bourgeoise passant des vacances idylliques dans leur villa somptueuse de la Cote d’Azur avec Mathieu et Alice bien entendu. Personne ? Si justement le filleul de son beau-père, secrètement amoureux de la femme de Mathieu et qui flaire la supercherie. Et puis aussi, un homme croisé à  une séance de dédicaces à  Nice, qui a connu le soldat d’Algérie et qui sait que Mathieu a volé son succès.

Un climat angoissant commence à  nimber ce « beau conte de fées ». D’autant que l’éditeur de Mathieu le presse de lui envoyer un deuxième ouvrage. Le jeune homme n’arrive pas à  aligner deux mots sur la page blanche, et pour cause, et il sent l’étau se resserrer.

La deuxième partie du film est consacrée à  la manière dont le déménageur-écrivain va se défaire de ce piège dans lequel il s’est enferré. Et si la première partie de l’histoire s’attachait à  brosser un portrait psychologique du personnage, à  décrire la création littéraire, les problèmes d’inspiration, d’écriture, la seconde bascule dans les codes du polar avec assassinat, cadavres à  cacher, accident maquillé, identité usurpée. Finalement Mathieu n’a pas réussi à  être un écrivain, comme il ne réussit pas à  sortir de son dilemme sauf à  imaginer de faire disparaître ses contradicteurs et lui-même : assassinat pour eux, faux- accident pour lui. Il va bien réussir à  la fin de son séjour à  écrire un méta-roman sur ses difficultés d’écrivain justement…Mais on ne croit pas vraiment à  cet ouvrage rédigé en quelques jours.

La fin du film (que je ne dévoile pas) est jolie, bien imaginéemais on reste sur sa faim, mi-figue, mi-raisin

Yann Gozlan sait filmer, ses plans sont léchés, il sait tenir une caméra et on ne boude pas ce plaisir visuel. Le choix de tous les comédiens est très bon. Pierre Niney (Mathieu) est excellent dans ce rôle de présence-absence, on pense à  Anthony Perkins. Ana Giradot (Alice) est absolument craquante. Tous deux iront loin ! André Marcon et Valéria Cavalli jouent à  merveille le rôle des beaux-parents aimants.

On aurait aimé un vrai thriller psychologique pour mieux comprendre les arcanes de l’imposture et du plagiat littéraire. Mathieu avait affiché la photo de Romain Gary dans son studio. Le passé de l’écrivain aurait dû davantage inspirer Yann Gozlan. C’est tout un art de mentir !

LE SOULIER DE SATIN

DE PAUL CLAUDEL

AU POINT DU JOUR , La TROISIEME JOURNEE DU SOULIER DE SATIN DE PAUL CLAUDEL ,mise au point progressivement de jour en jour, pendant le mois de mars, sous la direction de Kathleen Dolle ..,et avec une troupe de douze jeunes comédiens ,tous pleins de talent et de « punch ».

Ils sont issus de l’Ecole de la Comédie de Saint-Etienne, et réunis sous le nom d’un collectif :X .Gageons qu’X est la promesse tenue d’une grande école, mais n’est pas très explicite, pour une équipe qui justement mérite d’être connue. L’équipe technique bénéficie d’anciens élèves de l’ENSATT. Un esprit de troupe, sans prétention, sensible dès l’accueil ,chaleureux, où les comédiens vous expliqueront le contenu des deux journées précédentes, à  l’aide de grands panneaux pédagogiques ,qui vous permettront de comprendre la continuité d’un récit où le « zapping » le dispute à  la cohérence d’une œuvre monumentale,(chaque journée de la version scénique dure plus de deux heures) où se confrontent ciel et terre ,dans un désordre organisé .

La dimension mystique est ancrée dans le réel, laissant libre cours à  tous commentaires et interprétations qui ont fait la réputation mythique de cette pièce à  laquelle peu de metteurs en scène (et les plus grands : Jean Louis Barrault, Antoine Vitez, Olivier Py) se sont confrontés avec bonheur.
L’entreprise est un véritable challenge, poursuivi depuis début janvier (chaque journée est présentée, pendant un mois, tous les jours sauf le dimanche et le lundi) .Le mois de mars est celui de la troisième journée.

Le projet s’insère dans le cadre du Théâtre Permanent, à  l’initiative de Gwénael Morin, qui selon le même principe nous a présenté l’an dernier Molière et Shakespeare. Le soutien de l’ADAMI,de la DRAC Rhône-Alpes, du ministère de la Culture et des collectivités locales permet au théâtre réputé éphémère d’être permanent et à  la portée de tous (le billet est à  cinq euros et vous donne le droit de revenir pendant tout le mois !)Un journal quotidien, disponible, retrace les événements du jour, et vous pouvez le matin participer à  leur travail, et surtout vous pouvez les rejoindre à  20h, au Théâtre du Point du Jour. Une très belle aventure que le public doit absolument soutenir, pour son plus grand plaisir et pour que le théâtre retrouve sa place dans la Cité.

Venez nombreux et vous pourrez ainsi suivre les aventures, à  travers le monde (la scène de ce drame est le monde, au XVIème siècle,) de Dona Prouhèze et de Rodrigue, unis par un amour impossible, errant entre Afrique (le Maroc) et la Nouvelle Amérique. La terre, dont les grands navigateurs espagnols ont repoussé les limites, n’est plus depuis peu le centre du cosmosDix ans séparent la deuxième et la troisième Journée, avec une lettre qui mettra ce temps pour atteindre son destinataire. Plus de vingt personnages ,hauts en couleur ,à  travers plus de dix scènes ,sous forme de tableaux ,évoluent pour vous faire vivre cette merveilleuse histoire, d’un continent à  l’autre, dans un langue flamboyante (véritable « opéra de paroles »),empruntant tous les styles: épique,poétique,lyrique,symbolique,comique.

Priorité au texte, que les comédiens servent avec efficacité. Le souffle poétique de Claudel demande justement une parfaite maitrise de la respiration, et ils ont su la trouver de telle sorte que l’absence de costume et de décor, (en dehors des très beaux vitraux de fond de scène au début) vient en renforcement de l’écoute .A chacun son imaginaire simplement guidé par une scénographie, marquée par une mise en place, qui permet quelques belles compositions.

Le Soulier de Satin, ou en sous-titre : « Le pire n’est pas toujours sûr » .Ceux qui pensent que le théâtre n’a pas d’avenir, ce qui serait le pire, venez applaudir ce spectacle et donner du poids à  cet aphorisme, emprunté à  Calderon. Puissions-nous ainsi être sûr que le Point du Jour annonce l’aurore d’un théâtre d’Art permanent pour tous.

Hugues Rousset

Chroniques cinéma – « Selma »

de Ava DuVernay

avec David Oyelowo, Tim Roth

Film américano-britannique 2h08 2015.

Chroniques cinéma de Marie-Noëlle Gougeon

Un film beau et fort sur un moment de la vie de Martin Luther King : la marche des noirs pour le droit de vote à  Selma en Alabama il y a tout juste 50 ans. Pédagogique et mémoriel.

Mieux que de réaliser un biopic sur toute la vie de Martin Luther King, Ava DuVernay a choisi de raconter un épisode important de son combat pour les droits civiques des noirs, celui qui s’est déroulé il y a tout juste 50 ans en Alabama. Le droit de vote pour eux a été signé au niveau fédéral mais dans cet état ségrégationniste du sud, le gouverneur, un certain Georges Wallace, s’oppose à  son application.
Martin Luther King vient soutenir l’action de la communauté noire de Selma et propose sa méthode : manifestations, résistance, non-violence. Mais comment résister quand la police locale empêche toute marche dans les rues, charge violemment avec matraques et armes de poings ?

Ce sera le fameux « Bloody Sunday » du 7 mars 1965 ou 700 noirs sur le pont Edmund Pettus ont été attaqués.
Martin Luther King va essayer de négocier, s’expliquer avec le Président Lyndon Johnson, le gouverneur, les responsables noirs locaux et c’est la fameuse marche de Selma à  Montgomery, la capitale de l’Etat qui sera décidée en y associant « tous les hommes de foi et de bonne volonté ». 20% de blancs y participeront dont des pasteurs de l’Est des Etats-Unis, des acteurs et des chanteurs connus. Les images des actualités de l’époque qui clôturent le film d’Ava DuVernay témoignent de l’impact que cette action a eu dans le pays et dans le monde.

Une loi en juillet 1965 assurera aux noirs un droit de vote dans tout le pays, sans exception. Enfin

Selma, ce film réalisé en cette année anniversaire résonne douloureusement alors que les Etats-Unis viennent de connaître de nombreux actes racistes. Il vient montrer à  quel point la communauté noire a souffert au prix de nombreuses morts pour acquérir et obtenir enfin l’égalité des droits civiques. Il montre aussi combien ce combat devait faire face aux forces conservatrices voire racistes des gens du Sud, mais aussi au jeu politique d’un Lyndon Johnson embourbé dans la guerre du Vietnam, au poids du FBI qui pouvait détruire voire éliminer un opposant aux « intérêts du pays ».

Dans cette âpre bataille, Martin Luther King puise dans sa foi et l’idée qu’il se fait de sa mission les arguments pacifiques et politiques de son engagement. Le film n’hésite pas à  montrer ses doutes, ses craintes, mais aussi son indéniable charisme et ses talents d’orateur toujours nourri des passages de la Bible. Le film est de facture classique et s’attache à  monter les arcanes difficiles des enjeux politiques, sociaux, communautaires du problème. En ce sens, il est très pédagogique.

C’est David Oyelowo, acteur de théâtre britannique qui lui prête ses traits et lui donne une vraie dimension humaine et dramatique, sans tomber dans le mimétisme du leader noir.
Une minutieuse reconstitution des décors, des costumes, de la musique de l’époque apporte une authenticité et en fait un beau film mémoriel aux accents poignants.

Chroniques cinéma – « Le dernier coup de marteau »

d’Alix Delaporte

avec Clothilde Hesme Romain Paul,Grégory Gadebois.

(Drame français 1h24 2015).

Chroniques cinéma de Marie-Noëlle Gougeon

Un drame intimiste et l’éveil d’un adolescent au monde des émotions grâce à  la musique et à  la rencontre avec un père inconnu. Une révélation : le jeune comédien Romain Paul.

Lorsque Victor, 13 ans, apprend que son père, qu’il n’a jamais connu, est revenu vivre à  Montpellier où il habite avec sa mère, il veut le rencontrer. D’abord réticent, le géniteur bourru et solitaire va peu à  peu se prendre d’intérêt pour cet ado qui ne désarme pas et passe outre ses refus. Car il faut dire que Samuel Rovinski, ce « papa nouveau » est imposant puisqu’il dirige d’une main de fer l’orchestre de l’Opéra de Montpellier
Victor est bien loin de ce faste et de ce monde culturel. Il habite loin de la ville au bord de la mer sur un terrain vague dans une caravane avec sa mère Nadia, lourdement malade. Lui, ce qu’il aime, c’est le football. D’ailleurs doué pour ce sport, il vient d’être pressenti pour entrer au centre de formation des jeunes du club de Montpellier. Mais il rechigne à  l’annoncer à  sa mère, aux modestes moyens ; secret, et doutant de l’issue fatale que la maladie de sa mère pourrait connaître, il tait ses sentiments, ses craintes, ses émotions.

Et c’est justement avec ce père qu’il va s’éveiller au monde sensible. Samuel Rovinsky lui fait écouter la 6ème symphonie de Mahler dite « Des trois coups de marteau ». Les coups du destin. Et lui le fils mutique va s’ouvrir à  cet univers musical où les sentiments sont exprimés par une mélodie, des instruments : il aura enfin quelque chose à  dire et à  partager avec sa mère.

C’est un très joli film, sensible, fait de petites touches qui nous est offert là La lumière du midi irradie chaque plan, alors que la vie semble abandonner le corps de la mère de VictorEn découvrant le monde de l’opéra, celui de son père, le jeune garçon laisse s’exprimer cette partie de lui qu’il ne connaissait pas. Et en en même temps ce père, dur, à  la limite du mépris pour ses musiciens, s’humanise à  son contact.
Les plans sont courts et nous font passer sans cesse d’un univers à  l’autre, en suivant précisément ce va- et-vient existentiel de Victor, ce jeu de balancier entre sa mère et son père.

C’est le deuxième film d’Agnès Delaporte, une jeune cinéaste qui avait tourné « Angèle et Tony ». Le jeune Romain Paul qui interprète le rôle de Victor est d’une présence étonnante, c’est une vraie révélation. Il a d’ailleurs reçu le prix Marcello Mastroianni du jeune espoir à  la Mostra de Venise 2014.
Clothilde Hesme est d’une sensibilité à  fleur de peau, très touchante.
La « petite musique » de ce « Dernier coup de marteau » résonne longtemps après le mot fin du générique.

Cinéma et Spiritualité

mercredi 18 mars 2015

Lyon – Paroisse du Sacré-Cœur

89 rue Antoine Charial
69003 Lyon

Tél. : +334 78 54 86 31

L’ association Cinéma et Spiritualité, présidée par Michèle Debidour, organise des rencontres mensuelles à  Lyon (paroisse du Sacré-Coeur) et Dieulefit (en partenariat avec le cinéma Labor).

En projet : formation à  l’analyse filmique et Journées Cinéma.

prochain rendez-vous à  Lyon : mercredi 18 mars 2015

échange sur «Hungry hearts » de Saverio Costanzo et «Le dernier loup » de J-J Annaud

+ d’info :[->mdebidour@gmail.com]

[->http://sacrecoeur-lyon.fr/_Paroisse-du-Sacre-Coeur-Lyon_]

Chroniques cinéma – « Birdman »

de Alejandro Inarritu

avec Michael Keaton, Edward Norton, Emma Stone
( Américain 1h59 2015).

Chroniques cinéma de Marie-Noëlle Gougeon

Birdman du mexicain Alejandro Inarritu n’a pas volé les oscars qu’il a reçus il y a un mois. Une mise en abîme réussie sur le monde du théâtre, du cinéma, leurs artifices, le jeu de la vérité des personnages ou des comédiens.

Il y a vingt ans, Riggan Thomson a incarné un super-héros dans un film à  Hollywood : Birdman, une sorte de BatmanMais aujourd’hui, il ne reste plus grand-chose de cette célébrité : aussi est-il venu à  New-York, rechercher sur une scène de Broadway un retour sinon vers la gloire du moins vers un certain succès. Mais dépité par un comédien de la pièce qu’il juge médiocre, il se débrouille pour l’éliminer. L’infortuné est remplacé au pied levé par un « jeune premier » qui bientôt engage une bataille d’égo avec Thomson. Une course contre la montre s’engage à  quelques jours de la première. La pièce pourra-t-elle se jouer quand même ?

Birdman n’est pas seulement un film sur une pièce de théâtre en train de se faire. Inarritu amplifie le propos en interrogeant le rapport entre le personnage et l’acteur, la réalité de l’un et de l’autre. Comment survivre alors que le personnage qui vous a rendu célèbre n’est plus ?

Tout au long du film, une voix d’outre-tombe, celle de Birdman viendra résonner aux oreilles de Thomson pour qu’il reprenne ce rôle fameux qu’il a tenu par le passé. Mais le comédien tient à  cette pièce qu’il a l’intention de mener jusqu’au bout, affrontant avec bravache ses fantômes : des rêves de beaux rôles envolés, une fille dont il s’est si peu occupée, une compagne mal aimée

C’est bien plus qu’une pièce de théâtre qu’il va jouer : c’est sa propre vie, dans un jeu de la vérité entre lui et le personnage qu’il interprétait jadis. Où est-il le plus vrai ? Sur scène ou dans la vie ?

Il n’y aura pas de gagnant le soir de la première.. Ni Hollywood avec ses blockbusters, ni Broadway avec des comédiens et des pièces poussives ne savent plus rendre ce qu’est en vérité la vie, l’amour, la mort poussant les acteurs à  « surjouer », à  déserter leur rôle

Inarritu fait de son Birdman une vertigineuse mise en abîme du monde du théâtre et de la vie avec des plans séquences sublimes à  l’intérieur du théâtre : on « est » Thomson en proie à  ses colères, ses doutes. On partage le plaisir des seconds rôles indispensables au succès de la vedette. Grâce à  des travellings fluides et inspirés, on court d’une loge au plateau de scène, du hall aux ateliers de couture, déambulant tout au long des couloirs, des coursives, en haut des cintres

Mickael Keaton est magnifique en comédien hilarant, fragile, déjanté. Lui-même a vécu une traversée du désert et avait joué dans le Batman de Tim Burton. Etonnante coïncidence entre fiction et réalité

Birdman a remporté cinq oscars au mois de février dernier dont celui du meilleur réalisateur pour Alejandro Inarritu et celui du meilleur film. Récompenses amplement méritées.

Chroniques cinéma – « American Sniper »

de Clint Eastwood

avec Bradley Cooper et Sienna Miller
(film américain 2h12 2014).

Chroniques cinéma de Marie-Noëlle Gougeon

Clint Eastwood dans son dernier film, Amerian sniper, mêle avec tout le talent qu’on lui connaît la glorification du patriotisme américain et l’interrogation morale sur la guerre. Efficace et troublant.

American Sniper est tiré d’une histoire vraie, celle de Chris Kyle, un tireur d’élite des Navy Seal, parti pour 4 longues missions en Irak. Au bout de ces 1000 jours de guerre, il avait tué plus de 200 soldats ennemis, protégeant ainsi ses frères d’armes, certes, ce qui lui vaudra le surnom de «The Legend ». Mais dans le lot, ce sont parfois des femmes, des enfants portant des grenades qu’il a dans sa ligne de mire

Marié, père de famille, son engagement militaire prend vite le pas sur sa vie de couple, sa place de père. Comment pourrait-il en être autrement ? De retour définitif d’Irak, Chris Kyle pense, réfléchit, agit toujours avec des réflexes de soldat. Un chien un peu violent lui fait perdre les pédales et réagir d’une manière tellement agressive qu’il se résout à  consulter un psychiatre. Ce dernier lui propose de venir aider ceux qui reviennent de la guerre, mutilés. Ce qu’il fera tout en mettant en place une école pour tireur d’élite. Il mourra assassiné, en 2013, sous les balles d’un soldat revenu d’Irak, traumatiséSes funérailles donneront lieu au spectacle de toute une région réunie sur le passage du cortège funèbre, bannières étoilées déployées pour un dernier hommage patriotique à  ce soldat symbole d’un pays nourri à  la gloire des armes.

On connaît les convictions républicaines de Clint Eastwood mais aussi son talent pour les films à  thèses et populaires. Avec son dernier film, il réussit encore à  provoquer l’engouement du public (c’est son plus gros succès commercial aux USA) et en même temps à  offrir de multiples analyses à  cet opus de guerre. D’ailleurs, il mêle habilement les deux thèses en présence. L’une, la légitimation de la guerre : Kyle ne tirait que pour protéger ses copains. Et l’autre : comment justifier une guerre faite au nom de convictions (ici la croisade contre le mal) au point de laisser l’IRAK et des G.I’s dévastés..
Clint Eastwood excelle dans le montage faisant alterner des séquences de batailles filmées magistralement et des scènes d’intimité avec sa femme ou de pauses avec ses copains. La dernière séquence tournée lors d’une tempête de sable est époustouflante..Son acteur Bradley Cooper, apporte au personnage de Kyle un poids et une crédibilité manifestes. Il est plus vrai qu’un vrai Navy seal !
Mais à  intervalles réguliers, les doutes de Kyle viennent perturber ce « beau spectacle » et notre conscience de spectateurJamais pourtant C. Eastwood ne remet en cause le choix de Georges Busch. Et la dernière séquence d’hommage le long du cortège funèbre (des images d’actualités) semble valoriser la thèse du patriotisme et de la défense armée en occultant toute une remise en cause de cette culture des armes. Troublant

Spartacus et Cassandra

de Ioanis Nuguet

avec Cassandra Dumitru, Spartacus Ursu et Camille Brisson.

Film français 2015 1H20.

Deux enfants roms face à  leur destin : rester avec la famille ou choisir leur propre vie..

Spartacus et Cassandra sont deux adolescents s roms qui vivent ou plutôt survivent dans un bidonville en Seine St Denis. Le juge aux affaires familiales a retiré au père violent et alcoolique le droit de les garder. La mère maladive est à  la dérive même si elle aime profondément ses enfants. Quel dilemme pour Spartacus et Cassandra qui ont envie comme tous les ados de leur âge d’un peu de stabilité, d’attention, de loisirs

Ils vont bien à  l’école mais par intermittence et n’arrivent pas à  s’intégrer durablement. Seul havre de paix, ce chapiteau en bois, construit par Camille, une trapéziste. Un chapiteau-cour des miracles : On vient y faire du trapèze, rire et chanter, chahuter, être un gosse tout simplement.

Le père ne se résout pas à  ne plus voir ses enfants, bien ô combien précieux dans la culture rom. La sédentarité non plus ne lui convient pas. Ce qu’il veut, c’est un terrain pour y planter sa caravane et récupérer ses enfants.

Mais ses enfants hésitent : comment choisir entre leur famille, lien ancestral de la culture rom, et l’émancipation que leur offre Camille, avec éducation et règles de vie.

C’est pourtant cette dernière option qu’ils choisiront non sans déchirement. Partis avec la jeune femme en Dordogne, loin de leurs parents, ils vont faire l’expérience de leurs propres désirs, le bonheur d’habiter une maison simple mais propre, des occupations « d’enfants » au lieu de la mendicité qu’ils avaient connue à  Paris.

«Spartacus et Cassandra » est filmé à  hauteur des yeux des enfants : la caméra suit leur regard qui filtre la réalité : là  c’est une descente de police, ici, un moment à  l’école, ailleurs la violence des rapports entre Spartacus et son père. On sent le gamin déchiré : l’adulte c’est lui, qui doit prendre en mains sa vie, son père en est incapable. «Mais c’est toi mon père, c’est toi qui sait » lui crie-t-il les larmes aux yeux, anéanti

Le film regorge de moments baroques, faits d’élans de tendresse et de brusquerie. A tout moment, tout peut basculer. Et l’on comprend à  quel point ces personnes ayant fui leur pays car on ne veut plus d’eux, vivent l’errance au plus profond d’eux même. Ils sont les enfants du provisoire et du voyage.

Voilà  un film plein de vie mais grave, qui montre deux enfants face à  leur destin. Aujourd’hui Spartacus et Cassandra vont régulièrement à  l’école et viennent témoigner à  la fin du film lorsque celui-ci projeté avant une discussion. Visiblement ils sont réussi leur émancipation. Le film est soutenu par Amnesty International.

LE PRINCE DE HOMBOURG

au TNP

de Heinrich von Kleist

mise en scène Giorgio Barberio Corsetti

Du 25 février au 8 mars 2015

Grand théâtre – Salle Roger Planchon

Les représentations restantes

Samedi 28 février 2015 à  20 h 00

Mardi 3 mars 2015 à  20 h 00

Juste retour des choses, «Le Prince de Hambourg » revient au TNP.On se souvient de son apparition magique en 1951, sous la conduite de Jean Vilar, avec les traits de Gérard Philipe, au festival d’Avignon et Jeanne Moreau dans le rôle de Nathalie. Olivier Py, pour la première année de sa direction du festival a choisi, pour l’inaugurer cette pièce de Von Kleist, et un metteur en scène italien : Giorgio Barberio Corsetti. Le désir d’être dans la tradition du Répertoire n’est probablement pas étranger à  ce choix.

L’intrigue est simple et s’ouvre sur «Le Prince de Hambourg » qui sort difficilement d’un rêve, à  la veille du départ en guerre du duché de Brandebourg, contre la Suède, sous le commandement du Grand Electeur, son oncle. Il est distrait lorsque lui sont données les instructions de ne pas faire intervenir la cavalerie qu’il commande, avant l’ordre du chef de guerre. Il ne respectera pas les consignes et devancera le signal, permettant ainsi une brillante victoire qui en fait un héros, mais il sera condamné à  mort pour désobéissance. L’amour de Nathalie, dont le gant perdu et retrouvé, a prolongé son rêve et la pétition de ses soldats feront-elles changer la décision, et comment réagira le Prince ?

Xavier Gallais campe remarquablement avec beaucoup de cohérence l’image d’une nonchalance chanceuse, soumise à  son destin entre rêve et réalité, avec la conviction romantique que l’on peut toujours se soustraire au monde, dont nous sommes les marionnettes par le rêve initial ou l’évanouissement final. Là  où Gérard Philippe était Fanfan la Tulipe, maté de Don Quichotte, Xavier Gallais appartient au monde de Calderon, où Sigismond participe à  deux univers que sépare le miroir de Lewis Carroll. Faut-il y voir une leçon de vie ou de mort ? Il est le cousin d’Hamlet : « dormir, mourir, rêver peut-être ». Kleist se suicidera peu de temps après cette dernière pièce, sans qu’il y ait là  une réponse.

En contraste du personnage principal, les acteurs du réel, ceux qui font la guerre « aux ordres » sont très convaincants et bien dirigés, avec une Nathalie d’Orange qui fait figure de passeuse entre deux mondes. Rêve et réalité sont repris dans l’espace avec l’espace de guerre, horizontal puis en pente douce, où le héros ne pourra que glisser et le petit théâtre de l’imaginaire où se retire le réel, comme l’Electrice et sa cour, le gant perdu comme trace abandonné au songe.
Quelques très belles images esthétiquement très fortes : au départ les éphèbes nus habillant le héros, la chevauchée fantastique en projection vidéo, et l’image finale de marionnette, symboles plus en écho de Kleist que de la pièce.
«Le Prince de Hambourg », un drame ? S’interroge au cours du prologue l’Electrice, en tout cas une très belle réalisation dont la retransmission en direct en juillet du festival avait bien montré que le théâtre, au théâtre, ne peut être téléporté, quelque chose qui participe de la présence réelle !

Il faut donc aller au TNP.

Hugues Rousset

[-> http://www.tnp-villeurbanne.com/manifestation/prince-hombourg-fev-mars-14-15#/videos]

« NUITS » TENDRES A L’ENSATT

Du 23 février au 6 mars 2015 à  20h (relâche le dimanche)

Durée : 1h15

Théâtre «Laurent Terzieff »
ENSATT

4, rue soeur Bouvier Lyon 5e / Bus C20E, 46, 49 : St Irénée

Les lyonnais connaissent-ils leur chance d’abriter l’ENSATT (Ecole Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théâtre) ,et d’être invités chaque année à  voir un spectacle complet présenté par une promotion d’une quinzaine d’élèves (décorateurs, costumiers, scénographes ,musiciens ,chanteurs, éclairagistes et bien sûr acteurs),sous la direction d’un metteur en scène invité.

Il y a de bonnes et de moins bonnes années. Cette année, sous la direction du chorégraphe Daniel Larrieu, c’est une très bonne année et qui s’intéresse au théâtre se doit de rejoindre avant le 6 mars le Théâtre dédié à  Laurent Terzieff ,à  l’intérieur de l’Ecole, pour applaudir et encourager la promotion Armand Gatti, qui nous « ravit » au jour pour nous faire partager ses nuits (une heure trente en suspens entre ciel et terre pour nous rappeler que nous sommes bien faits de « l’étoffe de nos rêves »).

Tout commence par des éclats de voix dans le noir issus de la salle lancés comme des invitations au spectacle sur le thème des rapports entre la scène et la salle, la mise en espaceet en rêves, selon la logique inconsciente de leur organisation, celle des représentations de la vie comme un songe, qui pourrait être l’histoire du théâtre lui-même, ( opéra, cabaret, théâtre élisabéthain, propos dada et surréalistes).

J’étais tellement dans l’entre-deux du songe (d’une nuit d’hiver) que je ne sais plus si j’ai entendu « le Pélican »(nuit de mai de Musset),ou si je l’ai rêvéExercices de style, rapidement menés ,par une troupe dont on perçoit les liens subtiles et le plaisir du jeu, sous la baguette du chorégraphe, devenu metteur en scène.

Ensuite, l’empreinte chorégraphique prend définitivement le pas, donnant toute sa place à  la plastique avec en fond de décor une très belle toile peinte de Latifa Echakhch , prix Marcel Duchamp 2013, qui m’a évoqué Magritte et des costumes inspirés de la mode contemporaine.

Pierrots lunaires en noir et blanc qui nous racontent l’histoire que la nuit inscrit dans nos imaginaires et où nous retrouvons ce que nous souhaitons y mettre, avant que le ciel ne nous tombe sur la terre, et se prolonge en mer agitée .

L’espace du rêve et du théâtre se rejoignent dans une vision cosmique, peuplée des fantômes qui nous habitent.

Au total, un spectacle à  ne pas manquer, à  l’honneur d’une grande École de Théâtre qui mêlant les différentes professions des Arts du Théâtre, et en les accordant si bien nous invitent à  admettre que, pour le bonheur de la salle, « Sire le Mot » doit parfois partager la scène. Le théâtre comme « performance »ici réussie.

En passant, hommage à  Armand Gatti, grand homme de théâtre, trop peu connu, bien loin de ce spectacle, mais qui a su ouvrir, avec générosité d’autres portes, diurnes, au théâtre contemporain. Un Portier de Jour en quelque sorte

Hugues Rousset

[->http://www.ensatt.fr/index.php/14-archives-ateliers-spectacles/1605-nuits]

Réservations : 04 78 15 05 07 / production@ensatt.fr

Tarif normal : 10€ / Tarif réduit : 5€